Vu la procédure suivante :
M. O... F..., Mme M... E..., M. B... A...,
M. L... I..., M. P... G..., M. J... H..., M. N... K... et
M. Q... R... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du
14 octobre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société IOC Print. Par un jugement n° 2010410 du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision.
Par un arrêt n° 21PA02439 et n° 21PA02581 du 30 juin 2021 la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels formés contre ce jugement par Maître Alain-François Souchon, en qualité de liquidateur de la société IOC Print, la société IOC Print et la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les
30 août et 30 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat,
Me Souchon, en qualité de liquidateur judiciaire de la société IOC Print et la société IOC Print demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de M. F..., Mme E..., M. A..., M. I...,
M. G..., M. H..., M. K... et M. R... la somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Descorps-Declère, avocat de Me Souchon et de la société IOC Print et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. F..., de Mme E..., de M. I..., de M. G..., de M. H... et de
M. R... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 14 octobre 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de la société IOC Print, élaboré par son liquidateur judiciaire dans le cadre du plan de cession de cette société à la société Koramic Holding, arrêté par le tribunal de commerce de Créteil par un jugement du 30 septembre 2020. Par un arrêt du
30 juin 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels formés, d'une part, par le liquidateur de la société IOC Print et la société IOC Print, d'autre part, par le ministre chargé du travail contre le jugement du 12 mars 2021 du tribunal administratif de Melun ayant, à la demande de plusieurs salariés de cette société, annulé la décision du 14 octobre 2020.
Me Souchon, liquidateur judiciaire de la société IOC Print et celle-ci demandent au Conseil d'Etat l'annulation de cet arrêt.
Sur le cadre juridique du litige :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1233-5 du code du travail :
" Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. / Ces critères prennent notamment en compte : / 1°Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; / 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. / L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article (...) ".
3. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 1233-58 du code du travail :
" En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, (...) le liquidateur (...), qui envisage des licenciements économiques, met en œuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-24-2 du même code : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63. / Il peut également porter sur : / 1° Les modalités d'information et de consultation du comité social économique (...) ; / 2° La pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements mentionnés à l'article L. 1233-5 ; / 3° Le calendrier des licenciements ; / 4° Le nombre de suppressions d'emploi et les catégories professionnelles concernées ; (...) ". L'article 1233-57-3 du même code prévoit qu'en l'absence d'accord collectif, ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° : " (...) l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2 (...) ".
4. En vertu de ces dispositions, en premier lieu, il appartient à l'administration, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi, de s'assurer, en l'absence d'accord collectif ayant fixé les critères d'ordre des licenciements, que le document unilatéral recourt aux quatre critères mentionnés à l'article L. 1233-5 du code du travail. A cet égard, tel n'est pas le cas s'il prévoit, pour un ou plusieurs des critères d'ordre légaux, d'affecter la même valeur pour tous les salariés, empêchant ainsi par avance que ce ou ces critères puissent être effectivement pris en compte au stade de la détermination de l'ordre des licenciements.
5. En second lieu, il incombe à l'administration de contrôler que les éléments, déterminés par l'employeur, sur la base desquels ces critères seront mis en œuvre pour déterminer l'ordre des licenciements, ne sont ni discriminatoires, ni dépourvus de rapport avec l'objet même de ces critères. L'administration prend en compte à cet effet l'ensemble des éléments qui lui sont soumis, notamment les échanges avec les représentants du personnel au cours de la procédure d'information et de consultation préalable à l'adoption du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi, ainsi que les justifications objectives et vérifiables fournies par l'employeur.
6. A ce titre, s'agissant du critère d'ordre relatif aux qualités professionnelles, dont les éléments d'appréciation, à la différence de ceux des autres critères d'ordre, peuvent différer selon les catégories professionnelles définies par le plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient en particulier à l'administration de vérifier que les éléments d'appréciation de ce critère, retenus par l'employeur, ne sont pas insusceptibles de permettre de prendre en compte les qualités professionnelles des salariés de la ou des catégories professionnelles afférentes et n'ont pas été définis dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou à leur affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée. A cet égard, les résultats de l'évaluation professionnelle des salariés, lorsqu'ils existent, peuvent être utilement retenus par l'employeur.
Sur les moyens du pourvoi :
7. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Paris a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le document unilatéral prévoyant le plan de sauvegarde de l'emploi de la société IOC Print retenait, au titre du critère d'ordre permettant de prendre en compte les qualités professionnelles des salariés, prévu au 4° de l'article L. 1233-5 du code du travail cité au point 2, des éléments d'appréciation communs à toutes les catégories professionnelles qu'il définissait par ailleurs. Elle a ainsi constaté qu'il prévoyait, au titre de ce critère, la prise en compte, d'une part, du " présentéisme " des salariés, apprécié au regard de leurs absences injustifiées au cours des douze derniers mois précédant la date du 15 mars 2020 - à raison de zéro point pour un nombre de jours d'absence injustifiée supérieur ou égal à trois jours, un point pour un nombre de jours d'absence injustifiée d'un à trois jours, deux points dans les autres cas - et d'autre part, la détention d'un ou plusieurs certificats d'aptitude à la conduite en sécurité, dits " permis CACES ", lesquels permettent la conduite d'équipements de travail mobiles automoteurs et d'équipements servant au levage, à raison de trois points pour les salariés titulaires d'un tel certificat, à jour au 1er janvier 2020.
8. La cour administrative d'appel de Paris a ensuite jugé que si le liquidateur judiciaire de la société IOC Print, qui ne disposait pas de comptes rendus récents d'évaluation professionnelle, pouvait se fonder sur d'autres éléments d'appréciation pour appréhender les qualités professionnelles des salariés, il ne pouvait à ce titre légalement prévoir de prendre en compte, pour la totalité des catégories professionnelles définies par le plan, la détention d'un " permis CACES " , alors qu'un tel élément d'appréciation est sans rapport avec les fonctions afférentes à nombre des catégories professionnelles qu'il avait définies, peu important à cet égard, au regard de l'objet des critères d'ordre, que la détention d'un tel permis paraisse correspondre aux besoins du repreneur de la société IOC Print. Elle en a déduit que la décision en litige, homologuant le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société IOC Print, était illégale. Ce faisant, la cour, qui n'a pas soulevé d'office ce moyen sur lequel, dès lors qu'il était invoqué en première instance, il lui appartenait de se prononcer au titre de l'effet dévolutif de l'appel, n'a pas insuffisamment motivé son arrêt ni, eu égard à ce qui a été dit au point 6, commis d'erreur de droit. Enfin, dès lors que la cour a retenu que cet élément d'appréciation du critère des qualités professionnelles par catégorie professionnelle était sans rapport avec les fonctions afférentes à nombre de catégories professionnelles, les requérants ne peuvent utilement lui reprocher de ne pas avoir fait application des dispositions de l'article
L. 1132-1 du code du travail.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Par suite, leur pourvoi doit être rejeté, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de
Me Souchon, en qualité de liquidateur de la société IOC Print, et de la société IOC Print le versement solidaire d'une somme de 500 euros, respectivement à M. F..., à Mme E..., à M. I..., à M. G..., à M. H... et à M. R..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Me Souchon et de la société IOC Print est rejeté.
Article 2 : Me Souchon et la société IOC Print verseront solidairement une somme de
500 euros respectivement à M. F..., à Mme E..., à M. I..., à M. G..., à
M. H... et à M. R... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Me Alain-François Souchon, en qualité de liquidateur judiciaire de la société IOC Print, à la société IOC Print et à M. O... F..., premier défendeur dénommé.
Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.