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31/10/2023 | FRANCE | N°467237

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 31 octobre 2023, 467237


Vu la procédure suivante :

La société Campenon Bernard Sud-Est a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'établissement public Treize Habitat à lui verser la somme de 574 051,19 euros hors taxes assortie des intérêts, en réparation des préjudices liés au marché public de travaux de construction d'un ensemble immobilier dont elle est titulaire. A titre reconventionnel, l'établissement public Treize Habitat a demandé à ce que la société Campenon Bernard Sud-Est soit condamnée à lui verser la somme de 82 117,75 euros au titre du décompte général d

éfinitif de ce marché. Par un jugement n° 1508258 du 24 septembre 2019, le ...

Vu la procédure suivante :

La société Campenon Bernard Sud-Est a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'établissement public Treize Habitat à lui verser la somme de 574 051,19 euros hors taxes assortie des intérêts, en réparation des préjudices liés au marché public de travaux de construction d'un ensemble immobilier dont elle est titulaire. A titre reconventionnel, l'établissement public Treize Habitat a demandé à ce que la société Campenon Bernard Sud-Est soit condamnée à lui verser la somme de 82 117,75 euros au titre du décompte général définitif de ce marché. Par un jugement n° 1508258 du 24 septembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'établissement public Treize Habitat à verser à la société Campenon Bernard Sud-Est la somme de 216 963 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché, assortie des intérêts capitalisés.

Par un arrêt n° 19MA05117 du 4 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de l'établissement public Treize Habitat, annulé ce jugement, rejeté les conclusions de première instance et d'appel présentées par la société GTM Sud, venue aux droits de la société Campenon Bernard Sud-Est, condamné la société GTM Sud à verser à l'établissement public Treize Habitat la somme de 82 117,75 euros au titre du solde du marché et rejeté le surplus des conclusions de ce dernier.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 2 septembre et 2 décembre 2022, 25 avril et 3 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société GTM Sud demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, d'annuler cet arrêt, à titre subsidiaire, d'annuler son article 3 ;

2°) réglant l'affaire au fond, à titre principal, de rejeter l'appel de l'établissement public Treize Habitat et de faire droit à ses conclusions d'appel, à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions reconventionnelles de l'établissement public Treize Habitat ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement public Treize Habitat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la société GTM Sud et à la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de l'établissement public Treize Habitat;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un marché conclu le 5 février 2009, l'établissement public Treize Habitat a confié à la société Campenon Bernard Sud-Est un marché public de travaux portant sur la construction d'un ensemble immobilier. La société Campenon Bernard Sud-Est a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'établissement public Treize Habitat à lui verser la somme de 574 051,19 euros hors taxes au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis dans le cadre de l'exécution de ce marché. L'établissement public Treize Habitat a sollicité, à titre reconventionnel, la condamnation de la société Campenon Bernard Sud Est à lui verser la somme de 82 117,75 euros correspondant au solde du décompte général du marché. Par un jugement du 24 septembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'établissement public Treize Habitat à verser à la société Campenon Bernard Sud-Est la somme de 216 963 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché. La société GTM Sud, venant aux droits de la société Campenon Bernard Sud-Est, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 juillet 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de l'établissement public Treize Habitat, annulé ce jugement et, statuant par la voie de l'évocation, rejeté les conclusions présentées par la société GTM Sud et fait droit aux conclusions reconventionnelles de l'établissement public Treize Habitat.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur la demande de la société GTM Sud :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 13 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, approuvé par un décret du 21 janvier 1976 et rendu applicable au marché en litige par l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " 13.4. décompte général. Solde : 13.41. Le maître d'œuvre établit le décompte général qui comprend : le décompte final défini au 34 du présent article ; l'état du solde établi, à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies au 21 du présent article pour les acomptes mensuels ; la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. Le montant du décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation. 13.42. Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service avant la plus tardive des deux dates ci-après : quarante cinq jours après la date de remise du projet de décompte final (...) ; 13 44. L'entrepreneur doit, dans un délai de quarante cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'œuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer (...) Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'œuvre dans le délai de quarante cinq jours indiqué ci-dessus. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50 (...). / 13.45 : Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'œuvre le décompte général signé dans le délai de trente jours ou de quarante cinq jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché ".

3. Aux termes de l'article 50.22 du même cahier : " Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage. ". Aux termes de l'article 50.3 de ce cahier : " 50.31. Si, dans le délai de trois mois à partir de la date de réception, par la personne responsable du marché, de la lettre ou du mémoire de l'entrepreneur mentionné aux 21 et 22 du présent article aucune décision n'a été notifiée à l'entrepreneur, ou si celui-ci n'accepte pas la décision qui lui a été notifiée, l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif compétent. Il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans la lettre ou le mémoire remis à la personne responsable du marché. / 50.32. Si, dans le délai de six mois à partir de la notification à l'entrepreneur de la décision prise conformément au 23 du présent article sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, l'entrepreneur n'a pas porté ses réclamations devant le tribunal administratif compétent, il est considéré comme ayant accepté ladite décision et toute réclamation est irrecevable. Toutefois, le délai de six mois est suspendu en cas de saisine du comité consultatif de règlement amiable dans les conditions du 4 du présent article ".

4. Pour l'application de l'article 50.22 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux, la mise en demeure d'établir le décompte général et définitif, adressée par l'entreprise au maître de l'ouvrage, constitue un mémoire en réclamation. En vertu de l'article 50.31 du même cahier, l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif si trois mois après sa réclamation aucune décision ne lui a été notifiée ou s'il n'accepte pas cette décision. La saisine prématurée du tribunal administratif est régularisable par l'intervention d'une décision de rejet avant que le tribunal n'ait statué. L'intervention du décompte général avant l'expiration du délai de trois mois entraîne un non-lieu à statuer, alors même qu'antérieurement au jugement ce décompte a fait l'objet d'une réclamation qui a donné naissance à un litige distinct. En revanche, l'intervention du décompte général après l'expiration du délai de trois mois ne permet pas de prononcer le non-lieu à statuer, un tel document ne constituant pas un décompte général au sens des dispositions du cahier des clauses administratives générales.

5. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, estimé que le courrier daté du 19 septembre 2012 et notifié le 24 septembre suivant, adressé par l'établissement public Treize Habitat à la société Campenon Bernard Sud-Est et intitulé " Notification du décompte général " ne revêtait pas le caractère d'un décompte général. Par suite, les moyens tirés de ce que la cour administrative d'appel de Marseille aurait entaché son arrêt d'un défaut de réponse à des conclusions, l'aurait insuffisamment motivé, aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que ce décompte général avait été valablement établi et notifié et aurait présenté un caractère définitif ne peuvent qu'être écartés.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Campenon Bernard Sud-Est a adressé au maître d'ouvrage un courrier daté du 28 septembre 2012, que la cour a regardé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, comme une mise en demeure d'établir le décompte général constituant un mémoire en réclamation pour l'application de l'article 50.22 du CCAG, et que celle-ci a fait l'objet d'une réponse expresse du maître d'ouvrage par un courrier daté du 21 décembre 2012, reçu le 2 janvier 2013 par la société Campenon Bernard Sud-Est. La circonstance qu'un décompte général aurait ensuite été notifié à cette société le 7 mai 2013 par l'établissement public Treize Habitat, soit après l'expiration du délai de trois mois prévu à l'article 50.31 du CCAG imparti au maître d'ouvrage pour se prononcer sur la mise en demeure précitée, est dépourvue d'incidence sur le cours du délai de six mois, mentionné à l'article 50.32 du CCAG, dont dispose le titulaire du marché, à compter de la notification de la décision prise sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général, pour saisir le tribunal administratif. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en jugeant que ce délai de six mois a commencé à courir le 2 janvier 2013 pour en déduire que la demande de la société Campenon Bernard Sud-Est devant le tribunal administratif de Marseille, enregistrée le 13 octobre 2015, était tardive et, par suite, irrecevable.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions reconventionnelles de l'établissement public Treize Habitat :

7. En faisant droit aux conclusions reconventionnelles de l'établissement public Treize Habitat, alors que ces conclusions étaient irrecevables du fait de l'irrecevabilité de la demande de la société GTM Sud, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société GTM Sud est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a fait droit aux conclusions reconventionnelles de l'établissement public Treize Habitat.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Ainsi qu'il a été dit au point 7, l'irrecevabilité de la demande de la société GTM Sud entraîne celle des conclusions reconventionnelles de l'établissement public Treize Habitat. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées tant devant les juges du fond que devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 3 et 5 de l'arrêt du 4 juillet 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés.

Article 2 : Les conclusions reconventionnelles de l'établissement public Treize Habitat tendant à ce que la société GTM Sud soit condamnée à lui verser la somme de 82 117, 75 euros sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société GTM Sud est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société GTM Sud et à l'établissement public Treize Habitat.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 467237
Date de la décision : 31/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 31 oct. 2023, n° 467237
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassara
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune
Avocat(s) : SCP GADIOU, CHEVALLIER ; SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467237.20231031
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