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11/10/2023 | FRANCE | N°464601

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 11 octobre 2023, 464601


Vu la procédure suivante :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles de la décharger de l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et les pénalités correspondantes mises à sa charge au titre de l'année 2016. Par un jugement n° 2002872 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.



Par une ordonnance n° 2200331 du 1er février 2022, le président du tribunal administratif de Versailles a transmis à la cour administrative d'appel de Ve

rsailles la requête d'appel de Mme B... contre ce jugement.



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Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles de la décharger de l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et les pénalités correspondantes mises à sa charge au titre de l'année 2016. Par un jugement n° 2002872 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 2200331 du 1er février 2022, le président du tribunal administratif de Versailles a transmis à la cour administrative d'appel de Versailles la requête d'appel de Mme B... contre ce jugement.

Par une ordonnance n° 22VE00278 du 5 mai 2022, le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté la requête d'appel de Mme B... contre ce jugement comme manifestement irrecevable.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois autres mémoires, enregistrés les 1er juin, 11 août et 8 septembre 2022 et les 1er et 17 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme A... B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale a, sur le fondement de l'article 1691 bis du code général des impôts, réclamé à Mme B... le paiement de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes auxquelles le foyer fiscal qu'elle formait avec son ancien époux avait été assujetti au titre de l'année 2016. Par une décision du 22 janvier 2020, l'administration fiscale a rejeté sa demande du 2 septembre 2019 de décharge de son obligation solidaire de paiement au motif qu'il n'existait pas de disproportion marquée entre le montant de sa dette fiscale et sa situation financière et patrimoniale, nette de charges, à la date de cette demande. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 5 mai 2022 par laquelle le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté, pour irrecevabilité manifeste, son appel contre le jugement du 16 décembre 2021 du tribunal administratif de Versailles refusant de faire droit à sa demande de décharge de son obligation solidaire de paiement.

2. D'une part, l'article R. 222-1 du code de justice administrative dispose que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) ". Aux termes de l'article R. 751-5 du même code : " Lorsque la décision rendue relève de la cour administrative d'appel et, sauf lorsqu'une disposition particulière a prévu une dispense de ministère d'avocat en appel, la notification mentionne que l'appel ne peut être présenté que par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 ". L'article R. 612-1 du même code précise que : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. / Toutefois, la juridiction d'appel ou de cassation peut rejeter de telles conclusions sans demande de régularisation préalable pour les cas d'irrecevabilité tirés de la méconnaissance d'une obligation mentionnée dans la notification de la décision attaquée conformément à l'article R. 751-5. (...) ". L'article R. 811-7 du même code dispose que : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 774-8, les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. / Lorsque la notification de la décision soumise à la cour administrative d'appel ne comporte pas la mention prévue au deuxième alinéa de l'article R. 751-5, le requérant est invité par la cour à régulariser sa requête dans les conditions fixées à l'article R. 612-1. (...) ".

3. D'autre part, aux termes des deux premiers alinéas de l'article 1er de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " L'accès à la justice et au droit est assuré dans les conditions prévues par la présente loi. / L'aide juridique comprend l'aide juridictionnelle (...) ". L'article 18 de cette même loi dispose que : " L'aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l'instance ". Aux termes de l'article 32 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la cette loi et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles, dans sa version applicable au litige : " Le bureau d'aide juridictionnelle territorialement compétent pour statuer sur la demande d'aide juridictionnelle est : / (...) 4° Pour les affaires portées devant une cour administrative d'appel, y compris celles relevant de la compétence de premier ressort de cette cour, le bureau établi au siège du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège la cour administrative d'appel devant laquelle l'affaire est ou doit être portée, ou, à défaut, le bureau établi au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel a son siège la cour administrative d'appel devant laquelle l'affaire est ou doit être portée ; (...) ". Aux termes de l'article 35 du même décret : " Le bureau ou la section de bureau qui se déclare incompétent renvoie la demande par décision motivée devant le bureau ou la section de bureau qu'il désigne. (...) ". L'article 51 du même décret prévoit, quant à lui, que : " I.- En cas de demande d'aide juridictionnelle formée en cours d'instance, le secrétaire du bureau d'aide juridictionnelle ou de la section du bureau en avise le président de la juridiction saisie. / Dans le cas où la demande est faite en vue d'exercer une voie de recours, l'avis est adressé au président de la juridiction devant laquelle le recours doit être porté. (...) / II.- Sans préjudice de l'application des dispositions relatives à l'admission provisoire, la juridiction avisée du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle sursoit à statuer dans l'attente de la décision relative à cette demande. / Il en est de même lorsqu'elle est saisie d'une telle demande, qu'elle transmet sans délai au bureau d'aide juridictionnelle compétent. / Les dispositions des alinéas précédents ne sont pas applicables en cas d'irrecevabilité manifeste de l'action du demandeur, insusceptible d'être couverte en cours d'instance ".

4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les cours administratives d'appel peuvent rejeter les requêtes qui n'ont pas été présentées par un avocat, sans demande de régularisation préalable, si le requérant a été averti dans la notification du jugement attaqué que l'obligation du ministère d'avocat s'imposait à lui en l'espèce. Toutefois, le juge ne peut régulièrement statuer sur un recours formé par une personne ayant demandé pendant l'instance le bénéfice de l'aide juridictionnelle avant que cette personne ait reçu la notification de la décision prise sur sa demande.

5. Il résulte, en outre, du droit constitutionnellement garanti à toute personne à un recours effectif devant une juridiction que l'obligation de surseoir à statuer mentionnée par ces dispositions s'impose à la juridiction lorsqu'un requérant a formé une demande d'aide juridictionnelle, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'elle n'aurait pas été avisée de l'existence d'une telle demande.

6. Il ressort des pièces du dossier que par une ordonnance du 1er février 2022, la présidente du tribunal administratif de Versailles a, sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, transmis à la cour administrative d'appel de Versailles la requête d'appel formée le 17 janvier 2022 par Mme B... contre le jugement de ce même tribunal administratif du 16 décembre 2021. Par une ordonnance du 5 mai 2022, le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de Mme B... comme manifestement irrecevable, au motif qu'elle n'avait pas été présentée par un avocat, en méconnaissance de l'article R. 811-7 du code de justice administrative. Or, la requérante avait formé le 24 janvier 2022 une demande d'aide juridictionnelle, enregistrée le 15 février 2022 par le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire d'Evry. Ce dernier a rendu une décision d'incompétence le 22 mars 2023 et renvoyé sa demande au bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles, lequel a également rendu une décision d'incompétence le 4 juillet 2022 et renvoyé sa demande au bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris, lequel n'avait pas statué sur cette demande à la date de l'ordonnance attaquée. Dans ces conditions, en rejetant la requête d'appel de Mme B... comme entachée d'une irrecevabilité manifeste faute pour cette dernière de l'avoir présentée par le ministère d'un avocat alors que la requérante avait demandé pendant l'instance le bénéfice de l'aide juridictionnelle et qu'il lui appartenait, par suite, de surseoir à statuer jusqu'à la décision du bureau d'aide juridictionnelle compétent, le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a entaché cette ordonnance d'irrégularité, quand bien même, d'une part, la notification du jugement du tribunal administratif de Versailles que contestait Mme B... lui précisait qu'un éventuel appel était soumis à l'obligation du ministère d'avocat, et lui indiquait que si une demande d'aide juridictionnelle était déposée il lui appartenait de justifier de ce dépôt et, d'autre part, la cour administrative d'appel de Versailles n'avait été avisée ni par Mme B..., ni par les bureaux d'aide juridictionnelle saisis de sa demande de l'existence de cette dernière.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 5 mai 2022 du président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Versailles est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 septembre 2023 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat et M. Aurélien Caron, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 11 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

Le rapporteur :

Signé : M. Aurélien Caron

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 464601
Date de la décision : 11/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 oct. 2023, n° 464601
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Aurélien Caron
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464601.20231011
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