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05/02/2024 | FRANCE | N°470962

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 05 février 2024, 470962


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 janvier, 13 octobre et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des centres de lavage indépendants demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1078 du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux, ainsi que la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté son re

cours gracieux du 30 septembre 2022 tendant au retrait de ce décret ;



2°...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 janvier, 13 octobre et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des centres de lavage indépendants demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1078 du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux, ainsi que la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté son recours gracieux du 30 septembre 2022 tendant au retrait de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2007-397 du 22 mars 2007 ;

- le décret n° 2021-795 du 23 juin 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 janvier 2024, présentée par l'association des centres de lavage indépendants.

Considérant ce qui suit :

1. L'association des centres de lavage indépendants demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux.

Sur la compétence de l'auteur du décret attaqué :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 13 de la Constitution : " Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres ". Aux termes du premier alinéa de l'article 21 de la Constitution : " Le Premier ministre dirige l'action du gouvernement. (...) Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire (...) ". Il résulte de ces dispositions que les décrets doivent être signés par le Président de la République dès lors qu'ils ont été délibérés en conseil des ministres, même si aucun texte n'imposait cette délibération. Les dispositions créées ou modifiées par un tel décret ne peuvent, en principe, être ultérieurement modifiées que par décret délibéré en conseil des ministres. Il en va toutefois autrement soit lorsque ce décret prévoit qu'elles peuvent être modifiées par décret en Conseil d'Etat ou par décret simple, soit lorsque les dispositions ainsi créées ou modifiées par ce décret sont codifiées dans des conditions qui manifestent qu'elles relèvent du décret en Conseil d'Etat ou du décret simple. Ainsi, pour le cas d'un code dont les articles identifiés par un " R. " ou un " D. " signifient que leurs dispositions relèvent, respectivement, du décret en Conseil d'Etat ou du décret simple et dont les articles identifiés par un " R*. " et " D*. " signifient qu'elles relèvent de décrets, en Conseil d'Etat ou simple, délibérés en conseil des ministres, les dispositions des articles identifiés par un " R. " ou " D. " peuvent être modifiées par un décret non délibéré en conseil des ministres alors même qu'elle ont été créées ou modifiées par un décret ainsi délibéré.

3. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2007-397 du 22 mars 2007 relatif à la partie réglementaire du code de l'environnement : " Les dispositions annexées au présent décret constituent les livres II et VI de la partie réglementaire du code de l'environnement. / Les articles identifiés par un "R." correspondent aux dispositions relevant d'un décret en Conseil d'Etat (...) ". Si l'article R. 211-21-2 du code de l'environnement a été créé par le décret en Conseil d'Etat du 23 juin 2021 relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau et à la gestion des situations de crise liées à la sécheresse, qui avait été délibéré en conseil des ministres, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que cet article soit ultérieurement modifié par un décret en Conseil d'Etat n'ayant pas été délibéré en conseil des ministres, dès lors qu'il est identifié par un " R. " dans le code de l'environnement, et sans qu'y fasse obstacle, en l'espèce, la circonstance que le décret du 23 juin 2021 a prévu au I de son article 8, par une mention qui revêt un caractère superfétatoire, que les dispositions de son article 2, qui complètent un article identifié par un " D. " du code de l'environnement, pouvaient " être modifiées par décret simple ". Ne peut, par suite, qu'être écarté le moyen tiré de ce que l'article 1er du décret attaqué, qui modifie l'article R. 211-21-2 du code de l'environnement, aurait été édicté par une autorité incompétente, faute d'avoir été délibéré en conseil des ministres.

Sur la méconnaissance du principe de participation du public :

4. Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I.- Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration (...) II. Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique et, sur demande présentée dans des conditions prévues par décret, mis en consultation sur support papier dans les préfectures et les sous-préfectures en ce qui concerne les décisions des autorités de l'Etat, y compris les autorités administratives indépendantes, et des établissements publics de l'Etat, ou au siège de l'autorité en ce qui concerne les décisions des autres autorités. Lorsque le volume ou les caractéristiques du projet de décision ne permettent pas sa mise à disposition par voie électronique, la note de présentation précise les lieux et horaires où l'intégralité du projet peut être consultée. / (...) Au plus tard à la date de la mise à disposition prévue au premier alinéa du présent II, le public est informé, par voie électronique, des modalités de consultation retenues ".

5. En premier lieu, les dispositions précitées de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ayant été prises afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics, l'association requérante n'est pas fondée à se prévaloir, pour soutenir que le principe de participation aurait été méconnu lors de l'adoption du décret attaqué, d'un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement.

6. En second lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que le projet de décret, qui a fait l'objet d'une consultation du public organisée du 15 mars au 4 avril 2022, était accompagné d'une note de présentation rappelant le contexte général de ce texte et précisant son contenu, de manière suffisamment détaillée. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas des dispositions précitées du II de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement que cette note de présentation devait préciser les lieux et horaires auxquels le public pouvait consulter le projet de décret et les documents qui lui étaient annexés.

7. D'autre part, si les dispositions du II de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement impliquent que les projets d'acte réglementaire de l'Etat ayant une incidence directe et significative sur l'environnement fassent l'objet, soit d'une publication préalable permettant au public de formuler des observations, soit d'une publication avant la saisine d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées, elles n'imposent pas de procéder à une nouvelle publication pour recueillir des observations du public sur les modifications qui sont ultérieurement apportées au projet de décision, au cours de son élaboration, dès lors que celles-ci n'ont pas pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public. Il ressort en l'espèce des pièces du dossier que l'article 3 du projet prévoyait, par une modification du II de l'article D. 181-15-1 du code de l'environnement, relatif à la composition du dossier de demande d'autorisation unique de prélèvement, que, dans le cas où la concertation territoriale sur le programme de mesures de retour à l'équilibre n'est pas finalisée, l'organisme unique de gestion collective présente dans le dossier les modalités de concertation et de gouvernance retenues pour la finalisation de ce programme, ainsi que les échéances associées à cette concertation. En outre, l'article 3 du projet de décret prévoyait qu'au terme de ces échéances, le préfet fixait si nécessaire le programme de retour à l'équilibre retenu. Si ces dispositions ne figurent plus dans le décret attaqué, qui se borne, à son article 4, à prévoir que le pétitionnaire peut joindre à son dossier de demande d'autorisation unique de prélèvement le programme de retour à l'équilibre même si la concertation territoriale n'est pas finalisée, cette modification ne peut être regardée comme une dénaturation du projet sur lequel le public a été appelé à formuler ses observations.

8. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des exigences résultant des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.

Sur la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme :

9. La circonstance que le décret attaqué s'abstienne de définir les notions, auxquelles il recourt, de " période de basses eaux ", de " volumes pouvant être hydrologiquement disponibles pour les usages anthropiques " ainsi que de " bon fonctionnement des milieux aquatiques " n'est pas de nature, contrairement à ce qui est soutenu, à entraîner, par elle-même, une méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait cet objectif ne peut qu'être écarté.

Sur la méconnaissance du principe de sécurité juridique :

10. D'une part, aux termes de l'article R. 211-21-3 du code de l'environnement, dans sa version issue de l'article 3 du décret attaqué : " Afin de mieux assurer le respect des principes mentionnés à l'article L. 211-1, peuvent être définis en dehors de la période de basses eaux, soit des conditions de prélèvement en volume ou en débits, soit des volumes pouvant être disponibles pour les usages anthropiques, en tenant compte du régime hydrologique et dans le respect du bon fonctionnement des milieux aquatiques. Ces volumes sont calculés selon les modalités définies aux I, II et III de l'article R. 211-21-2. Ils sont déterminés au regard des statistiques hydrologiques disponibles pour le bassin ou le sous-bassin, le cas échéant complétées par les résultats d'études relatives aux effets prévisibles du changement climatique ". D'autre part, aux termes de l'article R. 211-21-2 du même code, dans sa version issue du décret attaqué : " I. - L'évaluation des volumes prélevables tels que définis à l'article R. 211-21-1 est réalisée par périmètres cohérents constituant tout ou partie d'un bassin hydrographique ou d'une masse d'eau souterraine sur une période de basses eaux fixée localement. / II. - Pour les eaux de surface, constituées des cours d'eau et de leurs nappes d'accompagnement, l'évaluation du volume prélevable prend en compte le régime hydrologique du cours d'eau, ses relations avec les nappes ainsi que l'état biologique et le fonctionnement des milieux aquatiques dépendant des eaux de surface, c'est-à-dire des zones humides, des milieux annexes dépendant des débordements ou du ruissellement et des milieux avals, le cas échéant, littoraux. Elle intègre le volume de réalimentation éventuel des cours d'eau. / III - Pour les eaux souterraines, l'évaluation prend en compte le rythme de recharge des nappes de fonctionnement annuel ou pluriannuel. / Le volume prélevable en eaux souterraines ne dépasse pas la capacité de renouvellement de la ressource disponible, compte tenu des besoins d'alimentation en eau des écosystèmes ". Il résulte de ces dispositions que les préfets coordonnateurs de bassin ont vocation à définir, en dehors de la période de basses eaux, des volumes prélevables pouvant être disponibles pour les usages anthropiques, selon des modalités encadrées par les dispositions précitées des I, II et III de l'article R. 211-21-2 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué n'encadrerait pas de manière suffisante l'action des préfets coordonnateurs de bassin s'agissant des ressources en eau prélevables en dehors des périodes de basses eaux et méconnaîtrait, pour ce motif, le principe de sécurité juridique doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur l'erreur manifeste d'appréciation :

11. Si l'association requérante soutient que le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation faute de prévoir de définition des critères et des méthodologies à respecter pour déterminer le volume prélevable sur les bassins et les sous-bassins, ce moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que l'association des centres de lavage indépendants n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présence instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association des centres de lavage indépendants est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association des centres de lavage indépendants, au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 5 février 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470962
Date de la décision : 05/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

01-02-02-01-01 ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS. - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPÉTENCE. - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE AUTORITÉS DISPOSANT DU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE. - AUTORITÉS DISPOSANT DU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE. - PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. - DÉCRETS EN CONSEIL DES MINISTRES [RJ1] – PRINCIPE – DISPOSITIONS NE POUVANT ÊTRE MODIFIÉES QUE PAR DÉCRET EN CONSEIL DES MINISTRES – TEMPÉRAMENT – « DÉMÉYÉTISATION » – INCLUSION – DÉCRET EN CONSEIL DES MINISTRES CRÉANT OU MODIFIANT DES ARTICLES D’UN CODE IDENTIFIÉS PAR LES LETTRES « R » OU « D ».

01-02-02-01-01 Il résulte du premier alinéa de l’article 13 de la Constitution et de son article 21 que les décrets doivent être signés par le Président de la République dès lors qu’ils ont été délibérés en conseil des ministres, même si aucun texte n’imposait cette délibération....Les dispositions créées ou modifiées par un tel décret ne peuvent, en principe, être ultérieurement modifiées que par décret délibéré en Conseil des ministres....Il en va toutefois autrement soit lorsque ce décret prévoit qu’elles peuvent être modifiées par décret en Conseil d’Etat ou par décret simple, soit lorsque les dispositions ainsi créées ou modifiées par ce décret sont codifiées dans des conditions qui manifestent qu’elles relèvent du décret en Conseil d’Etat ou du décret simple. Ainsi, pour le cas d’un code dont les articles identifiés par un « R. » ou un « D. » signifient que leurs dispositions relèvent, respectivement, du décret en Conseil d’Etat ou du décret simple et dont les articles identifiés par un « R*. » et « D*. » signifient qu’elles relèvent de décrets, en Conseil d’Etat ou simple, délibérés en conseil des ministres, les dispositions des articles identifiés par un « R. » ou « D. » peuvent être modifiées par un décret non délibéré en conseil des ministres alors même qu’elle ont été créées ou modifiées par un décret ainsi délibéré.


Publications
Proposition de citation : CE, 05 fév. 2024, n° 470962
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470962.20240205
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