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01/02/2024 | FRANCE | N°470546

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 01 février 2024, 470546


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 janvier et 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Alter Corpus demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital en application de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique ;



2°) de saisir la Cour

européenne des droits de l'homme, sur le fondement de l'article 1er du protocole n° 16 à la convent...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 janvier et 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Alter Corpus demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital en application de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique ;

2°) de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, sur le fondement de l'article 1er du protocole n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une demande d'avis portant sur la conformité aux articles 3 et 14 de cette convention de l'arrêté en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits et de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- la décision du 14 avril 2023 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Alter Corpus ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 janvier 2024, présentée par l'association Alter Corpus ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association Alter Corpus demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital en application de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique.

2. Aux termes de cet article : " La prise en charge d'un enfant présentant une variation du développement génital est assurée après concertation des équipes pluridisciplinaires des centres de référence des maladies rares spécialisés, dans les conditions prévues à l'article L. 1151-1. Cette concertation établit le diagnostic ainsi que les propositions thérapeutiques possibles, y compris d'abstention thérapeutique, et leurs conséquences prévisibles, en application du principe de proportionnalité mentionné à l'article L. 1110-5. Ces informations et l'avis issus de la concertation sont portés au dossier médical de l'enfant. L'équipe du centre de référence chargée de la prise en charge de l'enfant assure une information complète et un accompagnement psychosocial approprié de l'enfant et de sa famille et veille à ce que ces derniers disposent du temps nécessaire pour procéder à un choix éclairé. / Lors de l'annonce du diagnostic, un membre de l'équipe pluridisciplinaire du centre assurant la prise en charge de l'enfant informe les titulaires de l'autorité parentale de l'existence d'associations spécialisées dans l'accompagnement des personnes présentant une variation du développement génital et, le cas échéant, de la possibilité d'accéder à un programme de préservation de la fertilité en application de l'article L. 2141-11. / Le consentement du mineur doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. "

3. En premier lieu, l'association requérante soutient que l'arrêté attaqué méconnaît le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et le principe d'égalité devant la loi pour les mêmes motifs que ceux qu'elle a énoncés dans le mémoire distinct par lequel elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité à l'encontre de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique, à savoir qu'il poserait un principe d'intervention thérapeutique sur les enfants présentant une variation du développement génital ou autoriserait des interventions qui ne répondraient pas à une nécessité médicale et qu'il ne prévoirait pas que des associations de patients participent à la concertation des équipes pluridisciplinaires établissant le diagnostic et le cas échéant les propositions thérapeutiques. L'association requérante se bornant, comme elle l'indique elle-même, à reprendre les critiques de constitutionnalité qu'elle a déjà formulées à l'encontre de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique dans le cadre de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution, sans exposer en quoi l'arrêté attaqué porterait par lui-même également atteinte à ces principes, le moyen soulevé ne peut qu'être écarté. Ne peut également qu'être écarté le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux instaurerait une discrimination prohibée par les articles 1er et 2 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qui est inopérant dès lors que la différence qu'elle critique s'agissant de la prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital par rapport à ceux qui ne présentent pas de telles variations résulte de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique lui-même.

4. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué fixe, sur le fondement de l'article L. 1151-1 du code de la santé publique, les règles de bonnes pratiques de la prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital assurée en application des dispositions citées au point 2. Il prévoit notamment que tout enfant présentant une variation marquée du développement génital est pris en charge et bénéficie d'un bilan réalisé par une équipe médicale en centre expert, puis fait l'objet, à moins d'une urgence vitale, d'une réunion de concertation pluridisciplinaire nationale. Cette réunion établit le diagnostic de la variation du développement génital et établit des propositions de prise en charge individualisées, adaptées à chaque patient, en application du principe de proportionnalité et en s'appuyant sur l'état des connaissances scientifiques. Elle tient compte du rapport entre les bénéfices de toute nature attendus pour le patient et les risques existants, comparés, le cas échéant, à ceux d'autres traitements envisageables. L'arrêté précise que " la seule finalité de conformation des organes génitaux atypiques de l'enfant aux représentations du féminin et du masculin ne constitue pas une nécessité médicale ". Les conclusions de la concertation sont consignées dans le dossier médical de l'enfant, notamment l'attestation d'une nécessité médicale lorsqu'un traitement spécifique de la variation, tel qu'une intervention chirurgicale ou médicale, est envisagé. Dans un tel cas, l'enfant et ses parents disposent de toutes les informations leur permettant d'apprécier " le motif médical très sérieux qui le motive et ses conséquences ".

5. Ces dispositions rappellent que, conformément au premier alinéa de l'article 16-3 du code civil, toute intervention médicale ou chirurgicale en vue de traiter spécifiquement la variation du développement génital présentée par un enfant est subordonnée à l'existence d'une nécessité médicale pour ce dernier et qu'ainsi que le prévoient les articles L. 1110-5 et L. 2131-6 du code de la santé publique, toute intervention est soumise au principe de proportionnalité et ne peut être réalisée, si elle est mutilante, que pour un motif médical très sérieux, ainsi qu'en dispose l'article R. 4127-41 du même code. Dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions des articles 16-3 du code civil et L. 2131-6 du code de la santé publique, faute notamment de rappeler expressément la possibilité d'abstention thérapeutique ou d'exclure expressément la prise en considération de facteurs non médicaux dans l'examen de la proportionnalité de l'intervention.

6. En troisième lieu, l'arrêté litigieux prévoit qu'une information est délivrée aux parents lors de la prise en charge initiale et de l'accueil en centre expert et qu'une information " claire, loyale, adaptée et compréhensible " est délivrée à l'enfant et à ses parents lors de la consultation d'annonce et de présentation de la prise en charge qui fait suite à la concertation pluridisciplinaire nationale. Les éléments devant alors être communiqués à l'enfant et à ses parents sont énumérées par l'arrêté, qui précise que ces informations doivent permettre à l'enfant et ses parents d'appréhender la situation dans son ensemble. À l'issue de l'entretien, les informations délivrées sont résumées dans un support écrit de synthèse remis à l'enfant et ses parents et sont tracées dans le dossier médical de l'enfant. Lorsqu'un traitement spécifique de la variation du développement génital est envisagé, le consentement des parents est recueilli par écrit et confirmé par écrit au terme d'un délai raisonnable. L'enfant participe à la prise de décision selon son degré de maturité. Son consentement à l'acte médical et au traitement doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.

7. Ces dispositions, qui prévoient une information de l'enfant et de ses parents à de nombreux stades de la procédure, qui exigent un consentement écrit des parents, confirmé au terme d'un délai raisonnable, quand un traitement médical ou chirurgical est envisagé, et qui prévoient la recherche systématique du consentement de l'enfant s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, assurent le respect de l'exigence d'un consentement libre et éclairé tel qu'il est garanti par les articles L. 1111-2, L. 1111-4 et L. 2131-6 du code de la santé publique. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté contesté méconnaîtrait le principe d'un consentement libre et éclairé tel qu'il résulte de ces articles.

8. En quatrième lieu, les interventions médicales et chirurgicales sur des enfants présentant des variations du développement génital étant subordonnées, ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 7, à l'existence d'une nécessité médicale pour l'enfant et au recueil préalable du consentement des parents ainsi que, s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, à la recherche de celui de l'enfant, l'association Alter Corpus n'est pas davantage fondée à soutenir que l'arrêté méconnaîtrait pour ces motifs les dispositions des articles 3 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. En cinquième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article 16-4 du code civil : " Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite. " Le premier alinéa du I de l'article L. 2213-1 du code de la santé publique autorise le recours à l'interruption volontaire de grossesse s'il est attesté qu'" il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ".

10. L'arrêté attaqué prévoit que lorsque le professionnel de santé qui réalise des échographies de dépistage en période prénatale suspecte un diagnostic de variation du développement génital, il adresse systématiquement et sans délai la patiente à un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, lequel peut recourir à un centre expert. Le centre expert assure l'information du couple sur les différentes variations du développement génital et les perspectives de prise en charge de l'enfant à naître. L'incertitude diagnostique et pronostique de la variation est communiquée au couple. L'arrêté prévoit enfin que : " Les médecins et sages-femmes prenant en charge ces couples sont sensibilisés, par l'intermédiaire de supports écrits élaborés de concert par les centres experts, aux conséquences possibles de leur discours quant à la demande d'une interruption médicale de grossesse. "

11. En mentionnant les effets de l'annonce d'un possible diagnostic de variation du développement génital sur une demande d'interruption volontaire de grossesse, l'arrêté en litige n'a ni pour objet ni pour effet d'inciter à recourir à une telle interruption volontaire de grossesse lorsqu'il est suspecté que l'enfant à naître puisse présenter une variation du développement génital. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté contreviendrait aux dispositions du premier alinéa du I de l'article L. 2213-1 du code de la santé publique ou à celles du deuxième alinéa de l'article 16-4 du code civil. Pour les mêmes raisons, elle n'est, en tout état de cause, pas davantage fondée à soutenir qu'il méconnaîtrait pour ce motif l'article 14 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997, qui prohibe l'utilisation des techniques d'assistance médicale à la procréation pour choisir le sexe de l'enfant à naître.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu en l'espèce d'adresser une demande d'avis consultatif à la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement du protocole n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association Alter Corpus est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Alter Corpus et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; M. Cyril Noël, maître des requêtes et M. Eric Buge, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 1er février 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470546
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 fév. 2024, n° 470546
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470546.20240201
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