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18/12/2023 | FRANCE | N°451878

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 18 décembre 2023, 451878


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 avril 2021, 20 juillet 2021 et 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés PricewaterhouseCoopers Audit et PricewaterhouseCoopers Entreprises et M. I... H... demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision n° FR 2019-09 S du 19 février 2021 de la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes en tant qu'elle a prononcé, d'une part, un blâme

l'encontre de chacun des requérants, d'autre part, une sanction pécuniaire d'un montan...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 avril 2021, 20 juillet 2021 et 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés PricewaterhouseCoopers Audit et PricewaterhouseCoopers Entreprises et M. I... H... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° FR 2019-09 S du 19 février 2021 de la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes en tant qu'elle a prononcé, d'une part, un blâme à l'encontre de chacun des requérants, d'autre part, une sanction pécuniaire d'un montant de 50 000 euros à l'encontre de la société PricewaterhouseCoopers Audit et de 10 000 euros à l'encontre de M. H... ;

2°) de mettre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Pricewaterhousecoopers Audit et autres et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat du Haut conseil du commissariat aux comptes ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 novembre 2023, présentée par les sociétés PricewaterhouseCoopers Audit et PricewaterhouseCoopers Entreprises et M. H... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que le 27 mars 2017, le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes a saisi le rapporteur général du Haut conseil du commissariat aux comptes afin qu'il soit procédé à une enquête sur la certification des comptes du groupe Agripole, groupe agroalimentaire, détenu à 100 % par Mme J... K..., décédée en 2016, et qui regroupait une filiale, Financière Turenne Lafayette, et plusieurs sous-filiales, Paul Prédault, Madrange, William Saurin, Montagne noire, Tradition traiteur, Germanaud, Géo, Conserverie du Languedoc, Les salaisons de l'Arrée. Le 28 mars 2017, le rapporteur général a ouvert une enquête portant sur les missions de certification des comptes annuels et consolidés de la société Agripole, pour les exercices clos de 2012 à 2015. Sur cette période, plusieurs sociétés sont intervenues pour procéder à l'audit des comptes de la société Agripole et de ses filiales. La société Mazars a été le commissaire aux comptes de la société Agripole et de sa filiale Financière Turenne Lafayette ainsi que des sous-filiales Conserverie du Languedoc, William Saurin, Paul Prédault, Germanaud, Montagne Noire, Tradition Traiteur, Madrange et Géo. M. E... F... était l'associé signataire des comptes pour la société Mazars, rejoint, à compter de 2012, par M. A... L.... Deux sociétés appartenant au réseau de PricewaterhouseCoopers (PWC) sont successivement intervenues dans l'audit des comptes de ces sociétés, à savoir la société PWC Entreprises pour les sociétés Financière Turenne Lafayette, Madrange, Géo, puis PWC Audit pour les comptes annuels 2015 de la société Agripole et de sa filiale la société Financière Turenne Lafayette ainsi que les comptes annuels 2014 et 2015 des sociétés Madrange et Géo. M. I... H... était l'associé signataire des comptes pour les sociétés PWC Entreprises et PWC Audit. La société D... C... et associés est intervenue en qualité de co-commissaire aux comptes de la société Agripole, les comptes étant certifiés par M. D... C.... Enfin, M. G... B... a été commissaire aux comptes de la société Les Salaisons de l'Arrée. Le 7 février 2019, les griefs ont été notifiés à MM. H..., B..., F..., L... et C... ainsi qu'aux sociétés Mazars, PWC Audit, PWC Entreprises et D... C... et associés. Par une décision du 19 février 2021, la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a prononcé à l'encontre de M. H... un blâme et une sanction pécuniaire d'un montant de 10 000 euros, à l'encontre de PWC Entreprises un blâme et à l'encontre de PWC Audit un blâme et une sanction pécuniaire de 50 000 euros. Des sanctions ont également été prononcées à l'encontre des autres mis en cause.

Sur la régularité de la procédure de sanction :

En ce qui concerne le respect des principes du droit de la défense :

2. Aux termes de l'article R. 824-11 du code de commerce dans sa version alors applicable : " (...) La lettre de notification mentionne le délai dont dispose la personne poursuivie pour transmettre au rapporteur général ses observations écrites sur ces griefs. Ce délai ne peut être inférieur à un mois à compter de la réception de la lettre de notification des grief (...) ". Il résulte de l'instruction qu'un délai de quatre mois, à compter de la réception de la lettre notifiant les griefs, a été laissé aux sociétés PWC Audit et PWC Entreprises et à M. H... pour répondre à cette notification. Un tel délai étant suffisant pour leur permettre de faire utilement valoir leurs observations, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la procédure suivie aurait, à cet égard, méconnu les dispositions de l'article R. 824-11 du code de commerce et le principe des droits de la défense. S'ils invoquent d'autres manquements à ce principe, ils se contentent d'affirmations générales sur le fait que l'enquête aurait été menée à charge ou que certaines pièces ne leur auraient été transmises que tardivement, sans apporter d'éléments justifiant l'atteinte ainsi alléguée.

En ce qui concerne la saisine de la formation restreinte :

3. Aux termes de l'article R. 824-13 du code de commerce dans sa version alors applicable : " Une copie de la notification des griefs, du rapport final, des observations de la personne poursuivie et de la désignation de la formation compétente pour statuer est transmise par le rapporteur général au président de cette formation ".

4. Il résulte de l'instruction que la formation restreinte a été saisie par une lettre du rapporteur général en date du 12 novembre 2019 comportant la notification des griefs, son rapport final, les observations des personnes poursuivies, ainsi que l'entier dossier de la procédure. Par suite, le moyen tiré de ce que la formation restreinte n'aurait pas été régulièrement saisie doit être écarté.

En ce qui concerne le principe d'impartialité :

5. L'article L. 821-1 du code de commerce prévoit que le Haut conseil du commissariat aux comptes, qui est une autorité publique indépendante, exerce les missions qu'il énumère parmi lesquelles figurent notamment l'adoption, dans les conditions prévues à l'article L. 821-14, des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel ainsi que le prononcé de sanctions. L'article L. 821-2 du code de commerce précise l'organisation du Haut conseil, qui comporte un collège de quatorze membres, présidé par un membre de la Cour de cassation, et une formation restreinte, chargée du prononcé des sanctions, présidée par l'un des deux autres magistrats de l'ordre judiciaire qui siègent au collège et comprenant quatre autres membres élus par le collège en son sein, à l'exception des membres du bureau et du directeur général du Trésor ou de son représentant. Cet article prévoit également qu'une commission placée auprès du Haut conseil, composée à parité de quatre membres du collège et de quatre commissaires aux comptes désignés par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, est compétente pour élaborer, dans un délai fixé par décret, les projets des normes prévues à l'article L. 821-1 du code de commerce, lesquels doivent être adoptés par le Haut conseil ou, à défaut d'élaboration dans ce délai, élaborés par lui.

6. Aux termes de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ".

7. L'attribution par la loi à une autorité administrative du pouvoir de fixer les règles dans un domaine déterminé et d'en assurer elle-même le respect, par l'exercice d'un pouvoir de contrôle des activités exercées et de sanction des manquements constatés, ne contrevient pas aux exigences rappelées par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que ce pouvoir de sanction est aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et l'impartialité de la décision.

8. Les articles L. 821-1 et suivants du code de commerce prévoient notamment, ainsi qu'il a été dit au point 5, que le collège du Haut conseil du commissariat aux comptes adopte des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel et que sa formation restreinte exerce le pouvoir disciplinaire à l'égard des commissaires aux comptes. Les articles L. 824-1 et suivants du même code précisent notamment la nature des manquements susceptibles d'être réprimés et les sanctions dont sont passibles les commissaires aux comptes ainsi que la procédure disciplinaire applicable, qui prévoit l'engagement de la procédure par la saisine du rapporteur général, puis une phase d'enquête, conduite par le rapporteur général qui entend notamment la personne intéressée, et qui se conclut par un rapport adressé au collège du Haut conseil. Celui-ci délibère, hors la présence des membres de la formation restreinte, pour arrêter les griefs reprochés à la personne en cause, qui sont alors notifiés à la personne intéressée par le rapporteur général. Enfin, sur la base d'un rapport final du rapporteur général qui lui est adressé avec les observations de la personne intéressée, la formation restreinte est saisie et entend notamment, lors d'une audience publique, la personne poursuivie, laquelle peut être assistée ou représentée par la personne de son choix et peut, lorsqu'il existe une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité d'un membre de la formation, en obtenir la récusation, ainsi que les conclusions du rapporteur général ou de son représentant, avant de délibérer hors la présence des parties et du rapporteur général.

9. Eu égard à ce qui précède, d'une part, le principe du cumul au sein du Haut conseil d'un pouvoir d'élaboration de normes et de sanction de leur méconnaissance n'est pas, par lui-même, de nature à méconnaître les exigences découlant du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le pouvoir de sanction confié à cette autorité étant organisé dans des conditions qui assurent le respect des droits de la défense, du caractère contradictoire de la procédure et des principes d'indépendance et d'impartialité. D'autre part, le fait qu'aucune disposition du code de commerce ne fasse obstacle à ce que des membres de la formation restreinte du collège du Haut conseil qui statue en matière disciplinaire aient par ailleurs siégé dans les instances de ce Haut conseil chargées d'élaborer ou d'adopter les normes dont la formation restreinte est amenée à faire application lorsqu'elle se prononce sur les procédures individuelles dont elle est saisie, n'est pas non plus, par lui-même, de nature à méconnaître les exigences découlant de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur le bien-fondé de la décision :

En ce qui concerne l'application des dispositions de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises du 22 mai 2019 :

10. En premier lieu, l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises n'était pas subordonnée à l'adoption de mesures réglementaires nouvelles, les dispositions figurant dans la partie réglementaire du code de commerce permettant déjà, en tout état de cause, la mise en œuvre des nouvelles dispositions législatives.

11. En deuxième lieu, cette loi a supprimé les commissions régionales de discipline et prévoit, dans la nouvelle rédaction de l'article L. 824-8 du code de commerce, la saisine directe de la formation restreinte du Haut conseil, qui est désormais la seule entité compétente pour connaître des actions disciplinaires, par le rapporteur général ayant établi un rapport final. Si, s'agissant d'une règle de procédure, celle-ci a vocation à s'appliquer dès l'entrée en vigueur de la loi, y compris à des procédures en cours, cette évolution est sans incidence, d'une part sur la possibilité, pour le rapporteur général, d'abandonner tout ou partie des griefs et, d'autre part, sur les droits, reconnus par l'article L. 824-8 du code de commerce aux personnes poursuivies, d'avoir accès au dossier, de présenter leurs observations et de se faire assister par un conseil de leur choix à toutes les étapes de la procédure. Par suite, le moyen tiré de ce que l'application de la loi aux instances en cours priverait les personnes concernées de garanties protégées par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'application des normes d'exercice professionnel pour caractériser la faute disciplinaire :

12. Aux termes du I de l'article L. 824-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes : " Constitue une faute disciplinaire : / 1° Tout manquement aux conditions légales d'exercice de la profession ; / 2° Toute négligence grave et tout fait contraire à la probité ou à l'honneur (...) ". Aux termes de l'article L. 821-13 du même code, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 17 mars 2016 : " Les commissaires aux comptes exercent leur mission conformément aux normes internationales d'audit adoptées par la Commission européenne dans les conditions définies par la directive 2006/43/CE du 17 mai 2006. En l'absence de norme internationale d'audit adoptée par la Commission, ils se conforment aux normes d'exercice professionnel élaborées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et homologuées par le garde des sceaux, ministre de la justice, après avis du Haut Conseil du commissariat aux comptes (...) ". Aux termes de l'article L. 821-13 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 : " I-Le commissaire aux comptes exerce sa mission conformément aux normes d'audit internationales adoptées par la Commission européenne dans les conditions définies par l'article 26 de la directive 2006/43/ CE du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/ CEE et 83/349/ CEE du Conseil, et abrogeant la directive 84/253/ CEE du Conseil, ainsi que, le cas échéant, aux normes françaises venant compléter ces normes adoptées selon les conditions fixées au troisième alinéa du présent article. / En l'absence de norme d'audit internationale adoptée par la Commission, il se conforme aux normes adoptées par le Haut conseil du commissariat aux comptes et homologuées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice ". Il résulte de ces dispositions que, tant avant qu'après la réforme opérée par l'ordonnance du 17 mars 2016, le non-respect d'une norme d'exercice professionnel, qui constitue un manquement à une obligation professionnelle pesant sur les commissaires aux comptes, est susceptible de constituer une faute disciplinaire.

13. Il en résulte que si, à la différence de l'ancien article R. 822-32 du code de commerce, qui définissait les fautes disciplinaires avant la réforme opérée par l'ordonnance du 17 mars 2016, le I de l'article L. 824-1 du code de commerce ne se réfère pas expressément aux " infractions aux normes d'exercice professionnel ", il n'en découle pas que les obligations professionnelles pesant sur les commissaires aux comptes auraient été modifiées. Par suite, c'est sans méconnaissance du principe de rétroactivité in mitius que la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes s'est fondée sur la méconnaissance de normes d'exercice professionnel pour caractériser la faute disciplinaire commise par les requérants.

14. D'autre part, les requérants soutiennent que le principe de légalité des délits et des peines s'opposait à ce que la formation restreinte du Haut Conseil du commissariat aux comptes puisse infliger une sanction fondée sur la méconnaissance des normes d'exercice professionnel, qui n'auraient pas défini avec une précision suffisante les obligations imposées aux commissaires aux comptes. Toutefois, pour ce qui concerne les sanctions susceptibles d'être infligées aux membres des professions réglementées, y compris celles revêtant un caractère disciplinaire, le principe de légalité des délits et des peines est satisfait dès lors que les textes applicables font référence à des obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent ou de l'institution dont ils relèvent. Par suite, c'est à bon droit que la décision attaquée a retenu que la méconnaissance des normes d'exercice professionnel pouvait faire l'objet d'une sanction disciplinaire.

En ce qui concerne les manquements retenus :

15. Par la décision attaquée, la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a retenu, à l'encontre de la société PWC Entreprises, des griefs relatifs à l'émission d'opinions non étayées en raison de l'absence de documentation suffisante de travaux d'audit ou encore d'absence de revue croisée, d'analyse critique des travaux des co-commissaires aux comptes s'agissant des comptes annuels 2012 et 2013 des sociétés Madrange et Géo et pour les comptes annuels 2013 et 2014 de la société Financière Turenne Lafayette, à l'encontre de la société PWC Audit, des griefs relatifs à l'émission d'opinions non étayées ou erronées en raison de l'absence de documentation de travaux d'audit suffisants et appropriés ou encore d'absence de revue croisée, d'analyse critique des travaux des co-commissaires aux comptes s'agissant des comptes annuels 2014 et 2015 des sociétés Madrange et Géo et des comptes consolidés 2015 de la société Agripole, l'ensemble de ces mêmes griefs étant également retenus à l'encontre de M. H.... La requête conteste les griefs retenus à propos des avances financières sur stocks de viande porcine espagnole et ceux relatifs à la comptabilisation, dans les comptes consolidés 2015 de la société Agripole, de certaines factures comptabilisées par la société William Saurin.

16. Aux termes de l'article L. 823-15 du code de commerce dans sa version alors applicable : " Lorsque la personne ou l'entité est astreinte à désigner deux commissaires aux comptes, ceux-ci se livrent ensemble à un examen contradictoire des conditions et des modalités d'établissement des comptes, selon les prescriptions énoncées par une norme d'exercice professionnel établie conformément au sixième alinéa de l'article L. 821-1. Une norme d'exercice professionnel détermine les principes de répartition des diligences à mettre en œuvre par chacun des commissaires aux comptes pour l'accomplissement de leur mission ". Aux termes des paragraphes 10 à 14 de la NEP 100 relative à l'audit des comptes réalisés par plusieurs commissaires aux comptes : " 10. Chaque commissaire aux comptes procède à une revue des travaux mis en œuvre par les co-commissaires aux comptes. / 11. Cette revue lui permet d'apprécier si : / les travaux mis en œuvre par les co-commissaires aux comptes : / correspondent à ceux définis lors de la répartition ou décidés lors de la réévaluation du risque d'anomalies significatives au niveau des assertions ; / ont permis de collecter des éléments suffisants et appropriés pour permettre d'aboutir à des conclusions à partir desquelles il pourra fonder son opinion sur les comptes ; / les conclusions auxquelles les co-commissaires aux comptes ont abouti sont pertinentes et cohérentes. / 12. Chaque commissaire aux comptes fait figurer dans son dossier les éléments de la revue qui permettent d'étayer son appréciation des travaux effectués par les co-commissaires aux comptes. / 13. En fonction de son appréciation des travaux réalisés par les autres commissaires aux comptes et des conclusions auxquelles ces derniers ont abouti, chaque commissaire aux comptes détermine s'il convient de mettre en œuvre des procédures d'audit supplémentaires. / 14. Il s'en entretient avec les autres commissaires aux comptes. Le cas échéant, ils définissent de manière concertée la nature, le calendrier et l'étendue des procédures supplémentaires à mettre en œuvre ".

17. S'il est vrai que M. H..., la société PWC Entreprises puis, à compter de 2015, la société PWC Audit, sont intervenus comme co-commissaires aux comptes, avec la société Mazars, pour les comptes des sociétés Madrange et Géo des exercices 2012 à 2015 et pour les comptes consolidés de la société Agripole et qu'à ce titre leur contrôle devait s'organiser conjointement avec celui mené par cette société, il n'en demeure pas moins qu'en vertu des dispositions citées au point 16 ils étaient tenus de documenter les éléments permettant d'étayer leur appréciation sur le travail mené par leur co-commissaire aux comptes et, en cas de doute, de mettre en œuvre des procédures de contrôle supplémentaire.

18. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, s'agissant des avances sur stocks de viande porcine, l'appréciation portée par les requérants sur les comptes sociaux 2012 et 2013 des sociétés Madrange et Géo ne reposait sur aucun élément fourni par la société Mazars, puisqu'interrogé par M. H... en 2013 à propos de ces avances, M. L..., associé de la société Mazars, n'a fourni une note qu'en 2014. Par ailleurs, s'agissant des comptes consolidés de la société Agripole pour 2015, la formation restreinte a relevé, sans que cela soit contesté par les requérants, que la note fournie ne permettait pas d'établir avec suffisamment de certitude qu'il n'était pas nécessaire, comme le prévoit dans certains cas le paragraphe 13 de la NEP 100, de mettre en œuvre des procédures d'audit supplémentaires. Par suite, la formation restreinte a fait une exacte application de ces dispositions en retenant les griefs tirés de l'absence ou de l'insuffisance de revue croisée des comptes.

19. En deuxième lieu, s'agissant de la comptabilisation dans les comptes consolidés 2015 de la société Agripole, au titre des comptes de la société William Saurin, de factures à établir, il résulte de l'instruction qu'alors que les comptes de William Saurin ont été audités par la société Mazars, lors du contrôle des comptes consolidés 2015 de la société Agripole, dont la société PWC Audit et M. H... assuraient la revue croisée, ils se sont contentés, s'agissant de ces factures d'un montant de 21,5 M€, d'interroger M. L..., sans qu'aucun élément de documentation ne figure dans leur dossier, permettant, comme le prévoit pourtant le paragraphe 12 de la NEP 100 citée au point 16, d'étayer leur appréciation des travaux effectués par les co-commissaires aux comptes. Le moyen tiré de ce que la formation restreinte ne pouvait pas retenir ce grief tiré de la méconnaissance de la NEP 100 doit donc être écarté.

Sur la sanction prononcée :

20. Aux termes de l'article L. 822-8 du code de commerce dans sa version en vigueur avant le 17 juin 2016 : " Les sanctions disciplinaires sont : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'interdiction temporaire pour une durée n'excédant pas cinq ans ; / 4° La radiation de la liste. / Il peut être aussi procédé au retrait de l'honorariat (...) " Aux termes de l'article L. 824-2 du code de commerce, issu de l'ordonnance du 16 mars 2016 et entré en vigueur le 17 juin 2016 : " I. - Les commissaires aux comptes sont passibles des sanctions suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pour une durée n'excédant pas cinq ans ; / 4° La radiation de la liste ; / 5° Le retrait de l'honorariat. / II.- Les commissaires aux comptes peuvent également faire l'objet des sanctions suivantes : (...) 3° Le paiement, à titre de sanction pécuniaire, d'une somme ne pouvant excéder : / a) Pour une personne physique, la somme de 250 000 € ; / b) Pour une personne morale, la plus élevée des sommes suivantes : / - un million d'euros ; / - lorsque la faute intervient dans le cadre d'une mission de certification, la moyenne annuelle des honoraires facturés au titre de l'exercice durant lequel la faute a été commise et des deux exercices précédant celui-ci, par le commissaire aux comptes, à la personne ou à l'entité dont il est chargé de certifier les comptes ou, à défaut, le montant des honoraires facturés par le commissaire aux comptes à cette personne ou entité au titre de l'exercice au cours duquel la faute a été commise (...) ". Aux termes de l'article L. 824-12 du code de commerce : " Les sanctions sont déterminées en tenant compte : / 1° De la gravité et de la durée de la faute ou du manquement reprochés ; / 2° De la qualité et du degré d'implication de la personne intéressée ; / 3° De la situation et de la capacité financière de la personne intéressée, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / 4° De l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne intéressée, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / 5° Du degré de coopération dont a fait preuve la personne intéressée dans le cadre de l'enquête ; / 6° Des manquements commis précédemment par la personne intéressée ; / 7° Lorsque la sanction est prononcée en raison de manquement aux dispositions des sections 3 à 6 du chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, elle est en outre déterminée en tenant compte, le cas échéant, de l'importance du préjudice subi par les tiers ".

21. Il résulte de l'instruction que les sociétés PWC Entreprises puis PWC Audit étaient chargées de contrôler les comptes de certaines sociétés du groupe Agripole depuis de nombreuses années, détenant certains mandats depuis 1996 ou 2001, M. H... étant intervenu à compter de 2008. Ainsi que cela a été dit au point 15, de nombreux manquements ont été retenus à l'encontre des requérants, traduisant une négligence grave dans l'exercice de leur mission de commissaires aux comptes. Ils ont, faute de contrôle adéquat, laissé perdurer des irrégularités importantes, comme l'illustrent les manquements relevés aux points 18 et 19.

22. Le blâme prononcé à l'encontre de la société PWC Audit et les sanctions prononcées à l'encontre de la société PWC Entreprises et à l'encontre de M. H..., qui sont suffisamment motivées, sont proportionnées à la gravité des faits qui leur sont reprochés En revanche, au regard de la gravité des manquements caractérisés par la décision de sanction, de l'implication directe des requérants et de la capacité financière de la société PWC Audit, la Présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes est fondée à demander que la sanction prononcée par la formation restreinte soit aggravée et soit portée pour la société PWC Audit à une sanction pécuniaire de 300 000 euros.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société PWC Entreprises et autres doit être rejetée et que la décision de sanction attaquée doit être réformée, la sanction pécuniaire infligée à la société PWC Audit étant portée à 300 000 euros. Dans la mesure où, en application de l'article L. 824-13 du code de commerce, les décisions du Haut conseil sont publiées sur son site internet, la Présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes est fondée à demander que la présente décision du Conseil d'Etat soit publiée sur le site internet du Haut conseil du commissariat aux comptes dans les mêmes conditions que la décision de sanction réformée

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés PWC Audit et PWC Entreprises et de M. H... la somme de 3 000 euros à verser au Haut conseil du commissariat aux comptes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société PWC Entreprises et autres est rejetée.

Article 2 : La sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société PWC Audit est portée à 300 000 euros et la décision de la commission des sanctions du 19 février 2021 est réformée en ce sens.

Article 3 : La présente décision du Conseil d'Etat sera publiée sur le site internet du Haut conseil du commissariat aux comptes dans les mêmes conditions que la décision de sanction ainsi réformée.

Article 4 : Les sociétés PWC Entreprises et PWC Audit et M. H... verseront la somme de 3 000 euros au Haut conseil du commissariat aux comptes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du recours incident de la Présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société PricewaterhouseCoopers Audit, à la société PricewaterhouseCoopers Entreprises, à M. I... H... et au Haut conseil du commissariat aux comptes.

Copie en sera adressée au Garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société Mazars, à M. L..., à M. F..., à M. C..., à la société D... C... et associés et à M. B....

Délibéré à l'issue de la séance du 22 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 18 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 451878
Date de la décision : 18/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2023, n° 451878
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:451878.20231218
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