Vu la procédure suivante :
La société La Mondiale a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale additionnelle, de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, d'impôt sur le revenu des créances, dépôts et cautionnements, de contribution calédonienne de solidarité et de centimes additionnels auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016 et, à titre subsidiaire, de prononcer le dégrèvement des cotisations d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières en tant qu'elles excèdent un montant égal à 10 % des bénéfices de son établissement stable. Par un jugement n° 1900537 du 28 mai 2020, ce tribunal a fait droit à ses conclusions subsidiaires et rejeté le surplus de sa demande.
Par un arrêt nos 20PA01896, 20PA02479 du 26 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels formés par la société La Mondiale et par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire rectificatif et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 mars, 28 juin et 10 novembre 2022 et le 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Mondiale demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code des impôts de Nouvelle-Calédonie ;
- la loi du pays n° 2015-5 du 18 décembre 2015 ;
- l'arrêté n° 2016-379/GNC du 2 mars 2016 relatif au plafonnement de la déductibilité des frais généraux encourus par les entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-819 QPC du 7 janvier 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société La Mondiale et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;
Considérant ce qui suit :
1. La société La Mondiale, dont le siège est situé en France métropolitaine, exerce en Nouvelle-Calédonie, par l'intermédiaire d'un établissement stable, une activité d'assurance. Par un jugement du 6 août 2020, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, sur sa demande, prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières mises à sa charge par l'administration fiscale calédonienne au titre des exercices 2015 et 2016 en tant qu'elles excèdent un montant égal à 10 % des bénéfices de cet établissement stable, mais a rejeté le surplus de ses demandes tendant à la décharge totale des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale additionnelle, de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, d'impôt sur le revenu des créances, dépôts et cautionnements, de contribution calédonienne de solidarité et de centimes additionnels auxquelles elle a été assujettie en Nouvelle-Calédonie au titre des mêmes exercices. La société La Mondiale se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 janvier 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement. Eu égard aux moyens soulevés, elle doit être regardée comme en demandant l'annulation en tant qu'il statue sur ses conclusions relatives à l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale additionnelle, la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés et la contribution calédonienne de solidarité.
2. Aux termes de l'article 21 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction issue de la loi du pays du 18 décembre 2015 plafonnant la déductibilité fiscale des frais généraux encourus par les entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie : " I - Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges à condition : - de se rattacher à la gestion normale de l'entreprise ou d'être exposées dans l'intérêt de l'exploitation ; - de se traduire par une diminution de l'actif net de l'entreprise ; - de correspondre à une charge effective et d'être appuyées de justifications suffisantes ; - de ne pas être exclues par une disposition particulière. / Ces charges comprennent, notamment : a) Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire, sous réserve des dispositions du V. / (...) / V. Les entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie peuvent déduire du montant de leur bénéfice imposable, la quote-part des frais généraux supportés au lieu du siège social ou de la direction, afférente aux activités exercées en Nouvelle-Calédonie, dans la limite de 5 % du montant des services extérieurs, au sens de la comptabilité privée, nécessités par lesdites activités. Un arrêté du gouvernement précise les services extérieurs à prendre en compte pour l'application de cette disposition. / Cette déduction est subordonnée aux conditions cumulatives suivantes : 1. les frais affectés aux activités exercées en Nouvelle-Calédonie ont été engagés dans l'intérêt direct des entreprises en Nouvelle-Calédonie. 2. les entreprises joignent à leur déclaration de résultats un relevé des frais généraux encourus et un état de détermination du montant déductible de frais généraux conformes à des modèles établis par l'administration. / (...) / Les dispositions du présent paragraphe s'appliquent également aux frais généraux facturés aux personnes morales assujetties à l'impôt sur les sociétés en Nouvelle-Calédonie, par les personnes morales liées non imposables à cet impôt en Nouvelle-Calédonie. Deux personnes morales sont réputées liées lorsqu'elles ont en commun des dirigeants de droit ou de fait, ou sont détenues, directement ou indirectement, par une personne morale ou physique, à hauteur de 10 % au moins de leur capital, ou encore lorsqu'au moins 10 % du capital de l'une est détenu, directement ou indirectement, par l'autre. La détention indirecte s'entend du produit des pourcentages successifs détenus dans une même chaîne de participations. Pour un exercice considéré, le montant de la participation s'apprécie à la date de clôture de l'exercice social de la filiale ". L'article 6 de la loi du pays du 18 décembre 2015 dispose que : " Des arrêtés du gouvernement précisent, en tant que de besoin, les dispositions de la présente loi du pays ". L'article 2 de l'arrêté n° 2016-379/GNC du 2 mars 2016 relatif au plafonnement de la déductibilité des frais généraux encourus par les entreprises ayant leur siège social ou leur direction effective en dehors de la Nouvelle-Calédonie prévoit que : " Les dispositions du V de l'article 21 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie s'appliquent aux frais et charges de toute nature affectés à une entreprise calédonienne par son siège social ou par une société liée au sens de la disposition légale précitée, établie en dehors de la Nouvelle-Calédonie, à l'exception toutefois de ceux afférents : 1°) aux achats de marchandises, matières premières, fournitures ; 2°) aux autres charges directes de production, y compris la mise à disposition de personnel lorsque ce dernier est directement affecté à la production ; 3°) aux charges financières ".
3. Il résulte de ces dispositions que les frais correspondant à des prestations individualisables réalisées par une entreprise ayant son siège social en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour le compte d'un établissement stable ou d'une personne morale liée situé sur ce territoire, qui constituent des charges directes de cet établissement ou de cette personne morale, sont déductibles de son bénéfice net imposable en application du I de l'article 21 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie. En revanche, les frais généraux exposés par une telle entreprise, qui regroupent les frais de direction et d'administration ainsi que l'ensemble des dépenses prises en charge par le siège qui sont nécessaires à l'activité d'un établissement stable ou d'une personne morale liée situé en Nouvelle-Calédonie mais qui ne peuvent lui être rattachés individuellement, ne peuvent, en principe, en application du V de l'article 21, être déduits du bénéfice imposable que dans la limite de 5% de ses charges de services extérieurs. Toutefois, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-819 QPC du 7 janvier 2020, le contribuable est autorisé à apporter la preuve que la part de frais généraux imputés à l'établissement stable ou facturés à la personne morale liée excédant 5 % du montant de ses services extérieurs ne correspond pas à un transfert indirect de bénéfices. Il lui appartient alors d'apporter la preuve de l'absence de transfert de bénéfices en justifiant de l'existence de contreparties au moins équivalentes au montant des frais généraux excédant ce seuil imputés à l'établissement stable ou facturés à la personne morale liée. Cette justification peut être apportée au moyen d'une comptabilité analytique permettant, par l'application de clés de répartition pertinentes eu égard à la nature des frais en cause et à l'activité de l'établissement ou de la personne morale, de déterminer la quote-part des frais généraux qui peut être regardée comme ayant été exposée dans l'intérêt propre de ces derniers.
4. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la société requérante ne pouvait, pour justifier l'absence de transfert indirect de bénéfices, se prévaloir de la méthode de répartition qu'elle avait utilisée pour déterminer la part de ses frais généraux mise à la charge de son établissement calédonien et qu'elle devait fournir des éléments permettant de déterminer précisément la valeur des prestations rendues par son siège à cet établissement, la cour a commis une erreur de droit. Il s'ensuit que la société La Mondiale est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur ses conclusions relatives à l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale additionnelle, la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés et la contribution calédonienne de solidarité.
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société La Mondiale, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 3 000 euros à verser à la société La Mondiale au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 janvier 2022 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la société La Mondiale relatives à l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale additionnelle, la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés et la contribution calédonienne de solidarité.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La Nouvelle-Calédonie versera la somme de 3 000 euros à la société La Mondiale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société La Mondiale et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.