Vu la procédure suivante :
Par une décision n° 451895 du 22 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de l'association interprofessionnelle des fruits tendant à l'annulation partielle pour excès de pouvoir la décision du 22 octobre 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre les article II et III de l'accord interprofessionnel " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation -maturité " relatif aux campagnes 2020-2022 conclu dans le cadre de Interfel et sa décision rejetant implicitement le recours gracieux formé contre celle-ci, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1°) L'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 doit-il être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée '
2°) La fixation de dates de récolte, d'une part, et de dates de commercialisation, d'autre part, relève-t-elle des règles susceptibles d'être fixées par voie d'accord interprofessionnel et étendues sur le fondement de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, et si tel est le cas la fixation de telles dates de récolte et de commercialisation relève-t-elle des " règles de production " visées au b) de cet article ou, comme le prévoyait antérieurement l'annexe XVI bis du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, des " règles de commercialisation " désormais visées au d) du même article '
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 22 juillet 2022 ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêt C-501/22 à C-504/22 de la Cour de justice de l'Union européenne du 29 juin 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), organisation interprofessionnelle agricole reconnue sur le fondement de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, a conclu le 10 juin 2020 un accord interprofessionnel " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation -Maturité " relatif aux campagnes 2021-2023. L'association Interfel a demandé l'extension de cet accord au ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Par une décision du 22 octobre 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre les dispositions de cet accord en vertu duquel les kiwis issus des cultivars Actinidia Deliciosa de variété Hayward, produits en France, ne peuvent pas être récoltés avant le 10 octobre et commercialisés avant le 6 novembre en France. L'association Interfel demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ainsi que de la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté le recours gracieux qu'elle a formé contre ce refus. Par une décision avant dire droit du 22 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a sursis à statuer sur la requête de l'association Interfel jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions dont il l'a saisie à titre préjudiciel. La Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions par un arrêt C-501/22 à C-504/22 du 29 juin 2003.
Sur le cadre juridique du litige :
2. En premier lieu d'une part, aux termes de l'article 74 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 : " 1. Des normes de commercialisation peuvent s'appliquer à l'un ou plusieurs des produits et secteurs suivants : / (...) b) fruits et légumes ; (...). / 3. Sans préjudice de l'article 26 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, les normes de commercialisation visées au paragraphe 1 peuvent porter sur un ou plusieurs des éléments énumérés ci-après, déterminés sur la base des secteurs ou des produits et en fonction des caractéristiques de chaque secteur, de la nécessité de réglementer la mise sur le marché et des conditions énoncées au paragraphe 5 du présent article : / (...) b) les critères de classification comme le classement en catégories, le poids, la taille, l'âge et la catégorie ; (...)".
3. D'autre part, aux termes de l'article 164 du même règlement " 1. Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue, une association d'organisations de producteurs reconnue ou une organisation interprofessionnelle reconnue opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association. / (...) 4. Les règles dont l'extension à d'autres opérateurs peut être demandée comme prévu au paragraphe 1 portent sur l'un des objets suivants : / (...) b) règles de production plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union ou les réglementations nationales ; / d) commercialisation (...) ; (...) k) définition de qualités minimales et définition de normes minimales en matière de conditionnement et d'emballage ; (...) / Ces règles ne portent pas préjudice aux autres opérateurs de l'État membre concerné ou de l'Union et n'ont pas les effets énumérés à l'article 210, paragraphe 4, ou ne sont pas contraires à la législation de l'Union ou à la réglementation nationale en vigueur. (...) ". L'article 210, paragraphe 4, de ce même règlement prohibe les accords susceptibles, notamment, de " c) (...) créer des distorsions de concurrence qui ne sont pas indispensables pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune poursuivis par l'activité de l'organisation interprofessionnelle " ou de " e) (...) créer des discriminations ou éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits concernés ".
4. Par son arrêt C-501/22 à C-504/22 du 29 juin 2023 statuant sur la question que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux lui a transmise, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, que l'article 164, paragraphes 1 et 4, du règlement (UE) n° 1308/2013 doit être interprété en ce sens qu'un Etat membre peut, à la demande d'une organisation de producteurs reconnue, d'une association d'organisations de producteurs reconnue ou d'une organisation interprofessionnelle reconnue, opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées de cet Etat membre et considérée comme étant représentative de la production, du commerce ou de la transformation d'un produit donné, rendre obligatoires certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtées dans le cadre de cette organisation de producteurs, de cette association d'organisations de producteurs ou de cette organisation interprofessionnelle pour d'autres opérateurs qui opèrent dans ces circonscriptions économiques et qui ne sont pas membres de ladite organisation de producteurs, de ladite association d'organisations de producteurs ou de ladite organisation interprofessionnelle, lorsque les règles prévues par ces accords, ces décisions ou ces pratiques concertées, portant sur un ou plusieurs des objets énumérés au paragraphe 4, non seulement sous b) mais aussi sous a) et c) à n) de cet article, sont plus strictes que celles prévues par les réglementations de l'Union européenne ou par les normes adoptées par la Commission économique des Nations unies pour l'Europe (CEE-ONU).
5. Il découle également de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne par le même arrêt, qu'une telle extension, d'une part n'est pas obligatoire, mais constitue une simple faculté pour l'Etat membre concerné, lequel apprécie souverainement le caractère opportun de cette extension, d'autre part est exclue lorsque les règles dont l'extension est demandée portent préjudice aux opérateurs auxquels elles seraient étendues, lorsqu'elles ont les effets énumérés à l'article 210, paragraphe 4, du même règlement ou lorsqu'elles sont contraires à la législation de l'Union ou à la réglementation européenne en vigueur.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime : " Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient aux autorités nationales compétentes d'apprécier, sous l'entier contrôle du juge, si l'extension de l'accord présente un intérêt commun conforme à l'intérêt général.
Sur la légalité du refus d'extension de l'accord interprofessionnel " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation -maturité " :
7. Il ressort des pièces du dossier que l'accord interprofessionnel, relatif aux règles de commercialisation " Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation -Maturité " relatif aux campagnes 2021-2023 conclu par l'association Interfel prévoit que les kiwis issus des cultivars Actinidia Deliciosa de variété Hayward, produits en France, ne peuvent pas être récoltés avant le 10 octobre et commercialisés avant le 6 novembre en France. Ces règles sont plus strictes que celle figurant dans la partie 3 " Normes de commercialisation applicable aux kiwis " du B de l'annexe I du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 portant modalités d'application du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des fruits et légumes transformés qui prévoit, pour respecter l'exigence de maturité de des fruits, que : " (...) au stade du conditionnement, les fruits doivent avoir atteint un degré de maturité d'au moins 6,2° Brix ou une teneur moyenne en matière sèche de 15 %, qui devrait atteindre 9,5° Brix au moment de l'entrée dans le circuit de distribution. (...) ", et qui ne fixe par ailleurs aucune date de récolte ou de commercialisation.
8. La Cour européenne de justice de l'Union européenne a dit pour droit, par son arrêt C-501/22 à C-504/22 du 29 juin 2023, que la fixation par voie d'accord interprofessionnel de dates de récolte ou de dates de commercialisation d'un produit agricole relève des règles de commercialisation dont l'extension peut être demandée sur le fondement de l'article 164 du règlement (UE) n°1308/2013.
En ce qui concerne la légalité externe :
9. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime " Les décisions de refus d'extension doivent être motivées ". Il ressort des pièces du dossier que la décision litigieuse motive le refus opposé à la demande d'extension présentée par l'association Interfel en indiquant, d'une part, que les éléments présentés par celle-ci à l'appui de cette demande ne permettent pas de démontrer l'impact qualitatif, sur la production, de la fixation de dates minimales de récolte et de commercialisation, la maturité des kiwis étant déjà garantie par l'exigence d'un taux de Brix de 6,2° dès le stade la récolte et, d'autre part, mentionne que la fixation de ces dates minimales peut être regardée comme une régulation de l'offre non prévue, en ce qui concerne les fruits et légumes, par la règlement (UE) n°1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles. Elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen d'insuffisance de motivation invoqué par l'association Interfel doit donc être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
10. En premier lieu, l'association Interfel soutient que le refus d'extension de l'accord méconnaît les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime au motif que la fixation de dates minimales de récolte et de commercialisation, telle que prévue par cet accord, était déjà prévue dans tous les accords ayant bénéficié d'une extension depuis 2004, et constituerait un usage ancré dans la pratique de l'ensemble des opérateurs. Cependant, d'une part, il résulte des dispositions de l'article 164 du règlement (UE) n°1308/2013 citées au point 3 et de celles de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime citées au point 6 que les accords interprofessionnels, conclus pour une période limitée, ne peuvent être étendus que pour une durée déterminée. La dernière des extensions prononcée à la demande de l'association Interfel ne l'ayant été, en 2019, que pour la campagne 2020, l'association Interfel ne saurait soutenir que le refus d'extension contesté porterait atteinte à la sécurité juridique à raison de la remise en cause de droits ou avantages qu'elle tirait de cette dernière extension. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le ministre, qui avait déjà fait part à l'association Interfel, dans le cadre de l'instruction de sa précédente demande d'extension, de ses doutes sur la justification de cette extension, n'a pris aucun engagement ni donné aucune assurance à l'association Interfel permettant à celle-ci, opérateur avisé du secteur, de nourrir des espérances fondées. Elle ne saurait par conséquent, en tout état de cause, se prévaloir d'une méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime.
11. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 ci-dessus que l'association Interfel n'est pas fondée à soutenir qu'en examinant si les restrictions de récolte et de commercialisation prévues par l'accord dont l'extension est demandée étaient justifiées par les améliorations invoquées de la qualité des produits ou du fonctionnement du marché, le ministre aurait méconnu les compétences qui sont les siennes pour le contrôle qu'il lui incombe d'exercer.
12. En troisième lieu, à l'appui de sa demande d'extension, l'association Interfel justifiait les règles plus strictes concernant les dates de récolte et de commercialisation par le souci de garantir la qualité des fruits vendus aux consommateurs. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'exigence d'un degré de maturité d'au moins 6,2° Brix au stade de la récolte et d'au moins 9,5° Brix au stade de la commercialisation, imposée par les dispositions du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 citées au point 7, permet de garantir leur maturité sans qu'il soit nécessaire de prévoir des dates minimales de récolte et de commercialisation. Dans ces conditions, c'est sans erreur d'appréciation que le ministre a pu estimer que l'association Interfel n'apportait pas les éléments permettant d'établir que de telles règles, susceptibles par ailleurs de contrarier les adaptations que rendraient nécessaires les aléas climatiques et les variations de cycle biologique, étaient justifiées par l'amélioration du fonctionnement du marché ou de la satisfaction des consommateurs.
13. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur le motif rappelé au point 12. Dès lors, et, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la légalité du second motif opposé par la décision contestée, l'association Interfel n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Interfel est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association interprofessionnelle des fruits et légumes frais et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 22 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Rose-Marie Abel
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin