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29/12/2023 | FRANCE | N°470028

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 29 décembre 2023, 470028


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 26 décembre 2022 et les 22 mars, 12 septembre et 7 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les audioprothésistes mobiles demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir ou, subsidiairement, d'abroger l'arrêté du 24 juin 2022 portant extension d'application de la convention nationale organisant les rapports entre les audioprothési

stes délivrant des produits et prestations inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 26 décembre 2022 et les 22 mars, 12 septembre et 7 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les audioprothésistes mobiles demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir ou, subsidiairement, d'abroger l'arrêté du 24 juin 2022 portant extension d'application de la convention nationale organisant les rapports entre les audioprothésistes délivrant des produits et prestations inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale et l'assurance maladie, plus subsidiairement, les 2° et 3° de son article 14, ainsi que le rejet de son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention d'approuver une convention contenant des mesures légales permettant la réalisation effective d'actes de télésoin et d'appareillage dans le délai de deux mois à compter de la décision à intervenir et, le cas échéant, de procéder à l'abrogation demandée dans le délai de deux mois à compter de cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 3 juin 2021 définissant les activités de télésoins ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 165-6 du code de la sécurité sociale, des accords portant notamment sur la qualité, les prix maximaux pratiqués et les modalités du mécanisme de tiers payant peuvent être conclus, au niveau national, entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et les distributeurs de produits et prestations de santé mentionnés à l'article L. 165-1 de ce code. Lorsqu'ils sont conclus avec une ou plusieurs organisations nationales syndicales des distributeurs de ces produits ou prestations, ces accords peuvent être rendus applicables à l'ensemble des distributeurs par arrêté interministériel pris après avis du Comité économique des produits de santé et les ministres peuvent, lorsque l'accord ou un avenant comporte une ou des dispositions non conformes aux lois et règlements en vigueur ou lorsqu'une ou des dispositions relatives aux prix proposés ne sont pas compatibles avec les critères de l'article L. 162-38 du même code, disjoindre ces dispositions dans l'arrêté.

2. En application de ces dispositions, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a conclu le 23 mars 2021, notamment avec le Syndicat des audioprothésistes, le Syndicat national des entreprises de l'audition et le Syndicat national des audioprothésistes mutualistes, une convention nationale organisant les rapports entre les audioprothésistes délivrant des produits et prestations inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale et l'assurance maladie, c'est-à-dire relevant des aides auditives, ou audioprothèses. Par un arrêté du 24 juin 2022, dont la société requérante demande l'annulation ou, à titre subsidiaire, l'abrogation, totale ou, plus subsidiairement, partielle, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et la ministre de la santé et de la prévention ont rendu cette convention applicable à l'ensemble des professionnels de santé mentionnés à l'article L. 4361-1 du code de la santé publique, c'est-à-dire des audioprothésistes.

Sur la légalité externe :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article D. 162-2-5 du code de la sécurité sociale : " Le Comité économique des produits de santé se réunit sur convocation de son président. Le président fixe l'ordre du jour des séances. Les délibérations du Comité économique des produits de santé ne sont valables que si au moins six de ses membres ayant voix délibérative sont présents ".

4. Ces dispositions sont applicables, contrairement à ce que soutient la société requérante, lorsque ce comité rend l'avis prévu par l'article L. 165-6 du code de la sécurité sociale mentionné au point 1. Il ressort des pièces du dossier qu'une convocation à la séance lors de laquelle a été examinée la demande d'avis, assortie de l'ordre du jour, a été adressée aux membres du comité sept jours avant cette date. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait, pour ces motifs, été pris à l'issue d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, d'une part, dès lors qu'il n'est pas contesté que les syndicats signataires de la convention rendue applicable à l'ensemble des audioprothésistes par l'arrêté contesté sont des organisations nationales syndicales des distributeurs de produits ou prestations mentionnés à l'article L. 165-1, en l'occurrence d'aides auditives, comme l'exigent seulement les dispositions de l'article L. 165-6 du code de la sécurité sociale, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'ils n'auraient pas eu qualité, à défaut que leur représentativité soit établie, pour signer cette convention. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, la convention a été signée par les présidents de chacun des trois syndicats signataires, chacun ayant qualité, en vertu des statuts de son organisation, pour le représenter.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4361-1 du code de la santé publique : " Est considérée comme exerçant la profession d'audioprothésiste toute personne qui procède à l'appareillage des déficients de l'ouïe. / Cet appareillage comprend le choix, l'adaptation, la délivrance, le contrôle d'efficacité immédiate et permanente de la prothèse auditive et l'éducation prothétique du déficient de l'ouïe appareillé (...) ". Il résulte de ces dispositions que les audioprothésistes, s'ils font partie des auxiliaires médicaux exerçant une profession réglementée par le livre III de la quatrième partie du code de la santé publique, sont seuls habilités à délivrer, sur prescription médicale, les aides auditives, ou audioprothèses, lesquelles sont définies par le chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale comme des dispositifs médicaux à usage individuels destinés à compenser électroacoustiquement, au moyen d'une amplification appropriée, les pertes d'audition des malentendants ou les troubles de la compréhension. La convention conclue le 23 mars 2021 était donc au nombre de celles entrant dans le champ d'application de l'article L. 165-6 du code de la sécurité sociale et pouvant, le cas échéant, être rendues applicables à ce titre, dans les conditions prévues à cet article, à l'ensemble des distributeurs. La seule circonstance que l'arrêté attaqué comporte une erreur matérielle sur le rang de l'alinéa de l'article L. 165-6 du code de la sécurité sociale en application duquel il mentionne avoir été pris n'est par ailleurs pas de nature à l'entacher d'illégalité.

7. En troisième lieu, d'une part, l'article L. 4361-6 du code de la santé publique prévoit que : " L'activité professionnelle d'audioprothésiste ne peut être exercée que dans un local réservé à cet effet et aménagé, selon des conditions fixées par décret, afin de permettre la pratique de l'audioprothèse définie au deuxième alinéa de l'article L. 4361-1 ". L'article D. 4361-19 de ce code précise à ce titre que le local réservé à l'activité professionnelle d'audioprothésiste doit comporter soit un cabinet et une cabine insonorisée, soit une salle de mesures audioprothétiques, dont les caractéristiques sont précisées, ainsi qu'un laboratoire isolé de cette salle lorsqu'il y a fabrication d'embouts ou de coques et une salle d'attente distincte. L'article D. 4361-20 dresse la liste des matériels de mesure audioprothétique, de prise d'empreintes du conduit auditif et d'entretien nécessaire à la maintenance des amplificateurs correcteurs de l'audition et des embouts dont le local doit disposer. D'autre part, l'article L. 4361-7 du même code prévoit que : " La location, le colportage, les ventes itinérantes, les ventes dites de démonstration, les ventes par démarchage et par correspondance des appareils de prothèse auditive sont interdits. "

8. En mentionnant, au 2° de son article 14, relatif à l'activité itinérante, que : " L'activité itinérante d'appareillage des assurés est illégale au regard de l'article L. 4361-6 du code de la santé publique ", la convention rendue applicable à l'ensemble des audioprothésistes par l'arrêté contesté se borne à rappeler les exigences posées, s'agissant du local dans lequel toute activité relevant de la profession d'audioprothésiste doit s'exercer, par les dispositions mentionnées au point précédent, sans d'ailleurs avoir pour objet ou pour effet de faire obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, à ce que cette activité soit, dans le respect de ces exigences, exercée selon des conditions et dans des locaux facilitant l'accès des personnes âgées ou dépendantes. Elle ne saurait dès lors être regardée comme étendant l'interdiction figurant à l'article L. 4361-7 du code de la sécurité sociale.

9. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 6316-2 du code de la santé publique : " Le télésoin est une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication. Il met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux dans l'exercice de leurs compétences prévues au présent code. / Les activités de télésoin sont définies par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la Haute Autorité de santé. Cet avis porte notamment sur les conditions de réalisation du télésoin permettant de garantir leur qualité et leur sécurité ainsi que sur les catégories de professionnels y participant ". L'article 1er de l'arrêté du 3 juin 2021 définissant les activités de télésoin précise que : " I. - En application de l'article L. 6316-2 du code de la santé publique, les professionnels pouvant réaliser une activité de télésoin sont les pharmaciens et les auxiliaires médicaux. / II. - A l'exclusion des soins nécessitant un contact direct en présentiel entre le professionnel et le patient, ou un équipement spécifique non disponible auprès du patient, un auxiliaire médical ou un pharmacien peut exercer à distance ses compétences prévues au présent code de la santé publique. / III. - Le recours au télésoin relève d'une décision partagée du patient et du professionnel réalisant le télésoin ".

10. D'autre part, le chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, dite liste des produits et prestations (LPP), prévoit les conditions de prise en charge par l'assurance maladie des aides auditives, dont il résulte que les prestations de suivi obligatoires comprennent tous les actes qui portent sur le réglage de l'aide auditive, l'optimisation de l'observance et la fourniture de pièces détachées qui nécessitent, en raison de leur nature, un contact direct " en présentiel " entre le professionnel et la personne déficiente de l'ouïe ou un équipement spécifique non disponible auprès de cette dernière et que les autres prestations, réalisées par l'audioprothésiste en complément de ces prestations obligatoires, ne donnent pas lieu à une tarification supplémentaire.

11. En mentionnant, au 3° de son article 14, relatif aux consultations de suivi à distance, que : " (...) La convention qualifie de " consultation de suivi à distance " la situation dans laquelle une personne appareillée consulte un audioprothésiste, sans être présent dans l'établissement de l'entreprise en audioprothèse, par l'intermédiaire d'une technologie permettant la prise en main de l'appareil par le professionnel. / Les consultations de suivi à distance sont obligatoirement réalisées par un audioprothésiste. / (...) Ces consultations de suivi à distance ne peuvent pas se substituer aux consultations de suivi prévues dans la nomenclature et qui sont effectuées en " présentiel ", dans l'établissement de l'entreprise en audioprothèse. / Faisant partie intégrante de la tarification de l'appareillage et du suivi établie par la LPP [liste des produits et prestations remboursables], elles ne peuvent donner lieu à aucune facturation supplémentaire. (...) ", la convention rendue applicable à l'ensemble des audioprothésistes par l'arrêté contesté, qui définit de façon suffisamment précise, contrairement à ce qui est soutenu, la notion de " consultation de suivi à distance " qu'elle emploie, se borne à rappeler les différentes exigences, résultant des dispositions mentionnées au point 10, à laquelle la prise en charge des aides auditives par l'assurance maladie est subordonnée, notamment s'agissant des prestations de suivi obligatoire. Elle ne méconnaît pas, ce faisant, les dispositions mentionnées au point 9, dont il résulte notamment que les soins nécessitant un contact direct " en présentiel " entre l'audioprothésiste et le patient ou un équipement spécifique non disponible auprès du patient ne sont pas au nombre de ceux qui peuvent être dispensés à distance.

12. En sixième lieu, les 2° et 3° de l'article 14 de la convention du 23 mars 2021 se bornant, comme il a été dit, à rappeler les exigences résultant, s'agissant de l'activité itinérante ou du télésoin, des dispositions législatives et réglementaires applicables, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les ministres auraient dû disjoindre ces dispositions pour non-conformité aux lois et règlements en vigueur comme l'article L. 165-6 du code de la sécurité sociale le leur permettait et les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué, en les rendant applicables à l'ensemble des audioprothésistes, porterait atteinte au principe d'égalité entre les patients, entre les professionnels de santé ou à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ne peuvent qu'être écartés.

13. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêté porterait également atteinte à un principe de libre exercice de l'activité d'audioprothésiste n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque, non plus, en tout état de cause, en l'absence de l'invocation de tout changement de circonstances de droit ou de fait, que son abrogation. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 ne peuvent par suite qu'être également rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Les audioprothésistes mobiles est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Les audioprothésistes mobiles et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Vérot, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 29 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470028
Date de la décision : 29/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2023, n° 470028
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470028.20231229
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