Vu la procédure suivante :
Par une requête et quatre mémoires, enregistrés le 1er décembre 2020, les 26 octobre et 24 novembre 2021 et les 9 mai et 27 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association Mousse, l'Association stop homophobie, l'Association familles-lgbt, l'Association adheos, l'Association les élus locaux contre le sida : ensemble, luttons contre le sida et l'Association flag ! demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites du 30 novembre 2020 par lesquelles le ministre de l'intérieur et la ministre des armées ont rejeté leurs demandes tendant à l'abrogation de l'arrêté du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie, l'arrêté du 6 mai 2000 fixant les conditions d'aptitude médicale des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires et les conditions d'exercice de la médecine professionnelle et préventive au sein des services départementaux d'incendie et de secours, l'arrêté du 2 août 2010 relatif aux conditions d'aptitude physique particulières pour l'accès aux emplois de certains corps de fonctionnaires (policiers), l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale, ainsi que l'instruction n° 2100/DEF/DCSSA/AST/AME relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du 30 novembre 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté leurs demandes tendant à l'abrogation de l'arrêté du 10 juillet 2017 relatif aux normes d'aptitude applicables aux commissaires aux armées, aux aumôniers militaires et au personnel militaire rattaché au corps des commissaires des armées, ainsi que l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale ;
3°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction mentionnée ci-dessus ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au profit de chacune des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code de la défense ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par des décisions du 30 novembre 2020, les ministres de l'intérieur et de la défense ont implicitement rejeté les demandes présentées par l'association Mousse et autres, tendant d'une part, à l'abrogation des arrêtés du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie, du 6 mai 2000 fixant les conditions d'aptitude médicale des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires et les conditions d'exercice de la médecine professionnelle et préventive au sein des services départementaux d'incendie et de secours, du 2 août 2010 relatif aux conditions d'aptitude physique particulières pour l'accès aux emplois de certains corps de fonctionnaires (policiers), du 20 décembre 2012 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale, ainsi que de l'instruction n° 2100/DEF/DCSSA/AST/AME relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir, d'autre part, de l'arrêté du 10 juillet 2017 relatif aux normes d'aptitude applicables aux commissaires aux armées, aux aumôniers militaires et au personnel militaire rattaché au corps des commissaires des armées, ainsi que de l'arrêté du 20 décembre 2012 précédemment mentionné. L'association Mousse et autres doivent être regardés comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de ces décisions, ainsi que l'abrogation des différents arrêtés auxquels ces décisions s'appliquent, en tant, d'une part, que ces textes posent des restrictions à l'aptitude médicale des personnes atteintes du VIH pour les personnels qu'ils concernent, en tant, d'autre part, qu'ils traitent de manière différente les personnes atteintes du VIH candidates à certains emplois et celles déjà en poste et en tant, enfin, qu'ils institueraient des traitements de données à caractère personnel. Les demandes d'abrogation des arrêtés des 20 décembre 2012, 12 septembre 2016 et 10 juillet 2017 doivent toutefois être regardées comme dirigées contre les arrêtés du 29 mars 2021, 8 juin 2021 et 30 novembre 2021 qui leur ont été substitués après l'introduction de la requête, sans en modifier la substance.
Sur l'intervention de l'association AIDES :
2. L'association AIDES justifie d'un intérêt suffisant la rendant recevable à intervenir à l'appui des conclusions présentées par l'association Mousse et les autres associations requérantes.
Sur la réglementation contestée :
3. En premier lieu, l'article 1er de l'arrêté du 29 mars 2021 mentionné au point 1 dispose : " Dans le cadre de la détermination et du contrôle de l'aptitude médicale à servir du personnel militaire, les praticiens des armées se réfèrent au présent arrêté pour attribuer un coefficient aux différents sigles du profil médical:/ - des candidats à l'engagement ou au volontariat dans les armées ;/ - des candidats à l'engagement spécial dans les réserves ;/ - du personnel militaire d'active ou de réserve./ Complément indispensable à cet arrêté, des textes réglementaires sous timbre de chaque armée, direction et service ou de la gendarmerie nationale précisent les profils médicaux ainsi que les conditions requises pour l'aptitude médicale à l'engagement et aux diverses spécialités ". Aux termes de l'article 5 du même arrêté : " Confronté à une affection décrite dans un article du répertoire analytique, le médecin du service de santé des armées est tenu de respecter les indications qui y sont données en matière de cotation du profil médical puis de déterminer l'aptitude médicale en se référant aux textes réglementaires des armées, directions et services ou de la gendarmerie nationale. Quand le coefficient peut fluctuer entre deux bornes, le médecin choisit la valeur lui paraissant la mieux adaptée à la situation clinique ". Il ressort de ces dispositions ainsi que des précisions apportées dans le cadre de l'instruction de la présente requête, que si le médecin évaluateur dispose d'une marge d'appréciation lorsque le coefficient mentionné laisse le choix entre plusieurs valeurs, les tableaux de cotation attachés aux différentes pathologies recensées dans le répertoire analytique défini par cette annexe II de l'arrêté du 29 mars 2021 s'imposent à lui, si la personne en relève, lors de la cotation des différents sigles du référentiel.
4. Le point 2.2.2 de l'annexe II à cet arrêté est consacré à l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et associe l'infection au VIH asymptomatique, traitée, avec charge virale indétectable et immunité cellulaire satisfaisante à un coefficient G3 à G4, et l'infection au VIH traitée avec charge virale détectable et/ou immunité cellulaire perturbée (inférieure à 500 CD4/mm3) à un coefficient G4, les autres catégories d'infections à ce virus étant affectées d'un coefficient variant entre 3 et 5.
5. En deuxième lieu, s'agissant des sapeurs-pompiers, selon l'article 2 de l'arrêté du 6 mai 2000, l'aptitude médicale est prononcée par un médecin sapeur-pompier habilité ; l'article 3 du même arrêté dispose que : " L'évaluation médicale s'appuie sur un document d'orientation spécifique ou, à défaut, sur l'instruction en vigueur lors de cette évaluation n° 2100/DEF/DCSSA/AST/AME (...) relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir, en s'aidant de la cotation des sigles S, I, G, Y, C, O et P ". Il ressort des pièces du dossier, en particulier des réponses apportées par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'instruction de la présente requête, que cette évaluation est menée conformément aux règles définies par l'arrêté du 29 mars 2021 précité, qui conduit les personnes présentant une infection au VIH asymptomatique, traitée, avec charge virale indétectable et immunité cellulaire satisfaisante à se voir affecter un coefficient de 3 à 4 au titre de l'appréciation de leur état général. Il en résulte que les personnes atteintes du VIH, traitées, asymptomatiques, avec immunité satisfaisante et charge virale indétectable ne peuvent pas être déclarées aptes à l'exercice d'un premier emploi de sapeur-pompier professionnel ou de sapeur-pompier volontaire du service civil ou de sapeur-pompier volontaire toute mission et ne peuvent l'être pour les emplois mentionnés au 2° de l'article 9 de l'arrêté mentionné ci-dessus, que si un coefficient 3 est affecté à leur état général.
6. En troisième lieu, s'agissant des candidats à l'admission en gendarmerie, l'article 3 de l'arrêté du 8 juin 2021 précise que " la cotation des affections ou de leurs séquelles est déterminée selon l'arrêté du 29 mars 2021 ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec les autres dispositions du même arrêté que les personnes atteintes du VIH, traitées, asymptomatiques, avec immunité satisfaisante et charge virale indétectable ne peuvent être admises à ces emplois, pour ceux, très majoritaires, pour lesquels le coefficient 2 est requis, ou ne peuvent l'être, pour les emplois pour lesquels le coefficient 3 est requis, que s'ils se voient attribuer ce coefficient.
7. En quatrième lieu, s'agissant des policiers, l'arrêté du 2 août 2010 relatif aux conditions d'aptitude physique particulières pour l'accès aux emplois de certains corps de fonctionnaires prévoit, pour une série d'emplois de fonctionnaires actifs des services de la police nationale, que pour satisfaire à la condition d'aptitude physique, le candidat doit se voir affecter un coefficient de 2 au titre de l'état général.
8. En cinquième lieu, s'agissant des normes d'aptitude applicables aux commissaires aux armées, aux aumôniers militaires et au personnel militaire rattaché au corps des commissaires des armées, l'article 2 de l'arrêté du 30 novembre 2021 prévoit que leur aptitude médicale est déterminée et contrôlée selon les modalités définies par l'arrêté du 20 décembre 2012, remplacé par l'arrêté du 21 avril 2022 mentionné ci-dessus, et que " Les normes médicales d'aptitude sont exprimées sous la forme d'un profil médical d'aptitude " SIGYCOP ", dont les paramètres sont définis par l'arrêté du 29 mars 2021 susvisé (...) ". Pour l'ensemble des emplois concernés, il résulte des annexes à cet arrêté que le sigle G doit être affecté d'un coefficient 3. Par suite, les personnes atteintes du VIH, traitées, asymptomatiques, avec immunité satisfaisante et charge virale indétectable ne peuvent exercer un premier emploi relevant des catégories mentionnées dans l'annexe à l'arrêté du 30 novembre 2021 que si leur état général est évalué à 3.
9. En sixième lieu, il ressort des articles 9 et 10 de l'arrêté du 6 mai 2000 fixant les conditions d'aptitude médicale des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires et les conditions d'exercice de la médecine professionnelle et préventive au sein des services départementaux d'incendie et de secours et des annexes III et V de l'arrêté du 8 juin 2021 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie, que, pour les personnes qui relèvent des dispositions de ces textes, la cotation de l'état général exigée pour l'évaluation de l'aptitude en cours de carrière diffère de la cotation de l'état général exigée pour l'évaluation de l'aptitude lors de l'admission à de telles fonctions.
Sur le non-lieu à statuer :
10. En premier lieu, lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de son refus d'abroger perd son objet. Il en va toutefois différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme.
11. Il ressort des pièces du dossier que l' arrêté du 9 mai 2023 modifiant l'arrêté du 29 mars 2021 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale a remplacé le tableau du 2.2.2 de l'annexe II de cet arrêté par un nouveau tableau qui distingue la situation des personnes atteintes d'une infection au VIH asymptomatique, avec charge virale inférieure à 50 copies/ mL et lymphocytes T CD4+ supérieurs à 500/mm3, selon qu'elles sont traitées depuis plus ou moins de 12 mois et prévoit, pour les personnes traitées depuis plus de 12 mois, que leur état général est affecté, selon la tolérance au traitement, d'un coefficient compris entre 2 et 3. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que, les modifications apportées à la réglementation contestée n'étant pas de pure forme, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre les décisions attaquées en tant qu'elles concernent les arrêtés des 6 mai 2000, 29 mars 2021, 8 juin 2021 et 30 novembre 2021, en tant qu'ils concernent les personnes atteintes du VIH asymptomatique, traitée, avec charge virale indétectable et immunité cellulaire satisfaisante (supérieure à 500 CD4/mm3) et en tant qu'ils concernent les personnes atteintes d'une infection au VIH traitée avec charge virale détectable et/ou immunité cellulaire perturbée (inférieure à 500 CD4/mm3), y compris en tant que ces dispositions traitent de manière différente les personnes atteintes du VIH candidates à certains emplois et celles déjà en poste.
12. En second lieu, il résulte des pièces du dossier que l'arrêté du 2 août 2010 a été abrogé, en tant qu'il concerne les trois corps actifs de la police nationale, par un arrêté du 25 novembre 2022 relatif à l'appréciation des conditions de santé particulières exigées pour l'exercice des fonctions relevant des corps de fonctionnaires actifs des services de la police nationale, qui ne fait plus référence à l'instruction mentionnée au point 12 et qui ne prévoit pas non plus que les conditions de santé sont appréciées en faisant application de l'arrêté du 29 mars 2021 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale. Il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête en tant qu'elles sont dirigées contre le refus d'abroger l'arrêté du 2 août 2010 et en tant qu'elles demandent l'abrogation de cet arrêté.
Sur les conclusions dirigées contre l'instruction 2100/DEF/DCSSA/AST/AME :
13. Il ressort des pièces du dossier que l'instruction n° 510862/DEF/DCSSA/PC/MA du 22 mai 2014, que le ministre des armées produit en défense, a abrogé l'instruction 2100/DEF/DCSSA/AST/AME relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir, dont les requérants ne sont dès lors pas recevables à demander l'annulation.
Sur le surplus des conclusions à fins d'annulation :
14. Contrairement à ce qui est soutenu, les arrêtés critiqués ne prévoient ni n'impliquent nécessairement par eux-mêmes la collecte ou la conservation de données à caractère personnel relatives à l'état de santé des fonctionnaires ou des candidats aux emplois de fonctionnaires auxquels les dispositions attaquées s'appliquent. Par suite, le moyen tiré de la violation des articles 5 et 9 du règlement général sur la protection des données ne peut qu'être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres fins de non-recevoir soulevées par les ministres défendeurs, le surplus des conclusions de la requête doit être rejeté.
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demandent les associations requérantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention présentée par l'association Aides est admise.
Article 2 : il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre les décisions implicites du 30 novembre 2020 et contre les arrêtés des 6 mai 2000, 2 août 2010, 29 mars 2021, 8 juin 2021 et 30 novembre 2021.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par l'Association Mousse, l'Association stop homophobie, l'Association familles-lgbt, l'Association adheos, l'Association les élus locaux contre le sida : ensemble, luttons contre le sida et l'Association flag ! est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Mousse, première requérante dénommée, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre des armées, à la Défenseure des droits et à l'association Aides.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 octobre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 21 novembre 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Flavie Le Tallec
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras