Vu la procédure suivante :
La société Casden Banque Populaire a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de prononcer la décharge de la cotisation additionnelle à l'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'exercice clos en 2015. Par un jugement n° 1900190 du 6 août 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20PA02875 du 26 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Casden Banque Populaire contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire rectificatif, enregistrés les 28 mars, 28 juin et 10 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Casden Banque Populaire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- la convention entre le gouvernement de la République française et le Conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dépendances en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, signée à Nouméa le 31 mars 1983 et à Paris le 5 mai 1983 et approuvée et publiée par la loi n° 83-676 du 26 juillet 1983 ;
- le code des impôts de Nouvelle-Calédonie ;
- la loi du pays n° 2014-17 du 31 décembre 2014 ;
- la loi du pays n° 2015-5 du 18 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Casden Banque Populaire et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Casden Banque Populaire, dont le siège est situé en France métropolitaine, exerce en Nouvelle-Calédonie, par l'intermédiaire d'un établissement stable, une activité de financement de prêts à la consommation et de prêts immobiliers. Par un jugement du 6 août 2020, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à la décharge de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés (CAIS) mise à sa charge par l'administration fiscale calédonienne au titre de l'exercice clos en 2015. La société Casden Banque Populaire se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 janvier 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes du paragraphe 7 de l'article 9, relatif aux dividendes, de la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le Conseil du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie Calédonie et dépendances en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, approuvée et publiée par la loi du 26 juillet 1983 : " Lorsqu'une société qui est un résident d'un territoire tire des bénéfices ou des revenus de l'autre territoire, cet autre territoire ne peut percevoir aucun impôt sur les dividendes payés par la société, sauf dans la mesure où ces dividendes sont payés à un résident de cet autre territoire ou dans la mesure où la participation génératrice des dividendes se rattache effectivement à un établissement stable ou à une base fixe situé dans cet autre territoire, ni prélever aucun impôt, au titre de l'imposition des bénéfices non distribués, sur les bénéfices non distribués de la société, même si les dividendes payés ou les bénéfices non distribués consistent en tout ou en partie en bénéfices ou revenus provenant de cet autre territoire ". Aux termes du paragraphe 8 du même article : " Nonobstant les dispositions du paragraphe 7, lorsqu'une société qui est un résident d'un territoire exerce dans l'autre territoire une activité industrielle ou commerciale par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, les bénéfices de cet établissement stable peuvent, après avoir supporté l'impôt sur les sociétés, être assujettis, conformément à la législation de cet autre territoire, à un impôt qui ne peut excéder 10 % ".
3. En second lieu, d'une part, l'article 528 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie dispose que : " Les personnes morales relevant de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières sont soumises à une taxation normale (dispositions générales) ou à une taxation forfaitaire (dispositions spéciales) selon qu'elles ont leur siège social dans ou hors de la Nouvelle-Calédonie ". Aux termes de son article 550 : " Les personnes morales : sociétés et associations en participation notamment qui, n'ayant pas leur siège social en Nouvelle-Calédonie, y exercent cependant une activité qui les y rendrait imposables si elles y avaient leur siège social, sont redevables à la Nouvelle-Calédonie, dans la mesure de cette activité, de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, dans les conditions prévues au présent titre ". Aux termes de son article 551 : " Les bénéfices réalisés en Nouvelle-Calédonie, par l'intermédiaire d'établissements stables de sociétés visées à l'article 550 ayant leur siège social à l'étranger, sont réputés distribués au titre de chaque exercice. / Les bénéfices visés à l'alinéa précédent s'entendent du montant du résultat comptable majoré des frais généraux non déductibles en application des dispositions du V de l'article 21 ". Aux termes enfin de son article 553 : " Les bénéfices réalisés en Nouvelle-Calédonie, par l'intermédiaire d'établissements stables de sociétés visées à l'article 550 ayant leur siège dans un Territoire lié à la Nouvelle-Calédonie par une convention fiscale, sont réputés distribués au titre de chaque exercice. / Les bénéfices visés à l'alinéa précédent s'entendent du montant du résultat comptable majoré des frais généraux non déductibles en application des dispositions du V de l'article 21 ".
4. D'autre part, l'article Lp 45-34 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, issu de la loi du pays du 31 décembre 2014 instaurant une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués, dispose que : " I.- Les sociétés ou organismes passibles de l'impôt sur les sociétés en Nouvelle-Calédonie, à l'exception des établissements publics de Nouvelle-Calédonie, sont assujetties à une contribution additionnelle à cet impôt au titre des montants qu'ils distribuent au sens des articles 111 à 118. / La contribution est due sur les montants distribués lorsqu'ils sont supérieurs à trente millions de francs au taux mentionné à l'article R 45.35. Le seuil de trente millions de francs s'apprécie par exercice social en tenant compte de l'ensemble des produits distribués ou réputés distribués. / (...) / Pour les bénéfices réalisés en Nouvelle-Calédonie par l'intermédiaire d'établissements stables de sociétés visées à l'article 550 ayant leur siège social hors de Nouvelle-Calédonie, la contribution est assise sur les montants qui cessent d'être à la disposition de l'exploitation en Nouvelle-Calédonie. L'établissement stable justifie au titre de chaque exercice de la part du résultat comptable réalisé en Nouvelle-Calédonie par son intermédiaire qui reste à sa disposition. A défaut, la contribution est assise sur le montant total du résultat comptable réputé distribué en application de l'article 551 ".
5. Pour écarter l'argumentation de la société requérante, tirée de ce que le cumul, sur l'assiette constituée par les bénéfices de son établissement stable situé en Nouvelle-Calédonie, en sus de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) et de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés (CAIS) conduisait à une imposition desdits bénéfices excédant le plafond fixé par le paragraphe 8 de l'article 9 de la convention fiscale conclue entre la France et la Nouvelle-Calédonie, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que l'IRVM avait la nature d'un impôt sur les distributions, dû par le bénéficiaire de celles-ci et dont la société distributrice se contente de faire l'avance, et non d'un impôt sur le bénéfice des entreprises, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'en tenir compte pour apprécier le respect de la règle de plafonnement en cause.
6. Il résulte toutefois des dispositions des articles 528, 550, 551 et 553 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, citées au point 3, que le législateur calédonien a entendu créer, pour ce qui concerne les sociétés n'ayant pas leur siège social en Nouvelle-Calédonie mais exerçant une activité sur ce territoire par l'intermédiaire d'un établissement stable, un régime spécifique d'assujettissement à l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM). Pour ces sociétés, les bénéfices réalisés par l'établissement stables sont réputés distribués alors même qu'ils demeurent dans le patrimoine de la société et l'IRVM que cette dernière supporte à ce titre est assis sur l'intégralité desdits bénéfices. Il s'ensuit que, dans une telle situation, l'IRVM a la nature d'une imposition des bénéfices de l'établissement stable au sens des dispositions du paragraphe 8 de l'article 9 de la convention fiscale, entrant dans le champ de la règle de plafonnement. La cour administrative d'appel a, par suite, commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. Il résulte de l'instruction qu'après avoir été assujettis à l'impôt sur les sociétés, les bénéfices de l'établissement stable au travers duquel la société Casden Banque Populaire exerce son activité en Nouvelle-Calédonie ont été soumis à l'IRVM au taux de 10 % au titre de l'exercice 2015. Cette société ne saurait dès lors, en application de la règle de plafonnement du paragraphe 8 de l'article 9 de la convention fiscale conclue entre la France et la Nouvelle-Calédonie, cité au point 2, être assujettie à une imposition supplémentaire ayant, comme la CAIS, pour assiette tout ou partie des mêmes bénéfices. Il s'ensuit que la société Casden Banque Populaire est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 6 août 2020 qu'elle conteste, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation de CAIS à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2015.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Casden Banque Populaire, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 3 500 euros à verser à la société Casden Banque Populaire au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 janvier 2022 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 6 août 2020 est annulé.
Article 3 : La société Casden Banque Populaire est déchargée des cotisations de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'exercice 2015.
Article 4 : La Nouvelle-Calédonie versera la somme de 3 500 euros à la société Casden Banque Populaire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Casden Banque Populaire et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.