La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/11/2023 | FRANCE | N°474081

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 30 novembre 2023, 474081


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 mai et 28 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 avril 2023 l'ayant déchu de la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.







Vu les autres pi

ces du dossier ;



Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 mai et 28 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 5 avril 2023 l'ayant déchu de la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.

2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal.

3. M. A... a été déchu de la nationalité française par un décret du 5 avril 2023 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, après avoir été condamné par un jugement de la 16ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris en date du 14 juin 2018 pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Lorsque le Gouvernement décide de faire application des articles 25 et 25-1 du code civil, il notifie les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...). L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. A l'expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé est déchu de la nationalité française ".

5. Après avoir cité les textes applicables et énoncé que M. A..., qui a acquis la nationalité française en 2008, a été condamné par un jugement de la 16ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 14 juin 2018 à une peine de six ans d'emprisonnement, assorti d'une période de sûreté des deux tiers, pour avoir participé, courant 2015 jusqu'en décembre 2015, à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, le décret attaqué indique que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies et que cette sanction présente un caractère adapté sans qu'il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'intéressé ni aux autres aspects de sa situation personnelle. Dans ces conditions, le décret attaqué satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... est né de parents marocains et dispose d'un passeport marocain délivré le 23 février 2012 par le consulat du Maroc à Orléans. Par suite, le requérant, qui n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il serait dépourvu de la nationalité marocaine à la date du décret prononçant sa déchéance de la nationalité française, n'est pas fondé à soutenir que ce décret est susceptible de le rendre apatride, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 25 du code civil et du droit de l'Union européenne.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement assortie d'une période de sûreté des deux tiers pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. A..., après s'être marié religieusement avec une personne mineure radicalisée et faisant l'objet d'une interdiction de sortie du territoire, a tenté de rejoindre, avec d'autres personnes, un groupe terroriste en Syrie pour y combattre en son sein et a eu un rôle moteur dans l'organisation de leur voyage fin décembre 2015.

8. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française, qui a notamment pour effet de priver l'intéressé de ses droits civils et politiques en France, est légalement justifiée sans que le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits permette de remettre en cause cette appréciation.

9. En quatrième lieu, un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. Ainsi, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions dirigées contre le décret attaqué.

10. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. Au cas présent, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 474081
Date de la décision : 30/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 nov. 2023, n° 474081
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jérôme Goldenberg
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:474081.20231130
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award