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19/12/2023 | FRANCE | N°467283

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 19 décembre 2023, 467283


Vu la procédure suivante :



M. T... F..., M. R... Q..., Mme AA..., M. P... A..., M. W... Z..., M. M... N..., Mme Y... C..., M. D... O..., M. E... J..., M. M... V..., M. AB... S..., Mme B... U..., M. H... L... et Mme G... X... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 octobre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde d

e l'emploi de la société Sealants Europe. Par un jugement n° 2115415-...

Vu la procédure suivante :

M. T... F..., M. R... Q..., Mme AA..., M. P... A..., M. W... Z..., M. M... N..., Mme Y... C..., M. D... O..., M. E... J..., M. M... V..., M. AB... S..., Mme B... U..., M. H... L... et Mme G... X... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 octobre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Sealants Europe. Par un jugement n° 2115415-2115416 du 8 mars 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 22VE00783-22VE01082 du 5 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. F... et autres contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 septembre et 18 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. T... F..., M. R... Q..., Mme AA..., M. P... A..., M. W... Z..., M. M... N..., Mme Y... C..., M. D... O..., M. E... J..., M. M... V..., M. AB... S..., Mme B... U..., M. H... L... et Mme G... X... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur requête ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. T... F..., de M. K... Q..., de Mme AA..., de M. P... A..., de M. W... Z..., de M. M... N..., de Mme Y... C..., de M. D... O..., de M. E... J..., de M. M... V..., de M. AB... S..., de Mme B... U..., de M. H... L... et de Mme G... X... et au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la société société Sealants Europe ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Sealants Europe, appartenant au groupe PPG Industries et spécialisée dans la production de mastics et d'adhésifs pour le secteur de l'aéronautique et de l'automobile, a décidé de cesser son activité en France, en fermant son établissement situé à Bezons, entraînant la suppression de l'ensemble des emplois de cet établissement. Le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Ile-de-France a, par une décision du 11 octobre 2021, homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi. Par un jugement du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du comité social et économique (CSE) de la société Sealants Europe tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2021. Par un arrêt du 17 mai 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du CSE de la société Sealants Europe, annulé le jugement du 18 janvier 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la décision du 11 octobre 2021. Par un jugement du 8 mars 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de M. F... et des treize autres salariés requérants tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2021. Les quatorze salariés requérants se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 5 juillet 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre ce dernier jugement.

2. En premier lieu, le juge de l'excès de pouvoir ne peut, en principe, déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable. Par suite, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que la cour administrative d'appel aurait commis une erreur de droit en retenant qu'il y avait lieu de statuer sur leur requête d'appel en dépit de l'intervention de l'arrêt du 17 mai 2022 par lequel cette cour, statuant sur une autre requête, avait annulé la décision d'homologation du 11 octobre 2021 qu'ils attaquaient également, dès lors qu'à la date à laquelle la cour a statué sur leur requête d'appel, le délai du recours en cassation contre l'arrêt du 17 mai 2022 n'était pas encore expiré.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre (...) ". L'article L. 1233-28 du même code prévoit qu'il appartient en ce cas à l'employeur de réunir et consulter le comité social et économique. Aux termes de l'article L. 1233-30 de ce code : " I.-Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité social et économique sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ; / 2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. / (...) / Le comité social et économique tient au moins deux réunions espacées d'au moins quinze jours. / II.- Le comité social et économique rend ses deux avis dans un délai qui ne peut être supérieur, à compter de la date de sa première réunion au cours de laquelle il est consulté sur les 1° et 2° du I, à : / (...) / 2° Trois mois lorsque le nombre des licenciements est au moins égal à cent et inférieur à deux cent cinquante ; / (...). / Une convention ou un accord collectif de travail peut prévoir des délais différents. / En l'absence d'avis du comité social et économique dans ces délais, celui-ci est réputé avoir été consulté ". Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code : " (...) l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'administration ne peut être régulièrement saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi que si cette demande est accompagnée des avis rendus par le comité social et économique, ou, en l'absence de ces avis, si le comité social et économique est réputé avoir été consulté. Il appartient alors à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part, sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. A ce titre, il appartient à l'administration de s'assurer que l'employeur a adressé au comité tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. Lorsque la demande est accompagnée des avis rendus par le comité social et économique, il résulte des dispositions citées ci-dessus que la circonstance que le comité social et économique ait rendu ses avis au-delà des délais qu'elles prévoient est par elle-même sans incidence sur la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité. En l'absence d'avis du comité social et économique, l'administration ne peut légalement homologuer ou valider le plan de sauvegarde de l'emploi qui lui est transmis que si, d'une part, le comité a été mis à même, avant cette transmission, de rendre ses deux avis en toute connaissance de cause dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation et que, d'autre part, le délai prévu par ces dispositions est échu à la date de cette transmission.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que, pour la mise en œuvre des dispositions citées au point 3, le comité social et économique de la société Sealants Europe s'est réuni les 8 mars, 23 juillet et 16 septembre 2021, et que s'il a disposé des informations utiles sur l'opération projetée et ses modalités d'application, sur le projet de licenciement collectif ainsi que sur les conséquences du projet sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des travailleurs pour lui permettre de rendre ses avis en toute connaissance de cause, il s'est abstenu de rendre un avis sur l'opération projetée et le projet de licenciement collectif. En jugeant, dans ces conditions, que la décision d'homologation n'était pas illégale en ce qu'elle retenait que la procédure d'information et de consultation avait été régulière, alors même que le comité s'était finalement abstenu d'émettre un avis, la cour, dont l'arrêt est sur ce point suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En troisième lieu, si l'article L. 1224-1 du code du travail précise que " lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ", il n'appartient pas à l'autorité administrative statuant sur une demande d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi d'en vérifier la bonne application. Par suite, en écartant comme inopérant le moyen tiré de l'illégalité de la décision contestée en raison de l'absence de contrôle par l'administration du respect des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. F... et autres doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Sealants Europe au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. T... F... et autres est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Sealants Europe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. T... F..., premier requérant dénommé, à la société Sealants Europe et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467283
Date de la décision : 19/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Il n’appartient pas à l’autorité administrative statuant sur une demande d’homologation d’un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de vérifier la bonne application de l’article L. 1224-1 du code du travail, selon lequel tous les contrats de travail en cours au jour d’une modification dans la situation juridique de l'employeur subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Le moyen tiré de sa méconnaissance est donc inopérant à l’appui de la contestation de la décision d’homologation.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2023, n° 467283
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Fraval
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467283.20231219
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