Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 octobre 2022, le 10 janvier et le 8 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 13 septembre 2021 rapportant le décret du 23 octobre 2015 lui accordant la nationalité française, et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 septembre 2023, présentée par M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant sénégalais, a déposé une demande de naturalisation le 30 juin 2014 dans laquelle il a indiqué être célibataire et sans enfant. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 23 octobre 2015, publié au Journal officiel de la République française du 25 octobre 2015. Toutefois, par bordereau reçu le 13 septembre 2019, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que M. B... avait sollicité la transcription sur les registres de l'état-civil français des actes de naissance de ses deux enfants mineurs résidant à l'étranger, C... et D..., nés respectivement le 3 octobre 2012 à Kaolack et le 5 mai 2014 à Diamniadio. Par décret du 13 septembre 2021, publié au Journal officiel de la République française du 14 septembre 2021, le Premier ministre a rapporté le décret de naturalisation de M. B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis du 7 septembre 2021 dont le texte a été communiqué par le ministre de l'intérieur, que le décret dont sont issues les dispositions litigieuses a été pris le Conseil d'Etat (section de l'intérieur) entendu et que son texte ne diffère pas de celui adopté par le Conseil d'Etat. Dès lors, le moyen tiré de ce que son texte ne serait pas conforme à la version transmise par le Gouvernement au Conseil d'Etat ou à celle adoptée par ce dernier doit être écarté.
4. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a déclaré sur l'honneur être célibataire et sans enfant dans la demande qu'il a déposée le 30 juin 2014, alors qu'il a sollicité, par une demande formée le 10 juillet 2019, la transcription sur les registres d'état civil français des actes de naissance de deux enfants mineurs, nés en 2012 et 2014. Ces naissances, antérieures à la naturalisation de l'intéressé, auraient dû être portées à la connaissance des autorités chargées de l'instruction de sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ne pouvait se méprendre sur la teneur de l'engagement qu'il avait pris en déposant sa demande de naturalisation. S'il soutient être de bonne foi et ne pas avoir déclaré sa situation familiale car il ignorait l'existence des deux enfants, M. B... n'apporte, au soutien de cette allégation que des témoignages stéréotypés, qui ne permettent pas d'établir l'authenticité de son récit. Par ailleurs, s'il affirme qu'il n'était pas présent au Sénégal au moment des naissances et ne pouvait être à l'origine de la déclaration des naissances, M. B... ne conteste pas s'être rendu au Sénégal à de nombreuses reprises afin de rendre visite à la mère de ses enfants et ne fait état d'aucune circonstance plausible qui l'aurait empêché de connaître leur existence avant sa naturalisation. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
6. En troisième lieu, s'il est constant que le ministre a commis une erreur de fait en indiquant que l'épouse du requérant était durablement établie au Sénégal à la date du décret, alors qu'elle résidait en France grâce à la naturalisation de l'intéressé depuis le mois de décembre 2020, cette circonstance est sans incidence sur la légalité du décret attaqué, eu égard à la dissimulation des informations sur la situation familiale du requérant.
7. En dernier lieu, la définition des conditions d'acquisition et de perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de la nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, de rapporter légalement le décret accordant à M. B... la nationalité française, dont il n'est ni soutenu, ni a fortiori établi, qu'il aurait perdu la nationalité sénégalaise.
8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 septembre 2021 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 23 octobre 2015 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 septembre 2023 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Clément Tonon, auditeur-rapporteur.
Rendu le 3 octobre 2023.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
Le rapporteur :
Signé : M. Clément Tonon
La secrétaire :
Signé : Mme Catherine Xavier