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03/11/2023 | FRANCE | N°460806

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 03 novembre 2023, 460806


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 25 janvier 2022, 24 juillet et 16 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cooperl Arc Atlantique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés du 22 décembre 2021 des ministres de l'économie, des finances et de la relance, et de l'agriculture et de l'alimentation, relatifs respectivement à l'extension de l'accord interprofessionnel du 8 septembre 2021 relatif à la cotisation interprofessionnelle " contribution

volontaire équarrissage éleveur " au profit de l'association " ATM porc " ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 25 janvier 2022, 24 juillet et 16 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cooperl Arc Atlantique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés du 22 décembre 2021 des ministres de l'économie, des finances et de la relance, et de l'agriculture et de l'alimentation, relatifs respectivement à l'extension de l'accord interprofessionnel du 8 septembre 2021 relatif à la cotisation interprofessionnelle " contribution volontaire équarrissage éleveur " au profit de l'association " ATM porc " (accord " amont ") et à l'extension de l'accord interprofessionnel du 8 septembre 2021 relatif à la cotisation interprofessionnelle " contribution aval spécifique équarrissage " au profit de l'association " ATM porc " (accord " aval ") ;

2°) de renvoyer, en tant que de besoin, l'affaire devant le juge judiciaire au titre de l'article R. 771-2 du code de la justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne portant sur les points suivants :

- la possibilité de considérer que la France métropolitaine puisse être regardée comme une circonscription économique pertinente au titre du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 pour le produit porc ;

- la possibilité de considérer que des opérateurs individuels ou groupes d'opérateurs puissent être regardés comme bénéficiaires des activités financées par les contributions mises à leur charge au titre de l'article 165 du même règlement lorsque celles-ci ne leur sont d'aucune utilité ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 26 février 2015 relatif aux demandes d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la société Cooperl Arc Atlantique et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'interprofession nationale porcine ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 octobre 2023, présentée pour la société Cooperl Arc Atlantique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par deux arrêtés du 22 décembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ont étendu les accords conclus le 8 septembre 2021 par l'interprofession nationale porcine (INAPORC) relatifs, d'une part, à la cotisation interprofessionnelle " contribution volontaire équarrissage éleveur " et, d'autre part, à la cotisation interprofessionnelle " contribution aval spécifique équarrissage ", toutes deux prélevées au profit de l'association ATM Porc. La société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir ces deux arrêtés.

Sur le cadre juridique applicable :

2. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles dans sa version applicable au litige : " 1. Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue (...) opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association. (...) / 2. Aux fins de la présente section, on entend par " circonscription économique ", une zone géographique constituée par des régions de production limitrophes ou avoisinantes dans lesquelles les conditions de production et de commercialisation sont homogènes (...) / 3. Une organisation ou association est considérée comme représentative lorsque, dans la ou les circonscriptions économiques concernées d'un État membre, elle représente : / a) en proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés : / i) pour les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes, au moins 60 % ; ou / ii) dans les autres cas, au moins deux tiers (...) / 4. Les règles dont l'extension à d'autres opérateurs peut être demandée (...) ne portent pas préjudice aux autres opérateurs de l'État membre concerné ou de l'Union et n'ont pas les effets énumérés à l'article 210, paragraphe 4, ou ne sont pas contraires à la législation de l'Union ou à la réglementation nationale en vigueur ". Aux termes de l'article 165 de ce règlement : " Dans le cas où les règles d'une organisation de producteurs reconnue (...) sont étendues au titre de l'article 164 et lorsque les activités couvertes par ces règles présentent un intérêt économique général pour les opérateurs économiques dont les activités sont liées aux produits concernés, l'État membre qui a accordé la reconnaissance peut décider, après consultation des acteurs concernés, que les opérateurs économiques individuels ou les groupes d'opérateurs non membres de l'organisation qui bénéficient de ces activités sont redevables à l'organisation de tout ou partie des contributions financières versées par les membres, dans la mesure où ces dernières sont destinées à couvrir les coûts directement liés à la conduite des activités concernées (...) ".

3. D'autre part, l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ". Aux termes de l'article L. 632-4 du même code : " L'extension de tels accords est subordonnée à l'adoption de leurs dispositions par les professions représentées dans l'organisation interprofessionnelle, par une décision unanime. Toutefois, les statuts ou le règlement intérieur peuvent prévoir une liste d'activités pour lesquelles la règle de l'unanimité ne s'applique qu'aux seules professions concernées par ces activités. (...) / L'extension des accords est également subordonnée au respect des conditions prévues par le droit de l'Union européenne applicable à ces accords. / Pour l'application de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 (...), la représentativité des organisations interprofessionnelles est appréciée en tenant compte de la structuration économique de chaque filière. Les volumes pris en compte sont ceux produits, transformés ou commercialisés par les opérateurs professionnels auxquels sont susceptibles de s'appliquer les obligations prévues par les accords. En outre, lorsque la détermination de la proportion du volume de la production ou de la commercialisation ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, l'organisation interprofessionnelle est regardée comme représentative si elle représente deux tiers de ces opérateurs ou de leur chiffre d'affaires. / (...) / Pour tout secteur d'activité, ces conditions sont présumées respectées lorsque l'organisation interprofessionnelle démontre que l'accord dont l'extension est demandée n'a pas fait l'objet, dans le mois suivant sa publication par cette organisation, de l'opposition d'organisations professionnelles réunissant des opérateurs économiques de ce secteur d'activité représentant au total plus du tiers des volumes du secteur d'activité concerné. (...) ". Aux termes de l'article D. 632-4-4 du même code : " La composition et les modalités de dépôt des dossiers de demande d'extension d'accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle ainsi que les modalités de la consultation prévue par l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'économie, du budget et de l'outre-mer ".

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur (...) ". Aux termes de l'article 210 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 : " (...) 4. Les accords, décisions et pratiques concertées sont déclarés, en tout état de cause, incompatibles avec la réglementation de l'Union s'ils : / (...) c) peuvent créer des distorsions de concurrence qui ne sont pas indispensables pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune poursuivis par l'activité de l'organisation interprofessionnelle ; / (...) e) peuvent créer des discriminations ou éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits concernés ".

5. En troisième lieu, l'article L. 226-3 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " Les détenteurs ou propriétaires d'animaux d'élevage au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1069/2009 du 21 octobre 2009 précité, à l'exception des détenteurs ou propriétaires non professionnels d'équidés, doivent être en mesure de présenter à tout moment (...) les documents attestant qu'ils ont conclu un contrat ou cotisent à une structure ayant conclu un contrat leur garantissant, pendant une période d'au moins un an, la collecte et le traitement, dans les conditions prévues par le présent chapitre, des animaux d'élevage morts dans leur exploitation ou de justifier qu'ils disposent d'un outil de traitement agréé ".

Sur la légalité externe :

6. L'article 3 de l'arrêté du 26 février 2015 relatif aux demandes d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue prévoit, s'agissant de l'extension d'un accord en application de l'article 165 du règlement du 17 décembre 2013, que : " la consultation des acteurs concernés (...) est réalisée par une publication pendant trois semaines au Bulletin officiel du ministère chargé de l'agriculture (BO-agri) d'un avis, auquel est annexé le document mentionné au point 8 de l'article 1 ". Le document mentionné au point 8 de l'article 1er de cet arrêté correspond au tableau qui est prévu par l'annexe 1 de ce même arrêté.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'avis relatif à l'ouverture d'une consultation des acteurs concernés par la demande d'extension des contributions finançant des actions d'équarrissage conduites par l'INAPORC publié le 21 octobre 2021 au bulletin officiel du ministère chargé de l'agriculture inclut les informations prévues par les dispositions de l'arrêté du 26 février 2015 précité telles que mentionnées au point précédent.

8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de demande d'extension doit être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne la complétude du dossier au vu duquel l'administration s'est prononcée :

9. Il ressort des pièces du dossier que le dossier de demande d'extension des accords interprofessionnels en litige comprenait l'ensemble des éléments prévus par l'article 2 de l'arrêté du 26 février 2015 relatif aux demandes d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue, exception faite de la mention d'une notification de l'accord à la Commission européenne. Cette omission est, en tout état de cause, en l'absence d'une telle transmission, sans incidence sur la légalité de la décision d'extension.

En ce qui concerne la compétence de l'INAPORC, sa représentativité et les conditions d'adoption des accords dont l'extension est contestée :

10. En premier lieu, il ressort des termes mêmes des accords dont l'extension est contestée que leur objet est, " dans l'intérêt de la filière " et dans un objectif de " sécurité sanitaire ", d'organiser le financement de la collecte et de la destruction des animaux trouvés morts dans les exploitations porcines françaises. Contrairement à ce que soutient la requérante, de telles actions entrent dans le champ de celles susceptibles d'être conduites par l'organisation interprofessionnelle INAPORC, dont les statuts prévoient qu'elle a pour objet d'assurer la promotion et la défense des intérêts professionnels communs de ses membres par la mise en œuvre d'actions collectives conformes à l'intérêt général afin notamment de renforcer la sécurité alimentaire.

11. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions de l'article 164 du règlement du 17 décembre 2013 citées au point 2 ne font pas obstacle à ce que la représentativité de l'interprofession INAPORC soit appréciée à l'échelle nationale, une telle zone géographique pouvant être regardée comme une circonscription économique au sens de ces dispositions compte tenu de l'homogénéité des conditions de production et de commercialisation de la viande de porc au sein de celle-ci. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que l'INAPORC remplit bien, à cette échelle, les conditions de représentativité énoncées à l'article 164 précité. Les circonstances que la requérante souhaiterait ne plus faire partie de l'interprofession ou qu'elle ait démissionné de l'organisation Culture Viande sont à cet égard sans incidence dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle est demeurée membre de la Coopération Agricole, organisation professionnelle nationale adhérente à l'INAPORC. Enfin, dès lors que cette représentativité est ainsi établie, la requérante ne saurait utilement se prévaloir, en tout état de cause, des dispositions de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime en vertu desquelles l'opposition à l'extension de l'accord, exprimée dans le mois suivant sa publication, par des organisations professionnelles représentant plus du tiers des volumes d'activité du secteur, fait obstacle à ce que les conditions de représentativité requises soient présumées remplies.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 10 des statuts de l'association INAPORC relatif au conseil d'administration : " (...) En cas d'empêchement lors d'une séance, un membre peut se faire remplacer par une autre personne de la même organisation ou par un autre membre du conseil appartenant au même collège. (...) Les experts désignés par les membres du conseil peuvent assister au CA (...) ". Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'extrait du procès-verbal du conseil d'administration de l'INAPORC du 23 juin 2021 signé par son président, que le vote a été réalisé par collège, en demandant la position des différents représentants et en vérifiant les pouvoirs, et que les deux accords dont l'extension est contestée ont été adoptés à l'unanimité des collèges et des votants. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que, eu égard à un nombre insuffisant de membres du conseil d'administration physiquement présents lors de cette réunion ou à la seule présence, lors de cette réunion, de personnes qui n'étaient pas membres du conseil d'administration, les accords auraient été irrégulièrement adoptés, ni que la condition d'adoption par une décision unanime, à laquelle l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime cité au point 3 subordonne la possibilité de son extension, ne serait pas remplie.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de point de départ et de date butoir des accords :

13. En vertu de l'article 164 du règlement du 17 décembre 2013 cité au point 2, un Etat membre ne peut rendre obligatoire un accord que pour une durée limitée. Il résulte, d'une part, des dispositions de l'article 9 de chacun des deux accords relatifs au financement des actions d'équarrissage que leur entrée en application intervient au 1er janvier 2022 et, d'autre part, des dispositions de l'article 1er de chacun des deux arrêtés du 22 décembre 2021 que leur extension a pour terme le 31 décembre 2024. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que cette extension serait illégale faute de prévoir une durée limitée.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 165 du règlement du 17 décembre 2013 :

14. En premier lieu, il résulte des articles 164 et 165 du règlement du 17 décembre 2013 cités au point 2 qu'un Etat membre peut décider que les opérateurs économiques non membres d'une organisation interprofessionnelle sont redevables des cotisations destinées à couvrir le coût des activités prévues par un accord adopté par cette organisation dès lors qu'ils bénéficient de ces activités en raison de leur intérêt économique général. Il ressort des pièces du dossier que les opérations de collecte des animaux trouvés morts menées par l'association ATM Porc, dont les coûts sont mutualisés, visent à permettre l'accès de l'ensemble des producteurs de la filière à de telles prestations, sur l'ensemble du territoire, à un prix négocié, quels que soient leurs moyens et leurs contraintes, notamment dans les zones à plus faible densité d'élevages, prémunissent ainsi contre les risques de défaillance de ceux-ci à l'égard de leurs obligations en la matière, et préviennent les risques économiques résultant pour la filière, dans son ensemble, d'éventuelles défaillances en termes de sécurité sanitaire, en particulier la propagation d'épizooties. Ces activités, qui constituent des actions d'intérêt commun et conforme à l'intérêt général au sens de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime, présentent ainsi un intérêt économique général pour les opérateurs économiques du secteur, au sens de l'article 165 du règlement du 17 décembre 2013. Dans ces conditions, la circonstance que la société Cooperl Arc Atlantique, dont il n'est pas contesté que ses membres peuvent faire appel à cette association, serait en mesure d'assurer elle-même, par d'autres moyens, les opérations en cause est sans incidence sur la légalité de l'extension contestée.

15. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le budget prévu pour les actions d'équarrissage conduites par l'INAPORC dans le cadre des accords en litige est de 20 millions d'euros, montant dont l'ordre de grandeur est constant depuis de nombreuses années et, d'autre part, que le montant des cotisations est fixée à 0,17 euros hors taxe par porc abattu en France et à 19 euros par tonne vendue aux distributeurs. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les coûts retenus pour arrêter le budget ainsi prévu ne seraient pas directement liés à la conduite d'activités d'équarrissage, et que les montants de cotisation ainsi arrêtés ne reposeraient pas sur des critères objectifs ou seraient manifestement disproportionnés au regard des coûts à couvrir. La circonstance que ces accords prévoient une clause de révision des taux des contributions est à cet égard sans incidence, dès lors que l'application de taux révisés aux opérateurs non membres de l'interprofession devrait donner lieu à une nouvelle procédure d'extension.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de la liberté du commerce et de l'industrie, de la liberté d'entreprendre et de la libre concurrence :

16. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 226-3 du code rural et de la pêche maritime citées au point 5 que les détenteurs ou propriétaires de porcs doivent conclure un contrat ou cotiser à une structure ayant conclu un contrat leur garantissant la collecte et le traitement des porcs d'élevage morts dans leur exploitation ou justifier qu'ils disposent d'un outil de traitement agréé. Il ressort des pièces du dossier que la collecte des animaux trouvés morts sur les exploitations agricoles a notamment pour objet d'empêcher la propagation d'épizooties susceptibles d'entraîner des conséquences sanitaires graves, notamment la peste porcine africaine. Les accords interprofessionnels étendus par les arrêtés litigieux ont pour objet de permettre à tous les opérateurs de la filière porc de bénéficier d'un service d'équarrissage à un coût uniforme, alors même que la répartition des exploitations porcines est variable en fonction des régions. Par suite les décisions attaquées, justifiées par l'intérêt général s'attachant à la lutte contre le risque de diffusion ou de propagation d'épizooties, n'ont pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre.

17. En deuxième lieu, les accords dont l'extension est contestée n'imposent pas le recours à un unique prestataire ni ne s'opposent à ce que les opérateurs développent des solutions différentes ou recourent à d'autres prestataires s'ils le souhaitent. Par suite, en tout état de cause, les décisions attaquées ne peuvent être regardées comme ayant, par elles-mêmes, pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence en limitant l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, en favorisant la conclusion d'ententes anti-concurrentielles ou en plaçant un opérateur en situation d'abuser d'une position dominante.

18. En troisième lieu, ni l'exclusion du champ d'application de la cotisation " éleveur " des animaux vivants en provenance d'élevages d'autres pays et abattus en France, ni l'exclusion du champ de la cotisation " aval " des viandes originaires de ces mêmes pays ne peuvent, dès lors que les élevages dont les animaux concernés sont issus sont également exclus du bénéfice de l'enlèvement et de l'équarrissage des animaux qui y sont trouvés morts, être regardées comme constitutives, à l'encontre des éleveurs assujettis aux cotisations en cause, d'une discrimination prohibée par l'article 210 du règlement du 17 décembre 2013.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'existence d'erreurs d'appréciation :

19. En premier lieu, il résulte des termes de l'accord relatif à la cotisation interprofessionnelle " contribution volontaire équarrissage éleveur " que cette contribution a pour objet de financer les coûts de collecte et de destruction des animaux trouvés morts dans les exploitations porcines françaises. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté serait entaché d'erreur d'appréciation faute d'avoir retenu, pour définir l'assiette des contributions, les animaux abattus en provenance d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un pays tiers.

20. En deuxième lieu, si la requérante soutient que les accords litigieux porteraient atteinte à l'environnement, à la santé publique ou à la biosécurité des élevages porcins, elle n'apporte aucun élément de nature à étayer cette allégation et il ne ressort pas des pièces du dossier que ces accords seraient susceptibles, par eux-mêmes, de porter de telles atteintes.

21. Enfin et contrairement à ce que soutient la requérante, il résulte de ce qui a été dit aux points 14 et 15 que les contributions prévues par l'extension de l'accord financent des actions d'intérêt commun et ne sont pas manifestement disproportionnées.

22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir le juge judiciaire à titre préjudiciel, ni de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en l'absence de toute difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne, que la société Cooperl Arc Atlantique n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés attaqués.

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Cooperl Arc Atlantique la somme de 3 000 euros à verser à l'INAPORC au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Cooperl Arc Atlantique est rejetée.

Article 2 : La société Cooperl Arc Atlantique versera la somme de 3 000 euros à l'INAPORC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Cooperl Arc Atlantique, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'interprofession nationale porcine.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, président de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 3 novembre 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 460806
Date de la décision : 03/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 nov. 2023, n° 460806
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Muriel Deroc
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE ; SCP PIWNICA et MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:460806.20231103
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