Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article R. 531-1 du code de justice administrative, de désigner un expert pour constater la superficie de son logement et déterminer si ce dernier est conforme ou non à la réglementation sanitaire applicable. Par une ordonnance n° 2201118 du 13 juin 2022, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 22NC01533 du 14 novembre 2022, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté l'appel formé par M. B... contre cette ordonnance.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 17 novembre 2022 et le 2 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne et du département de la Haute-Marne la somme de 1 500 euros chacun à verser à la SCP Bouzidi, Bouhanna, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. B..., à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne et à la SCP Foussard, Froger, avocat du département de la Haute-Marne ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 14 novembre 2022 par laquelle la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté pour irrecevabilité manifeste, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, l'appel qu'il avait formé contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 13 juin 2022 rejetant sa demande, présentée sur le fondement de l'article R. 531-1 du code de justice administrative, tendant à la désignation d'un expert pour constater la superficie de son logement et déterminer si ce dernier est conforme ou non à la réglementation sanitaire applicable.
Sur le cadre du litige :
2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 531-1 du code de justice administrative : " S'il n'est rien demandé de plus que la constatation de faits, le juge des référés peut, sur simple requête qui peut être présentée sans ministère d'avocat et même en l'absence d'une décision administrative préalable, désigner un expert pour constater sans délai les faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction. Il peut, à cet effet, désigner une personne figurant sur l'un des tableaux établis en application de l'article R. 221-9. Il peut, le cas échéant, désigner toute autre personne de son choix ". En vertu de l'article R. 533-1 du code de justice administrative, l'ordonnance rendue en application des dispositions de l'article R. 531-1 est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification. Dans ce cas, le président de la cour ou le magistrat désigné par lui dispose, en vertu du premier alinéa de l'article R. 533-3, des pouvoirs prévus à l'article R. 531-1. En vertu du second alinéa de l'article R. 533-3, l'ordonnance rendue par le président de la cour ou par le magistrat désigné par lui est susceptible de recours en cassation dans la quinzaine de sa notification.
3. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel (...) peuvent, par ordonnance : / (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; / (...) ". L'article R. 612-1 du même code prévoit que : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. / Toutefois, la juridiction d'appel ou de cassation peut rejeter de telles conclusions sans demande de régularisation préalable pour les cas d'irrecevabilité tirés de la méconnaissance d'une obligation mentionnée dans la notification de la décision attaquée conformément à l'article R. 751-5. / La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l'information prévue à l'article R. 611-7 ". En vertu du deuxième alinéa de l'article R. 751-5 du même code, lorsque la décision rendue relève de la cour administrative d'appel et, sauf lorsqu'une disposition particulière a prévu une dispense de ministère d'avocat en appel, la notification mentionne que l'appel ne peut être présenté que par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. Les mandataires mentionnés par l'article R. 431-2 sont soit un avocat, soit un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
4. D'autre part, l'article R. 811-7 du code de justice administrative dispose : " Les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. / Lorsque la notification de la décision soumise à la cour administrative d'appel ne comporte pas la mention prévue au troisième alinéa de l'article R. 751-5, le requérant est invité par la cour à régulariser sa requête dans les conditions fixées aux articles R. 612-1 et R. 612-2 (...) ". Ces dispositions sont applicables aux appels formés contre les ordonnances rendues par les juges des référés des tribunaux administratifs en l'absence de dispositions particulières qui leur sont applicables. Aucune disposition du code de justice administrative ne dispense du ministère d'avocat la partie qui relève appel d'une ordonnance rendue en référé sur une demande de constat en application des dispositions de l'article R. 531-1 de ce code.
5. Enfin, la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique prévoit, en son article 2, que les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d'une aide juridictionnelle et, en son article 25, que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat choisi par lui ou, à défaut, désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats. Il résulte des articles 75 et 76 du décret du 28 décembre 2020 portant application de cette loi que si la personne qui demande l'aide juridictionnelle ne produit pas de document attestant l'acceptation d'un avocat choisi par elle, l'avocat peut être désigné sur-le-champ par un membre du bureau d'aide juridictionnelle ayant reçu délégation du bâtonnier à cet effet.
6. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 3 à 5 que les cours administratives d'appel peuvent rejeter les requêtes d'appel irrecevables à défaut de ministère d'avocat, sans demande de régularisation préalable si le requérant a été averti dans la notification du jugement attaqué que l'obligation du ministère d'avocat s'imposait à lui en l'espèce, ou, dans le cas contraire, après l'avoir mis en demeure de régulariser sa requête. Toutefois, si le requérant a obtenu la désignation d'un avocat au titre de l'aide juridictionnelle et si cet avocat n'a pas produit de mémoire, le juge d'appel ne peut, afin d'assurer au requérant le bénéfice effectif du droit qu'il tire de la loi du 10 juillet 1991, rejeter la requête sans avoir préalablement mis l'avocat désigné en demeure d'accomplir, dans un délai qu'il détermine, les diligences qui lui incombent et porté cette carence à la connaissance du requérant, afin de le mettre en mesure, le cas échéant, de choisir un autre représentant.
Sur le pourvoi :
7. Il ressort des pièces de la procédure d'appel que le courrier du 14 juin 2022 de notification de l'ordonnance du 13 juin 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ne contenait pas la mention prévue par l'article R. 751-5 du code de justice administrative selon laquelle l'appel ne peut être présenté que par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 du même code. Il ressort également de ces mêmes pièces que, par un courrier du 12 juillet 2022, M. B..., qui avait présenté son appel sans recourir au ministère d'un avocat, a été mis en demeure de régulariser sa requête dans le délai de deux mois en recourant à l'un des mandataires mentionnés par l'article R. 431-2. Il ressort, enfin, de ces pièces qu'il a demandé le bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui lui a été accordée par une décision du 18 octobre 2022 désignant pour le représenter un avocat qui n'a pas produit de mémoire. En opposant dès le 14 novembre 2022 à la requête de M. B..., sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, une irrecevabilité tirée du défaut de ministère d'avocat, sans mettre en demeure l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle d'accomplir les diligences qui lui incombaient, ni, le cas échéant, porté sa carence à la connaissance du requérant, la présidente de la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Son ordonnance doit, dès lors, être annulée.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne et du département de la Haute-Marne la somme de 1 500 euros chacun à verser à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. B..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 14 novembre 2022 de la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : La caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne et le département de la Haute-Marne verseront chacun la somme de 1 500 euros à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. B..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la caisse d'allocations familiales de la Haute-Marne et au département de la Haute-Marne.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 novembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Sylvie Pellissier
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire