Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 21TL02946 du 15 juin 2023, enregistré le 15 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Toulouse, avant de statuer sur la requête de M. B... C... tendant à l'annulation du jugement n° 1905403 du 8 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions d'accueil et de vie qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) La loi n° 2022-229 du 23 février 2022, en particulier le mécanisme de réparation prévu à son article 3, trouve-t-elle à s'appliquer aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, y compris à celles d'appel et lorsque le requérant ne se prévaut pas de ce mécanisme '
2°) Dans l'hypothèse d'une réponse positive à la question précédente, l'intervention de cette loi fait-elle obstacle, lorsque la situation du requérant entre dans son champ d'application et y compris dans l'hypothèse où l'intéressé indique renoncer au bénéfice de ce dispositif législatif, à ce que la responsabilité de l'Etat puisse être examinée sur le fondement des règles du droit commun de la responsabilité de la puissance publique, lesquelles comprennent notamment la possibilité d'opposer la prescription quadriennale prévue par les dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 '
3°) Dans l'hypothèse d'une réponse positive à la question précédente, le juge doit-il déclarer irrecevables les conclusions indemnitaires se fondant sur le seul droit commun de la responsabilité de la puissance publique '
4°) Dans le cas où le dispositif législatif d'indemnisation s'applique, le juge peut-il, compte tenu de son office de pleine juridiction en la matière, condamner l'Etat à verser une indemnisation sur le fondement de la loi du 23 février 2022 ou doit-il renvoyer à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles le soin d'examiner la demande '
Des observations, enregistrées le 10 juillet 2023, ont été présentées par le ministre des armées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;
- le décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 ;
- le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Aux termes de l'article 1er de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français : " La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés./ Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l'Algérie, des personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu'à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d'exclusion, de souffrances et de traumatismes durables. " Aux termes de l'article 3 de la même loi : " Les personnes mentionnées à l'article 1er, leurs conjoints et leurs enfants qui ont séjourné, entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, dans l'une des structures destinées à les accueillir et dont la liste est fixée par décret peuvent obtenir réparation des préjudices résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans ces structures. / La réparation prend la forme d'une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, versée dans des conditions et selon un barème fixés par décret. Son montant est réputé couvrir l'ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour. En sont déduites, le cas échéant, les sommes déjà perçues en réparation des mêmes chefs de préjudice ". L'article 4 de cette même loi institue une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement sous statut civil de droit local et les membres de leurs familles, qui est chargée notamment de statuer sur les demandes de réparation présentées sur le fondement de l'article 3.
2. Les dispositions de la loi du 23 février 2022 citées au point 1 instituent un mécanisme de réparation forfaitaire des préjudices résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie dans les lieux où ont été hébergés en France, entre 1962 et 1975, les harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie ainsi que les membres de leurs familles. Ce régime particulier d'indemnisation fait obstacle, depuis son entrée en vigueur, à ce que la responsabilité de droit commun de l'Etat puisse être recherchée au titre des mêmes dommages.
3. En l'absence de dispositions transitoires en ce sens, les dispositions de la loi du 23 février 2022 ne sont pas applicables aux instances engagées antérieurement, mettant en cause la responsabilité de l'Etat à raison de ces conditions d'accueil et de vie en France, qui étaient en cours devant les juridictions administratives à la date d'entrée en vigueur de la loi. Pour ces instances, il appartient au juge administratif de régler les litiges dont il demeure saisi en faisant application des règles de droit commun régissant la responsabilité de l'Etat, y compris le cas échéant les règles de prescription si elles ont été opposées à la demande d'indemnisation, les personnes concernées restant pour leur part susceptibles de saisir la commission nationale créée par l'article 4 de la loi du 23 février 2022 d'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de cette loi.
4. Compte tenu de la réponse apportée à la première question posée par la cour administrative d'appel de Toulouse, il n'y a pas lieu de répondre aux autres questions figurant dans la demande d'avis.
Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Toulouse, à M. B... C..., à l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre et au ministre des armées. Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l'issue de la séance 25 septembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 6 octobre 2023
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana