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29/12/2023 | FRANCE | N°488870

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 29 décembre 2023, 488870


Vu la procédure suivante :



La commune de Grandvillars (Territoire-de-Belfort) a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 9 mai 2023 par lequel le préfet de la région Bourgogne-France-Comté lui a notifié une prescription de fouille d'archéologie préventive préalablement à la réalisation d'un projet d'aménagement sur des parcelles lui appartenant. A l'appui de cette demande, la commune a produit un mémoire, enregistré le 10 juillet 2023 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 d

u 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de consti...

Vu la procédure suivante :

La commune de Grandvillars (Territoire-de-Belfort) a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 9 mai 2023 par lequel le préfet de la région Bourgogne-France-Comté lui a notifié une prescription de fouille d'archéologie préventive préalablement à la réalisation d'un projet d'aménagement sur des parcelles lui appartenant. A l'appui de cette demande, la commune a produit un mémoire, enregistré le 10 juillet 2023 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 2301371 du 9 octobre 2023, enregistré le 16 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Besançon, avant qu'il soit statué sur la demande de la commune de Grandvillars a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 522-2, L. 523-9 et L. 524-14 du code du patrimoine.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du patrimoine ;

- la loi n° 2003-707 du 1er août 2003 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-480 DC du 31 juillet 2003 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article L. 522-2 du code du patrimoine impose que les prescriptions de l'Etat concernant les diagnostics et les opérations de fouilles d'archéologie préventive soient motivées, fixe les délais dans lesquels l'Etat examine les dossiers qui lui sont adressés et à l'expiration desquels son silence vaut renonciation à édicter de telles prescriptions, et prévoit que les prescriptions sont mises en œuvre dans les conditions définies par les dispositions réglementaires en vigueur à la date de réception du dossier par l'autorité administrative compétente en matière d'archéologie.

3. Le premier alinéa du I de l'article L. 523-9 du même code dispose que : " Lorsqu'une prescription de fouilles est notifiée à la personne qui projette d'exécuter les travaux, celle-ci sollicite les offres d'un ou plusieurs opérateurs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 523-8. La prescription de fouilles est assortie d'un cahier des charges scientifique dont le contenu est fixé par voie réglementaire ". Les autres dispositions de cet article fixent les autres modalités du contrôle scientifique et technique de l'Etat sur le choix de l'opérateur chargé des opérations de fouille archéologique, sur ses relations contractuelles avec l'aménageur et sur la conduite de ces opérations. Elles déterminent enfin les conditions du retrait des prescriptions de fouille.

4. Aux termes de l'article L. 524-14 du même code : " Il est créé, dans les comptes de l'établissement public mentionné à l'article L. 523-1, un Fonds national pour l'archéologie préventive. / Les recettes du fonds sont constituées par une subvention de l'Etat. / Ce fonds finance les subventions accordées par l'Etat aux personnes projetant d'exécuter des travaux qui ont donné lieu à l'édiction d'une prescription de fouille d'archéologie préventive conformément aux dispositions de l'article L. 522-2. Les interventions de ce fonds visent à faciliter la conciliation entre la préservation du patrimoine archéologique et le développement des territoires, en particulier ruraux. / Les travaux de fouilles archéologiques induits par la construction de logements mentionnés au 1° de l'article L. 331-12 du code de l'urbanisme, au prorata de la surface de construction effectivement destinée à usage locatif, ainsi que par la construction de logements réalisée par une personne physique pour elle-même, y compris lorsque ces constructions sont édifiées dans le cadre d'un lotissement ou d'une zone d'aménagement concerté, bénéficient d'une prise en charge financière totale ou partielle ".

5. La commune de Grandvillars soutient que les dispositions mentionnées aux points 2, 3 et 4 portent atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques, en ce qu'elles mettent à la charge exclusive de l'aménageur le coût des opérations de fouilles d'archéologie préventive sans prévoir de dispositif de soutien financier suffisant, alors que ce coût peut être élevé et extrêmement variable selon les situations.

Sur l'article L. 522-2 du code du patrimoine :

6. Par sa décision n° 2003-480 DC du 31 juillet 2003, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution, dans les motifs et le dispositif de sa décision, les dispositions de l'article 1er de la loi du 1er août 2003 modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive, désormais codifiées à l'article L. 522-2 du code du patrimoine. La commune de Grandvillars n'invoque aucun changement pertinent des circonstances de droit ou de fait qui justifierait de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel dans cette mesure.

Sur les autres dispositions contestées :

7. Aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Si cette disposition n'interdit pas de faire supporter des charges particulières, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

8. En premier lieu, l'obligation pour la personne projetant d'exécuter les travaux ayant donné lieu à une prescription de fouilles d'archéologie préventive de réaliser à ses frais les opérations correspondantes résulte des dispositions de l'article L. 523-8 du code du patrimoine, qui ne font pas l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité et qui sont issues de l'article 5 de la loi du 17 janvier 2001 dans sa rédaction résultant de l'article 6 de la loi du 1er août 2003, lequel a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel mentionnée au point 6.

9. En second lieu, d'une part, les dispositions de l'article L. 523-9 du code du patrimoine relatives au contrôle technique et scientifique de l'Etat sur la mise en œuvre des prescriptions de fouilles archéologiques, qui peuvent alourdir le coût des opérations correspondantes, sont justifiées par un motif d'intérêt général tenant à la préservation et à la sauvegarde du patrimoine archéologique. Ce coût, y compris les surcoûts pouvant résulter de l'application de ces dispositions, pèse uniquement sur les personnes qui décident d'exécuter des travaux de nature à affecter des vestiges dont l'intérêt impose leur conservation et qui se sont vu notifier une prescription de fouilles d'archéologie préventive par l'Etat, sous le contrôle du juge administratif. Ces personnes peuvent, avant de concevoir leur projet, évaluer la probabilité de supporter cette sujétion en recourant à la carte archéologique nationale prévue à l'article L. 522-5 du même code et, en-dehors des zones archéologiques ainsi répertoriées, en saisissant l'Etat, dans les conditions mentionnées à l'article L. 522-4 de ce code, afin que ce dernier examine si leur projet est susceptible de donner lieu à des prescriptions de diagnostic archéologique. Enfin, sous réserve des exigences techniques et scientifiques posées par la loi afin de garantir la qualité des opérations de fouilles archéologiques, l'aménageur est libre de recourir à l'opérateur de son choix, le cas échéant après les avoir mis en concurrence, afin de limiter le coût de l'opération.

10. D'autre part, si la réalisation des opérations de fouilles par l'aménageur peut avoir une incidence non négligeable sur l'équilibre économique de son projet, il résulte de l'article L. 524-14 du code du patrimoine que les dépenses résultant de ces prescriptions sont prises en charge par l'Etat dans les cas définis au dernier alinéa de cet article et peuvent, dans les autres cas, donner lieu au versement de subventions du Fonds national pour l'archéologie préventive, qui doivent viser à " faciliter la conciliation entre la préservation du patrimoine archéologique et le développement des territoires, en particulier ruraux ". Il revient au décret en Conseil d'Etat auquel renvoie l'article L. 524-16 du code du patrimoine de fixer les modalités d'application de ces dispositions, dans le respect des exigences constitutionnelles, dont le principe d'égalité devant les charges publiques. Il appartient enfin à l'autorité compétente de l'Etat de se prononcer, sous le contrôle du juge administratif, sur les demandes de subventions adressées au Fonds national de l'archéologie préventive en tenant compte, notamment, de l'intérêt que présente l'aménagement projeté pour le développement des territoires, en particulier ruraux, et de l'impact financier des opérations de fouille sur l'économie générale du projet d'aménagement.

11. Il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles L. 523-9 et L. 524-14 du code du patrimoine n'introduisent par elles-mêmes, en tout état de cause, aucune rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité visant ces dispositions, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Grandvillars.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Grandvillars.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Grandvillars et à la ministre de la culture.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au tribunal administratif de Besançon.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 488870
Date de la décision : 29/12/2023
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2023, n° 488870
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Bratos
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:488870.20231229
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