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28/12/2023 | FRANCE | N°470232

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 28 décembre 2023, 470232


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 470232, par une requête, enregistrée le 5 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 1er juillet 2022 rapportant le décret du 1er février 2018 lui accordant la nationalité française ;



2°) d'enjoindre à la Première ministre de le rétablir dans la nationalité française dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision

à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;



3°) de mettre à la charg...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 470232, par une requête, enregistrée le 5 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 1er juillet 2022 rapportant le décret du 1er février 2018 lui accordant la nationalité française ;

2°) d'enjoindre à la Première ministre de le rétablir dans la nationalité française dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 470244, par une requête, enregistrée le 6 janvier 2023, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours gracieux formé contre le décret du 1er juillet 2022 lui accordant la nationalité française ;

2°) d'enjoindre à la Première ministre de le rétablir dans la nationalité française dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées présentent à juger des questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces des dossiers que M. B..., ressortissant algérien, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture de l'Isère le 5 septembre 2016. Il a été naturalisé par décret du 1er février 2018. Toutefois, par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, reçu le 22 juillet 2020, le ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, a été informé que M. B... avait contracté une union le 31 juillet 2017 à Skikda avec Mme C..., ressortissante algérienne résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 1er juillet 2022, la Première ministre a rapporté le décret du 1er février 2018 d'acquisition de la nationalité française de M. B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. Par un courrier du 7 septembre 2022, reçu le 9 septembre 2022, M. B... a formé un recours gracieux contre ce décret. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration.

3. Aux termes des dispositions de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

4. En premier lieu, le décret attaqué énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Il est ainsi suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de ce que le requérant a demandé en vain communication des motifs de la décision rejetant son recours gracieux contre ce décret doit, en tout état de cause, être écarté.

5. En deuxième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs au mariage de l'intéressé, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que le 22 juillet 2020, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur ce bordereau. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 1er juillet 2022, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. En troisième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a contracté mariage le 31 juillet 2017 à Skikda (Algérie) avec Mme C..., ressortissante algérienne résidant habituellement à l'étranger. Ce mariage a constitué un changement de sa situation familiale qu'il aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant sa demande de naturalisation. Si M. B... soutient qu'il en a informé le service instructeur par un courrier recommandé avec accusé de réception du 7 novembre 2017, il ne produit au soutien de cette allégation que la preuve de dépôt d'un envoi aux services sans établir ni son contenu, ni sa réception. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'entretien d'assimilation du 27 avril 2017, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

8. En quatrième lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'intéressé garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 1er juillet 2022 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 1er février 2018 et de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours gracieux. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de M. B... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 décembre 2023 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 28 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Alexandre Trémolière

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 470232
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2023, n° 470232
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Trémolière
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470232.20231228
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