Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 220320 du 14 mars 2023 enregistrée le 17 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Lille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. B... A.... Par cette requête et un mémoire en réplique, enregistrés au greffe du tribunal administratif de Lille les 14 janvier 2022 et 12 mars 2023, et un nouveau mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 octobre 2023, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision de l'autorité militaire de premier niveau du 16 novembre 2021 prononçant à son encontre une sanction disciplinaire du premier groupe de huit jours d'arrêts ;
2°) de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de cette décision.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le règlement (UE) 2020/1043 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2020 ;
- la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 ;
- le code de la défense ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- l'instruction de la ministre des armées n° 509040/ARM/DCSSA/ESSD du 29 juillet 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que le capitaine A..., affecté au sein du corps de réaction rapide France de Lille, s'est vu infliger, par une décision du 16 novembre 2021 de l'autorité militaire de premier niveau, la sanction de huit jours d'arrêts en raison de son refus de se faire vacciner contre la covid-19 préalablement à un exercice militaire auquel il devait prendre part. M. A... demande au Conseil d'Etat d'annuler cette sanction et de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle lui aurait causés.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la sanction :
En ce qui concerne l'exception d'illégalité :
2. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code de la défense : " Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées au présent livre ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 4111-1 du même code : " L'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. (...) " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 4121-5 du même code : " Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu ".
3. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique : " Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ".
4. Aux termes de l'article D. 4122-13 du code de la défense : " Les obligations en matière de vaccinations applicables aux militaires sont fixées par instruction du ministre de la défense ". Aux termes de l'article 1er de l'instruction du 29 juillet 2021 relative à la vaccination contre la COVID-19 dans les armées : " Conformément aux textes réglementaires (première et deuxième références), la vaccination contre la COVID-19 s'ajoute au calendrier vaccinal des armées ". Aux termes de l'article 3 de cette instruction : " Outre les obligations vaccinales définies par la loi, la vaccination contre la COVID-19 est obligatoire pour tout militaire : / (...) servant ou projeté pour raison de service hors du territoire métropolitain, quelles que soient la durée ou la nature de la mission ; (...) ". M. A... conteste par la voie de l'exception la légalité de l'obligation vaccinale contre la covid-19 qui résulte de ces dispositions.
5. En premier lieu, les dispositions de l'instruction du 29 juillet 2021 relative à la vaccination contre la covid-19 dans les armées citées au point précédent, qui instaurent une obligation de vaccination contre la covid-19 applicable à certains militaires, constituent une restriction au droit institué par l'article L. 1111-4 du code de la santé publique de ne pas recevoir de traitement sans consentement libre et éclairé. Elles sont toutefois directement liées aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de la fonction militaire et notamment à l'exigence du maintien de l'aptitude des militaires aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées découlant notamment des dispositions des articles L. 4111-1 et L. 4125-1 du code de la défense mentionnées au point 2. Le requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les dispositions mentionnées au point 4 ne pouvaient légalement instaurer une obligation vaccinale applicable aux militaires.
6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., les dispositions de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire qui, afin de garantir la continuité des soins et de certains services grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles, déterminent les personnes directement impliquées dans la gestion de la crise sanitaire et comme telles assujetties à l'obligation vaccinale contre la covid-19, n'ont pas privé la ministre des armées, responsable de l'emploi des militaires placés sous son autorité et du maintien de l'aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées, de sa compétence pour instituer par voie d'instruction une obligation de vaccination contre la covid-19 pour certaines catégories de militaires, cette obligation vaccinale étant directement liée aux risques et exigences inhérents à l'exercice de la fonction militaire ainsi qu'il a été rappelé au point précédent.
7. En troisième lieu, si M. A... soutient que l'instruction du 29 juillet 2021 précitée instaure une obligation qui porte sur des vaccins utilisés en méconnaissance des dispositions de la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés et de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, qu'elle a transposée, il ne précise pas quelles dispositions de ces textes auraient été méconnues et ce, alors même que les dispositions du règlement (UE) 2020/1043 du Parlement Européen et du Conseil du 15 juillet 2020 relatif à la conduite d'essais cliniques avec des médicaments à usage humain contenant des organismes génétiquement modifiés ou consistant en de tels organismes et destinés à traiter ou prévenir la maladie à coronavirus a prévu des dispositions dérogatoires aux exigences d'évaluation découlant de cette directive.
8. En quatrième lieu, si M. A... met en doute l'innocuité des vaccins à acide ribonucléique (ARN) messager contre la covid-19 et soutient que les risques de moyen et de long termes liés à ces vaccins ne sont pas connus eu égard à leur caractère expérimental, aucun des éléments qu'il apporte n'est de nature à remettre en cause le large consensus scientifique selon lequel la vaccination contre la covid-19 prémunit contre les formes graves de la maladie et présente des effets indésirables limités au regard de son efficacité.
En ce qui concerne les autres moyens :
9. En premier lieu, dès lors qu'aux termes de l'article L. 4111-2 du code de la défense, les dispositions du livre Ier de la partie IV de ce code s'appliquent non seulement aux militaires de carrière, mais également aux militaires servant en vertu d'un contrat, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il ne saurait se voir appliquer les dispositions de ce livre relatives aux obligations vaccinales des militaires et de l'instruction prise sur leur fondement citées au point 4 au motif qu'il n'est lié à l'armée que par un contrat.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / (...) e) Les arrêts ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 4137-28: " Les arrêts sont comptés en jours. Le nombre de jours d'arrêts susceptibles d'être infligés pour une même faute ou un même manquement ne peut être supérieur à quarante. / Un militaire qui a commis une ou plusieurs fautes ou manquements, ou qui commet une ou plusieurs fautes ou manquements pendant l'exécution de la sanction ou pendant la période du sursis à exécution de la sanction, peut se voir infliger un nombre cumulé de jours d'arrêts supérieur à quarante. Dans ce cas, l'exécution desdites sanctions doit être interrompue à l'issue de chaque période de quarante jours, et ne reprendre qu'après une interruption de huit jours. / Le militaire sanctionné de jours d'arrêts effectue son service dans les conditions normales mais il lui est interdit, en dehors du service, de quitter sa formation ou le lieu désigné par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. / La sanction d'arrêts entraîne le report de la permission déjà accordée. Pendant l'exécution de ses jours d'arrêts, le militaire ne peut prétendre au bénéfice d'une permission, sauf pour évènements familiaux ".
11. Si M. A... allègue que la sanction en litige aurait porté atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit et, en particulier, à son droit de ne pas être arbitrairement détenu et à sa liberté d'aller et venir, cette sanction a été prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 4137-2 du code de la défense, citées au point précédent, qui ne peuvent être contestées devant le juge administratif en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution. En outre, M. A... ne peut utilement soutenir que les dispositions de l'article R. 4137-28 du même code méconnaîtraient les mêmes droits et libertés dès lors que ces dispositions se bornent à faire application des dispositions de l'article L. 4137-2 de ce code. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
12. En dernier lieu, la décision de sanction contestée par M. A... étant fondée sur son refus de se soumettre à l'obligation de vaccination contre la covid-19 et non de renseigner son statut vaccinal dans une base de données, le moyen tiré de ce que l'existence d'une telle base de donnée méconnaîtrait le droit au respect de sa vie privée et le secret médical est inopérant et ne peut, par suite, qu'être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation du préjudice causé par la décision attaquée :
14. Il résulte de ce qui a été dit au point 13 que les conclusions de la requête de M. A... tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subis du fait du caractère illégal selon lui de la sanction qui lui a été infligée ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre des armées.