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21/12/2023 | FRANCE | N°470350

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 21 décembre 2023, 470350


Vu la procédure suivante :



Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 9 janvier, 5 mai et 16 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association National organisation for the reform of marijuana laws France (NORML France) demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice du 31 août 2020 précisant les conditions de mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l'article L.

3421-1 du code de la santé publique ;



2°) de saisir pour avis la Cour e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 9 janvier, 5 mai et 16 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association National organisation for the reform of marijuana laws France (NORML France) demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice du 31 août 2020 précisant les conditions de mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l'article L. 3421-1 du code de la santé publique ;

2°) de saisir pour avis la Cour européenne des droits de l'homme sur la conformité à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, de l'exclusion du recours à la procédure d'amende forfaitaire délictuelle en matière d'usage de stupéfiants pour certains justiciables et, d'autre part, du maintien de l'incrimination de l'usage illicite de stupéfiants ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre une dépêche invitant les procureurs de la République à poursuivre de façon systématique le délit d'usage illicite de stupéfiants selon la procédure de l'amende forfaitaire prévue à l'article L. 3421-1 du code de la santé publique et invitant les juridictions de jugement, dans les situations où la loi ne permet pas de recourir à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle, à prononcer une dispense de peine et une dispense d'inscription au casier judiciaire ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 34 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019;

- la décision du 24 mars 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association NORML France ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable, issue de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " L'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. / Si l'infraction est commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, ou par le personnel d'une entreprise de transport routier, ferroviaire, maritime ou aérien, de marchandises ou de voyageurs exerçant des fonctions mettant en cause la sécurité du transport dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. (...) / Pour le délit prévu au premier alinéa du présent article, y compris en cas de récidive, l'action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale, par le versement d'une amende forfaitaire d'un montant de 200€. Le montant de l'amende forfaitaire minorée est de 150€ et le montant de l'amende forfaitaire majorée est de 450€ ".

2. D'autre part, aux termes de l'article 495-17 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable, issue de la même loi du 23 mars 2019 : " Lorsque la loi le prévoit, l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire délictuelle fixée par la loi, qui ne peut excéder le montant prévu au premier alinéa de l'article 131-13 du code pénal, dans les conditions prévues à la présente section. / Toutefois, la procédure de l'amende forfaitaire n'est pas applicable si le délit a été commis par un mineur ou si plusieurs infractions, dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément ".

3. Enfin, aux termes de l'article 30 du code de procédure pénale, " Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales ". Aux termes de l'article 35 du même code, " le procureur général précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la justice au contexte propre de son ressort ". Aux termes de l'article 39-1 du même code, " en tenant compte du contexte propre à son ressort, le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général ".

4. La dépêche contestée du 31 août 2020 du garde des sceaux, ministre de la justice, relative à la mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l'article L. 3421-1 du code de la santé publique est destinée, pour attribution, aux procureurs généraux près les cours d'appel, au procureur de la République près le tribunal supérieur d'appel et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires, qui mettent en œuvre les instructions générales du ministre de la justice dans les conditions précisées par les articles 35 et 39-1 du code de procédure pénale, cités au point précédent. Cette dépêche expose ainsi les orientations de politique pénale que les parquets sont invités à mettre en œuvre en ce qui concerne le recours à l'amende forfaitaire en matière d'usage des stupéfiants. Elle comporte une première partie relative au champ d'application de la procédure d'amende forfaitaire et une seconde partie relative aux modalités de constatation et de preuve de l'infraction ainsi qu'au devenir des stupéfiants et accessoires saisis.

Sur les moyens tirés de l'inconventionnalité des dispositions du second alinéa de l'article 495-17 du code de procédure pénale et de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique :

5. Si, en premier lieu, en vertu des dispositions l'article 495-17 du code de procédure pénale, rappelées par la dépêche attaquée dans le paragraphe relatif aux " exclusions de droit " de sa première partie, la procédure d'amende forfaitaire n'est pas applicable aux mineurs, cette exclusion se justifie par la nécessité d'assurer, dans l'intérêt même des mineurs, l'adaptation de la sanction à leur âge et leur personnalité et de permettre au juge de décider de solutions, notamment sanitaires, adaptées à leur relèvement éducatif et moral. Cette différence de traitement, justifiée par des considérations d'intérêt général, n'est dès lors pas susceptible de constituer une discrimination contraire aux exigences de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'association requérante invoque au demeurant seul, ni, en tout état de cause, de méconnaître les stipulations de l'article 40 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

6. En deuxième lieu, en prévoyant, par l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, un mode d'extinction de l'action publique par le paiement d'une amende forfaitaire, le législateur n'a, contrairement à ce qui est soutenu, pas institué deux peines concurrentes pour une même infraction. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions contreviendraient pour ce motif au premier paragraphe de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

7. En troisième lieu, l'association requérante soulève, en des termes très généraux, des moyens tirés de ce que la pénalisation de l'usage illicite de stupéfiants méconnaîtrait l'interdiction des traitements inhumains et dégradants garantie par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de ce que l'interdiction de l'usage des plantes ou substances classées comme stupéfiants contreviendrait aux stipulations de l'article 8 de la même convention en tant qu'elle violerait le droit à disposer de son corps, de ce que la pénalisation de l'usage illicite de stupéfiants induirait une discrimination entre les consommateurs d'alcool et les consommateurs de stupéfiants, ou de ce qu'elle créerait une rupture d'égalité dans la jouissance des droits et libertés protégés par la convention précitée, en ce que l'absence de poursuite pour l'infraction du délit d'usage illicite de stupéfiants est réservée, aux termes de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, aux personnes consommant ces produits à l'intérieur d'une salle de consommation à moindre risque. L'association n'apporte toutefois à l'appui de ces moyens aucun élément de nature à apprécier en quoi l'instauration d'une extinction de l'action pénale par une amende forfaitaire violerait par elle-même les stipulations des articles qu'elle invoque de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que du premier paragraphe du premier protocole additionnel à cette convention.

Sur les autres moyens :

8. D'une part, l'instruction en litige, après avoir rappelé que l'article L. 3421-1 du code de la santé publique exclut du bénéfice de l'amende forfaitaire l'usage de stupéfiants commis dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions par certaines personnes, notamment dépositaires de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, ajoute que : " Afin de prévenir toute difficulté d'interprétation, il convient de ne pas distinguer selon que l'usage de stupéfiants a lieu dans l'exercice des fonctions ou en dehors, en excluant le recours à la procédure d'amende forfaitaire pour tout usager exerçant l'une des professions visées par l'article L. 3421-1 du code de la santé publique ".

9. D'autre part, l'instruction en litige, après avoir rappelé que l'article L. 3421-1 du code de la santé publique permet de mettre en œuvre la procédure d'amende forfaitaire pour le délit d'usage de stupéfiants sans opérer de distinction entre les produits stupéfiants, ajoute que : " Il convient toutefois de réserver le recours à cette procédure à certains produits stupéfiants et uniquement lorsque de petites quantités sont découvertes sur le mis en cause. / Les procureurs généraux et les procureurs de la République agissant sous leur autorité pourront utilement fixer dans leurs instructions de politique pénale des seuils de quantités au-delà desquelles les forces de l'ordre ne devront pas mettre en œuvre cette procédure. / Sous réserve des niveaux de délinquance propres à chaque ressort, les parquets généraux veilleront à harmoniser autant que possible ces seuils entre les juridictions connaissant un niveau de délinquance équivalent. / En tout état de cause, il convient d'exclure le recours à la procédure d'amende forfaitaire pour d'autres stupéfiants que le cannabis, la cocaïne et l'ecstasy/MDMA. Les quantités maximales susceptibles de donner lieu à une telle procédure sont les suivantes : - cannabis : jusqu'à 50 grammes ; / - cocaïne : jusqu'à 5 grammes ; / - Ecstasy (MDMA) : jusqu'à 5 cachets ou 5 grammes de poudre. / De manière exceptionnelle, les procureurs de la République pourront autoriser, dans des conditions dérogatoires à celles fixées ci-dessus, le recours à la procédure d'amende forfaitaire lorsque des circonstances particulières le justifient, notamment l'organisation de rave party, nécessitant de délivrer rapidement un grand nombre de réponses pénales ".

10. En énonçant les instructions générales rappelées aux points précédents, le garde des sceaux, ministre de la justice, s'est borné à mettre en œuvre les missions que lui attribue l'article 30 du code de procédure pénale pour, comme il lui était loisible de le faire, orienter l'action des magistrats du parquet dans la mise en œuvre de la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle. Il résulte des termes mêmes de la dépêche attaquée que les orientations qu'elle définit font la réserve de celles qui sont décidées localement, par les procureurs généraux et les procureurs de la République, pour tenir compte du contexte propre à leurs ressorts, dans l'exercice de leurs prérogatives au titre de la mise en mouvement et de l'exercice de l'action publique. L'association requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le ministre aurait empiété sur le domaine réservé à la loi en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution ni méconnu les dispositions législatives dont il a précisé les conditions de mise en œuvre.

11. Enfin, en écartant l'applicabilité de la procédure d'amende forfaitaire délictuelle en cas de constatation simultanée de plusieurs infractions dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, le garde des sceaux, ministre de la justice s'est borné à rappeler les dispositions législatives applicables. Par suite, l'association requérante ne peut utilement soutenir que la dépêche attaquée méconnaitrait pour ce motif le principe d'égalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis, que la requête de l'association National organisation for the reform of marijuana laws France, doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association National organisation for the reform of marijuana laws France est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association National organisation for the reform of marijuana laws France et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 21 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470350
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 déc. 2023, n° 470350
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470350.20231221
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