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21/11/2023 | FRANCE | N°466680

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 21 novembre 2023, 466680


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, d'assurer l'exécution du jugement n° 098520 du 27 avril 2012 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a annulé la décision référencée " 48 SI " du 31 août 2009 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales constatant la perte de validité de son permis de conduire pour solde de points nul. Par un jugement n° 2005864 du 14 juin 2022, le

tribunal administratif a enjoint au ministre de l'intérieur de rétabl...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, d'assurer l'exécution du jugement n° 098520 du 27 avril 2012 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a annulé la décision référencée " 48 SI " du 31 août 2009 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales constatant la perte de validité de son permis de conduire pour solde de points nul. Par un jugement n° 2005864 du 14 juin 2022, le tribunal administratif a enjoint au ministre de l'intérieur de rétablir six points au capital du permis de conduire de M. A... à la suite des infractions commises par l'intéressé les 9 mai 2008 et 31 octobre 2008, et d'en tirer toutes conséquences sur le calcul du capital de points de l'intéressé.

Par un pourvoi, enregistré le 12 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande d'exécution de M. A....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la route ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision référencée " 48 SI " du 31 août 2009, le ministre de l'intérieur a constaté la perte de validité du permis de conduire de M. A... pour solde de points nul et lui a enjoint de restituer ce titre. Par un jugement du 27 avril 2012 devenu définitif, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Versailles, se fondant sur l'illégalité des deux retraits de trois points chacun consécutifs aux infractions commises les 9 mai et 31 octobre 2008 par M. A..., a annulé cette décision. M. A... a saisi le 27 février 2020 le tribunal administratif de Versailles d'une demande tendant à obtenir l'exécution de ce jugement. Par ordonnance du 10 septembre 2020, le président par intérim du tribunal a ordonné l'ouverture d'une procédure juridictionnelle. Par un jugement du 14 juin 2022, le tribunal administratif a enjoint au ministre de l'intérieur de rétablir les six points illégalement retirés du capital de points du permis de conduire de l'intéressé et d'en tirer toutes conséquences en ce qui concerne le calcul de son capital de points. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer se pourvoit en cassation contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution (...) ". En vertu de l'article R. 921-5 du même code : " Le président de la cour administrative d'appel ou du tribunal administratif saisi d'une demande d'exécution sur le fondement de l'article L. 911-4, ou le rapporteur désigné à cette fin, accomplissent toutes diligences qu'ils jugent utiles pour assurer l'exécution de la décision juridictionnelle qui fait l'objet de la demande. Lorsque le président estime qu'il a été procédé à l'exécution ou que la demande n'est pas fondée, il en informe le demandeur et procède au classement administratif de la demande. " Enfin, selon l'article R. 921-6 du même code : " Dans le cas où le président estime nécessaire de prescrire des mesures d'exécution par voie juridictionnelle, et notamment de prononcer une astreinte, ou lorsque le demandeur le sollicite dans le mois qui suit la notification du classement décidé en vertu du dernier alinéa de l'article précédent et, en tout état de cause, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de sa saisine, le président de la cour ou du tribunal ouvre par ordonnance une procédure juridictionnelle. (...) ".

3. Il résulte des dispositions des articles R. 921-5 et R. 921-6 du code de justice administrative que, lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel est saisi d'une demande d'exécution sur le fondement de l'article L. 911-4 du même code, le caractère contradictoire de l'instruction de la demande ne s'applique qu'à la phase juridictionnelle ouverte, le cas échéant, par ordonnance du président de la juridiction. Ainsi, les écritures produites, notamment par l'administration, pendant la phase d'instruction administrative ne constituent pas des mémoires devant, lorsqu'une procédure juridictionnelle a été ouverte, être visés et analysés par la décision statuant sur la demande d'exécution en application de l'article R. 741-2 du code de justice administrative. Il appartient en revanche au juge, après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, de les verser au dossier de cette procédure et de permettre ainsi aux parties d'en débattre contradictoirement.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, durant la phase d'instruction administrative de la demande d'exécution présentée par M. A..., le ministre de l'intérieur a produit le 16 juillet 2020, avant l'ouverture de la procédure juridictionnelle par le président du tribunal administratif par intérim, des observations tendant à établir qu'il avait entièrement exécuté le jugement du 27 avril 2012, ainsi que le relevé d'information intégral relatif au permis de conduire de M. A..., arrêté au 9 juillet 2020, dont il ressortait que l'administration avait rétabli les six points illégalement retirés par la décision " 48 SI " du 31 août 2009 du capital de points du permis de conduire de l'intéressé.

5. Il résulte de ce qui est dit au point 3 que le ministre de l'intérieur et des outre-mer qui, après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, n'a pas produit de mémoire en défense malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier au motif qu'il ne vise pas les éléments qu'il a transmis le 16 juillet 2020, pendant la phase d'instruction administrative de la demande d'exécution. Il appartenait toutefois au juge, après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, de verser ces éléments au dossier de cette procédure et, compte tenu des échanges contradictoires, d'en tenir compte. En s'abstenant de verser ces éléments au dossier de la procédure juridictionnelle afin qu'ils puissent être débattus contradictoirement et pris en compte, le tribunal administratif a, en conséquence, méconnu son office.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, et de statuer sur la demande de M. A... tendant à ce qu'en exécution du jugement du 27 avril 2012, il soit enjoint à l'administration de lui restituer son permis de conduire.

8. Aux termes de l'article L. 223-1 du code de la route : " Le permis de conduire est affecté d'un nombre de points. Celui-ci est réduit de plein droit si le titulaire du permis a commis une infraction pour laquelle cette réduction est prévue. / (...) / Lorsque le nombre de points est nul, le permis perd sa validité. / (...) ". En vertu de l'article L. 223-5 du même code : " I.- En cas de retrait de la totalité des points, l'intéressé reçoit de l'autorité administrative l'injonction de remettre son permis de conduire au préfet de son département de résidence et perd le droit de conduire un véhicule. / II.- Il ne peut obtenir un nouveau permis de conduire avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de remise de son permis au préfet et sous réserve d'être reconnu apte après un examen ou une analyse médicale, clinique, biologique et psychotechnique effectué à ses frais. Ce délai est porté à un an lorsqu'un nouveau retrait de la totalité des points intervient dans un délai de cinq ans suivant le précédent ".

9. Lorsque la décision du ministre de l'intérieur constatant la perte de validité d'un permis de conduire pour solde de points nul est annulée par le juge administratif, cette décision est réputée n'être jamais intervenue. Pour déterminer si l'intéressé peut, en exécution du jugement, prétendre à la restitution du permis par l'administration, il y a lieu de vérifier que son solde de points n'est pas nul. Le solde doit être calculé en tenant compte, en premier lieu, des retraits de points sur lesquels reposait la décision annulée qui n'ont pas été regardés comme illégaux par le juge, en deuxième lieu, des retraits justifiés par des infractions qui n'avaient pas été prises en compte par cette décision, y compris celles que l'intéressé a pu commettre en conduisant avec un nouveau permis obtenu dans les conditions prévues au II de l'article L. 223-5 du code de la route et, enfin, des reconstitutions de points prévues par les dispositions applicables au permis illégalement retiré.

10. Une même personne ne saurait disposer de plus d'un permis de conduire. Par suite, le requérant qui obtient l'annulation d'une décision constatant la perte de validité de son permis alors qu'il s'est vu délivrer un nouveau permis ne peut prétendre à la restitution par l'administration du permis initial, sous réserve que son solde calculé comme indiqué au point 9 ne soit pas nul, qu'à la condition que lui-même restitue le nouveau permis. Le jugement prononçant l'annulation doit l'en informer en précisant que, s'il souhaite qu'il soit procédé à cet échange, il doit le faire savoir à l'administration dans un délai qu'il fixe et qu'à défaut l'intéressé sera regardé comme ayant définitivement opté pour la conservation du nouveau permis.

11. Lorsque le jugement qui a prononcé l'annulation de la décision constatant la perte de validité du permis initial ne comportait pas cette information, l'administration saisie par l'intéressé d'une demande d'échange du nouveau permis contre le permis initial doit faire droit à cette demande dès lors que le solde de points du permis initial n'est pas nul. Si aucune demande d'échange n'a été formée, il appartient à l'administration, lorsqu'elle constate la perte de validité du nouveau permis pour solde de points nul, de vérifier le solde de points du permis initial déterminé conformément aux règles indiquées au point 9. Si ce solde est positif, elle doit restituer ce permis à l'intéressé ; si le solde est nul, elle doit lui notifier une décision constatant qu'il a perdu le droit de conduire.

12. Il ressort du relevé d'information intégral de M. A... arrêté au 5 juillet 2022, produit par le ministre de l'intérieur devant le Conseil d'Etat, que, postérieurement à la décision référencée " 48 SI " du 31 août 2009 ayant illégalement invalidé le permis de conduire initial de M. A..., celui-ci avait obtenu un nouveau permis de conduire, affecté d'un capital de six points, et qu'il a notamment commis, les 23 septembre 2010 et 5 février 2011, deux infractions ayant entraîné le retrait de six points au total et par conséquent l'invalidation de ce nouveau titre de conduite pour solde de points nul pendant le délai probatoire, par une décision référencée " 48 SI " du 9 septembre 2011.

13. Il résulte de ce qui est dit au point 5 ainsi qu'aux points 8 à 12 que, pour établir le solde du permis de conduire initial de M. A..., à l'origine affecté d'un capital de douze points, il y a lieu de tenir compte, d'une part des retraits de points sur ce permis qui n'ont pas été jugés illégaux, soit six points au total, et, d'autre part des six points retirés à la suite d'infractions qu'il a commises les 23 septembre 2010 et 5 février 2011 en conduisant avec son nouveau permis. Le solde ainsi recalculé étant nul, M. A... ne peut prétendre à la restitution de son permis initial.

14. Il résulte de tout ce qui précède que, l'exécution du jugement du 27 avril 2012 n'appelant plus aucune mesure, la demande de M. A... doit être rejetée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 14 juin 2022 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Délibéré à l'issue de la séance du 25 octobre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 21 novembre 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Christophe Barthélemy

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466680
Date de la décision : 21/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-06-07 PROCÉDURE. - JUGEMENTS. - EXÉCUTION DES JUGEMENTS. - DEMANDE TENDANT À L'EXÉCUTION D’UN ARRÊT OU D’UN JUGEMENT (ART. L. 911-4 DU CJA) – CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE L’INSTRUCTION – 1) PHASE ADMINISTRATIVE – ABSENCE – PHASE JURIDICTIONNELLE – EXISTENCE – 2) OBLIGATIONS DU JUGE – A) VISA DES ÉCRITURES PRODUITES DURANT LA PHASE ADMINISTRATIVE – ABSENCE – B) VERSEMENT DES ÉCRITURES AU DOSSIER DE LA PROCÉDURE CONTENTIEUSE – EXISTENCE.

54-06-07 1) Il résulte des articles R. 921-5 et R. 921-6 du code de justice administrative (CJA) que, lorsqu’un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel est saisi d’une demande d’exécution sur le fondement de l’article L. 911-4 du même code, le caractère contradictoire de l’instruction de la demande ne s’applique qu’à la phase juridictionnelle ouverte, le cas échéant, par ordonnance du président de la juridiction. ...2) a) Ainsi, les écritures produites, notamment par l’administration, pendant la phase d’instruction administrative ne constituent pas des mémoires devant, lorsqu’une procédure juridictionnelle a été ouverte, être visés et analysés par la décision statuant sur la demande d’exécution en application de l’article R. 741 2 du CJA. ...b) Il appartient en revanche au juge, après l’ouverture de la procédure juridictionnelle, de les verser au dossier de cette procédure et de permettre ainsi aux parties d’en débattre contradictoirement.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2023, n° 466680
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Barthélemy
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466680.20231121
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