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13/10/2023 | FRANCE | N°466224

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 13 octobre 2023, 466224


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 466224, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er août et 2 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-841 du 1er juin 2022 relatif aux agents de l'Office national des forêts ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.r>
2° Sous le n° 466225, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoi...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 466224, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er août et 2 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-841 du 1er juin 2022 relatif aux agents de l'Office national des forêts ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 466225, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 1er août et 2 novembre 2022, 26 février et 9 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de l'environnement ;

- le code forestier ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 ;

- la décision du 27 janvier 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel ;

- la décision n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel présentent à juger des questions connexes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Les dispositions du 1° du I de l'article 79 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique ont autorisé le Gouvernement, pendant dix-huit mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour " modifier les dispositions du code forestier relatives à l'Office national des forêts afin d'élargir les possibilités de recrutement d'agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l'exercice de l'ensemble des missions confiées à l'office, y compris la constatation de certaines infractions et à l'exclusion de leur recherche, par certains d'entre eux commissionnés et assermentés à cet effet ".

3. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris l'ordonnance attaquée du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, qui n'a pas été ratifiée à la date de la présente décision, et qui modifie diverses dispositions du code forestier, du code de l'environnement et du code de la santé publique concernant les missions des agents de cet établissement. Afin de tirer les conséquences de cette ordonnance, la Première ministre a pris le décret attaqué du 1er juin 2022 relatif aux agents de l'Office national des forêts.

Sur l'ordonnance du 1er juin 2022 :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 161-1 du code forestier : " Constituent des infractions forestières tous les délits et contraventions prévus par le présent code et par les textes pris pour son application. / Sont également des infractions forestières lorsqu'elles sont commises dans les bois et forêts ou les autres terrains ou espaces soumis aux dispositions du présent code : / 1° Les infractions prévues et réprimées par le code pénal en matière de dépôt ou abandon de matières, d'ordures, de déchets ou d'épaves ; / 2° Les contraventions aux arrêtés de police du maire pris en application : / a) Du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, en vue de prévenir ou de faire cesser les incendies, les éboulements de terre ou de rochers ainsi que les avalanches ; / b) Du 7° du même article ; / c) Du 2° de l'article L. 2213-2 du même code, lorsqu'ils concernent l'arrêt et le stationnement dans les espaces naturels et notamment forestiers des caravanes et camping-cars sur les voies publiques ou privées ouvertes à la circulation publique ". Aux termes de l'article L. 161-4 du même code, dans sa rédaction issue du 2° de l'article 2 de l'ordonnance attaquée : " I.- Sont habilités à rechercher et constater les infractions forestières, outre les officiers et agents de police judiciaire : / 1° Les agents des services de l'Etat chargés des forêts, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet ; / 2° Les agents publics en service à l'Office national des forêts ainsi que les agents de l'établissement public du domaine national de Chambord, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet ; / 3° Les gardes champêtres et les agents de police municipale. / Les agents mentionnés aux 1° à 3° peuvent rechercher et constater d'autres infractions, dans les conditions prévues par les dispositions législatives les désignant à cet effet. Lorsqu'ils sont investis par le code de l'environnement de missions de recherche et de constatation d'infractions, ils interviennent dans les conditions définies aux articles L. 172-5 à L. 172-15 et à l'article L. 174-2 de ce code. / II.- Sont habilités à constater, sans les rechercher, les infractions forestières, les agents contractuels de droit privé de l'Office national des forêts, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet. / Ces agents peuvent constater d'autres infractions, dans les conditions prévues par les dispositions législatives les désignant à cet effet. Lorsqu'ils sont investis par le code de l'environnement de missions de constatation d'infractions, ils interviennent dans les conditions définies à l'article L. 172-7, au premier alinéa de l'article L. 172-8, au deuxième alinéa de l'article L. 172-10, aux articles L. 172-12 à L. 172-14 et à l'article L. 174-2 de ce code ".

5. D'une part, en se bornant, au I de l'article L. 161-4 du code forestier dans sa rédaction issue de l'article 2 de l'ordonnance attaquée, à reprendre à droit constant les dispositions relatives aux agents de droit public de ce même article dans sa rédaction antérieure, le Gouvernement n'a pas méconnu le champ défini par la loi d'habilitation, nonobstant l'ajout d'un simple renvoi aux autres dispositions législatives existantes désignant ces agents aux fins de recherche et de constat des infractions qu'elles définissent et dans les conditions qu'elles prévoient.

6. D'autre part, ainsi qu'il a été rappelé au point 2, le législateur a habilité le Gouvernement à permettre aux agents contractuels de droit privé de l'Office national des forêts de constater, à l'exclusion de leur recherche, " certaines infractions ". Par suite, en prévoyant, au premier alinéa du II de l'article L. 161-4 du code forestier dans sa rédaction issue de l'article 2 de l'ordonnance attaquée, que ces agents sont habilités à constater, sans les rechercher, " les infractions forestières ", qui sont limitativement énumérées à l'article L. 161-1 du même code, et au second alinéa du même II que ces mêmes agents peuvent constater " d'autres infractions, dans les conditions prévues par les dispositions législatives les désignant à cet effet ", le Gouvernement ne les a pas dotés d'une compétence générale de constatation de toute infraction et n'a pas méconnu le champ défini par la loi d'habilitation du 7 décembre 2020, éclairé par les travaux parlementaires ayant précédé son adoption.

7. En deuxième lieu, aux termes du second alinéa de l'article L. 161-7 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 2 de l'ordonnance attaquée : " Les agents mentionnés au 2° du I de l'article L. 161-4 peuvent rechercher et constater les infractions au titre III du présent livre et aux réglementations prises pour son application dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété. Les agents mentionnés au II de l'article L. 161-4 peuvent constater, sans les rechercher, ces infractions dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété ". L'article L. 174-9 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance attaquée, a retenu une rédaction similaire pour l'application de l'article L. 161-7 à La Réunion. D'une part, en mentionnant que les agents de l'Office national des forêts peuvent constater des infractions dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété, le Gouvernement n'a, en tout état de cause, pas défini la compétence de ces agents en fonction du régime de propriété des bois et forêts, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant. D'autre part, il résulte des termes mêmes des dispositions précitées que le Gouvernement n'a pas habilité ces agents à constater toutes les infractions, mais seulement celles qui sont définies au titre III du livre Ier du code forestier et par les actes réglementaires pris pour son application. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'en adoptant ces dispositions, le Gouvernement aurait méconnu le champ défini par la loi d'habilitation du 7 décembre 2020 ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, si les dispositions de la loi d'habilitation rappelées au point 2 ont précisé que le Gouvernement était habilité à modifier les dispositions du seul code forestier, elles ont aussi expressément prévu que les agents contractuels de droit privé de l'Office national des forêts ne pourraient être habilités à rechercher des infractions. Il appartenait dès lors au Gouvernement, dans le cadre de cette habilitation, de tirer les conséquences, le cas échéant dans d'autres codes que le code forestier, de ce qu'il décidait dans le code forestier, pour assurer la cohérence des dispositions qu'il adoptait et respecter les bornes de l'habilitation qui lui avait été donnée. Dès lors, en procédant à la modification, outre du code forestier, des dispositions des codes de l'environnement et de la santé publique qui habilitaient ces agents à rechercher les infractions qu'elles prévoient, le Gouvernement n'a pas méconnu le champ de cette habilitation.

9. En quatrième lieu, par sa décision du 31 mars 2023 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions du code forestier, du code de l'environnement et du code de la santé publique modifiées par l'ordonnance attaquée qui lui ont été renvoyées conformes à la Constitution. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, des droits et libertés que la Constitution garantit ne peut qu'être écarté.

10. En dernier lieu, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur, comme au Gouvernement agissant par voie d'ordonnance, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 8 que le Gouvernement n'a pas méconnu cet objectif.

11. Il résulte de ce qui précède que le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

Sur le décret du 1er juin 2022 :

12. En premier lieu, aux termes de l'article R. 162-1 du code forestier, dans sa rédaction issue du décret attaqué : " I.- Les fonctionnaires de l'Office national des forêts pouvant être désignés afin d'être commissionnés et assermentés pour rechercher et constater les infractions forestières sont : / 1° Les techniciens supérieurs forestiers ; / 2° Les cadres techniques de l'Office national des forêts. / II.- Le commissionnement de ces fonctionnaires ainsi que celui des agents contractuels de droit privé mentionnés au II de l'article L. 161-4 est prononcé par le directeur général de l'Office national des forêts ". Contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, ni ces dispositions, compte tenu de la teneur des dispositions du II de l'article L. 161-4 de ce code citées au point 4 auxquelles elles renvoient, ni la modification de l'intitulé, qui n'a au demeurant aucune valeur normative, de la sous-section 1 de la section 1 du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du même code par les dispositions du 1° de l'article 1er du décret attaqué, ne peuvent être lues comme ouvrant la possibilité au directeur général de l'Office national de forêts de commissionner les agents contractuels de droit privé de l'office en vue de rechercher des infractions. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par le décret attaqué, des dispositions du code forestier dans leur rédaction résultant des articles 2 à 4 de l'ordonnance du 1er juin 2022 en litige et, en tout état de cause, du 1° du I de l'article 79 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, doit être écarté.

13. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 11 que le moyen tiré de l'annulation du décret attaqué par voie de conséquence de l'annulation de l'ordonnance du 1er juin 2022 en litige ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de ce qui précède que le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Ces mêmes dispositions font également obstacle à ce qui soit fait droit aux conclusions présentées sur le même fondement par l'Office national des forêts, qui n'a pas la qualité de partie dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par l'Office national des forêts sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée à l'Office national des forêts et du ministre de l'intérieur et des outre-mer.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466224
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 oct. 2023, n° 466224
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassara
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466224.20231013
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