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08/12/2023 | FRANCE | N°458968

France | France, Conseil d'État, 3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies, 08 décembre 2023, 458968


Vu la procédure suivante :



La société United Technologies Paris a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1803302 du 12 septembre 2019, ce tribunal a fait droit à sa demande et prononcé la décharge de la somme de 2 763 336 euros.



Par un arrêt n° 20

VE00034 du 5 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement...

Vu la procédure suivante :

La société United Technologies Paris a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1803302 du 12 septembre 2019, ce tribunal a fait droit à sa demande et prononcé la décharge de la somme de 2 763 336 euros.

Par un arrêt n° 20VE00034 du 5 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement en tant que la décharge prononcée excédait la somme de 2 736 791 euros, remis en conséquence la somme de 26 545 euros à la charge de la société Alder Paris Holdings, venue aux droits de la société United Technologies Paris, et rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Par un pourvoi, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 30 novembre 2021 ainsi que les 6 mars et 27 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 3 et 4 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Alder Paris Holdings ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Ratier-Figeac, membre du groupe fiscalement intégré dont la société United Technologies Paris était la mère, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment remis en cause, au titre de l'exercice clos en 2011, la déduction de son résultat imposable d'une charge de 3 726 338 euros et d'une provision de 3 421 225 euros, correspondant toutes deux à des dommages-intérêts punitifs qu'elle avait été condamnée par le tribunal fédéral du district du Kansas à verser à la société américaine ICE Corporation dans le cadre d'un litige l'opposant à cette dernière. Par un jugement du 12 septembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société United Technologies Paris tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2011 en conséquence de cette rectification, à hauteur de la somme de 2 763 336 euros. Par un arrêt du 5 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles, après avoir jugé que les moyens accueillis par le tribunal ne pouvaient conduire qu'à la décharge de la somme de 2 736 791 euros et non à celle de 2 763 336 euros, a remis à la charge de la société Alder Paris Holdings, venue aux droits de la société United Technologies Paris, la différence entre ces deux sommes, puis a rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance contre ce jugement. Le ministre se pourvoit en cassation contre les articles 3 et 4 de cet arrêt.

2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, le " bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges ", notamment celle des " frais généraux de toute nature ". Toutefois, le 2 de ce même article dispose que " [l]es sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l'impôt ". Ces dernières dispositions font obstacle à la déduction de toute somme d'argent mise, aux fins de prévention et de répression, à la charge d'un contribuable qui a méconnu une obligation légale. N'est ainsi pas déductible, en application de ces dispositions, la sanction pécuniaire prononcée par une autorité étrangère à raison de la méconnaissance d'une obligation légale étrangère, sauf si cette sanction a été prononcée en contrariété avec la conception française de l'ordre public international.

3. Pour juger que les dommages-intérêts punitifs en litige devaient être regardés, non comme des sanctions pécuniaires au sens des dispositions citées au point 2 mais comme un complément d'indemnité accordé à la victime, déductible du bénéfice imposable, la cour administrative d'appel de Versailles s'est fondée sur la circonstance qu'ils avaient été prononcés dans le cadre d'un litige commercial pour la satisfaction d'intérêts privés et versés à la victime. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des énonciations de son arrêt que ces dommages-intérêts punitifs visaient à dissuader la réitération de faits similaires à celui à l'origine du dommage et s'ajoutaient aux dommages-intérêts compensatoires versés par ailleurs pour réparer le préjudice subi, ce qui leur conférait le caractère d'une sanction pécuniaire au sens des dispositions citées au point 2, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, à demander l'annulation des articles 3 et 4 de l'arrêt qu'il attaque.

4. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 3 et 4 de l'arrêt du 5 octobre 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Alder Paris Holdings au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Alder Paris Holdings.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Hervé Cassagnabère, M. Vincent Daumas, M. Frédéric

Gueudar Delahaye, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 8 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 458968
Date de la décision : 08/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03 1) Le premier alinéa du 2 de l’article 39 du code général des impôts (CGI) fait obstacle à la déduction de toute somme d’argent mise, aux fins de prévention et de répression, à la charge d’un contribuable qui a méconnu une obligation légale. ...2) a) N’est ainsi pas déductible, en application de ces dispositions, la sanction pécuniaire prononcée par une autorité étrangère à raison de la méconnaissance d’une obligation légale étrangère, sauf si cette sanction a été prononcée en contrariété avec la conception française de l’ordre public international....b) Les dommages-intérêts punitifs qu’une société française a été ou est susceptible d’être condamnée à payer à un tiers par une juridiction américaine visent à dissuader la réitération de faits similaires à celui à l’origine du dommage et s’ajoutent aux dommages-intérêts compensatoires versés par ailleurs pour réparer le préjudice subi par ce tiers, ce qui leur confère le caractère d’une sanction pécuniaire au sens du premier alinéa du 2 de l’article 39 du CGI.


Publications
Proposition de citation : CE, 08 déc. 2023, n° 458968
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Ferreira
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:458968.20231208
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