Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière (SCI) Immorente a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2019. Par un jugement n° 2104023 du 27 février 2023, ce tribunal, après avoir admis l'intervention de l'Eurométropole de Strasbourg par l'article 1er de ce jugement, a rejeté la demande de cette société par les articles 2 et 3 du même jugement.
Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 avril et 3 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Immorente demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Anton, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Immorente ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile immobilière (SCI) Immorente a été assujettie à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères au titre de l'année 2019 dans les rôles de la commune de Strasbourg (Bas-Rhin). Elle se pourvoit en cassation contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition.
2. Aux termes du I de l'article 1520 du code général des impôts : " Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des déchets (...) dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal. / Les dépenses du service de collecte et de traitement des déchets mentionnées au premier alinéa du présent I comprennent : 1° Les dépenses réelles de fonctionnement ; 2° Les dépenses d'ordre de fonctionnement au titre des dotations aux amortissements des immobilisations lorsque, pour un investissement, la taxe n'a pas pourvu aux dépenses réelles d'investissement correspondantes, au titre de la même année ou d'une année antérieure ; 3° Les dépenses réelles d'investissement lorsque, pour un investissement, la taxe n'a pas pourvu aux dépenses d'ordre de fonctionnement constituées des dotations aux amortissements des immobilisations correspondantes, au titre de la même année ou d'une année antérieure. (...) ". Aux termes du 1. du VI de l'article 1379-0 bis du même code : " Sont substitués aux communes pour l'application des dispositions relatives à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères : (...) Les métropoles (...) ". Aux termes du 1. de l'article 1636 B undecies du même code " Les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale ayant institué la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (...) votent le taux de cette taxe dans des conditions fixées à l'article 1639 A ". Aux termes de l'article 1639 A du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article 1639 A bis, les collectivités locales et organismes compétents font connaître aux services fiscaux, avant le 15 avril de chaque année, les décisions relatives soit aux taux, soit aux produits, selon le cas, des impositions directes perçues à leur profit (...) "
3. Si les dispositions du 1. de l'article 1636 B undecies du code général des impôts, telles qu'éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 dont elles sont issues, font obstacle à ce qu'une augmentation ou une diminution du taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères puissent résulter implicitement et indirectement de délibérations se limitant à approuver, au sein du budget établi au titre de ce service par la collectivité ayant instauré cette taxe, le montant attendu de celle-ci pour l'année considérée sans que cette collectivité ne se soit prononcée explicitement sur le taux de la taxe, elles n'imposent pas aux collectivités un vote formel annuel sur ce taux lorsque, n'entendant pas faire évoluer celui-ci, elles établissent le budget correspondant au service d'enlèvement des ordures ménagères en prenant en compte des recettes attendues au titre de cette taxe calculées sur la base d'un taux inchangé par rapport à l'année précédente.
4. Dès lors, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif, pour écarter le moyen tiré de l'absence de délibération de l'Eurométropole de Strasbourg prévoyant explicitement que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères due en 2019 était fixé au même niveau que pour l'année précédente, a jugé qu'aucune disposition législative ne soumettait dans ce cas le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à l'obligation d'être voté annuellement.
5. Toutefois, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères susceptible d'être instituée sur le fondement des dispositions citées au point 2 n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune ou l'établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales et non couvertes par des recettes non fiscales affectées à ces opérations. Il s'ensuit que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées pour ce service, déduction faite, le cas échéant, du montant des recettes non fiscales de la section de fonctionnement, telles qu'elles sont définies par les articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales, relatives à ces opérations.
6. Les dépenses susceptibles d'être prises en compte sont constituées de la somme, telle qu'elle peut être estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe, de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées lorsque la taxe n'a pas pourvu aux dépenses réelles d'investissement correspondantes ou des dépenses réelles d'investissement lorsque la taxe n'a pas pourvu aux dotations aux amortissements.
7. Pour écarter le moyen tiré de ce que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères due en 2019 aurait été manifestement disproportionné au regard des dépenses inscrites au budget de l'Eurométropole de Strasbourg au titre du service de collecte et de traitement des déchets dès lors qu'il n'était pas établi que ce budget n'incluait pas, pour les mêmes immobilisations, à la fois le montant des dépenses réelles d'investissement correspondantes et des dotations au titre de leur amortissement en méconnaissance des dispositions des 2° et 3° du I de l'article 1520 du code général des impôts, le tribunal administratif s'est fondé sur ce que, même en excluant l'ensemble des dotations aux amortissements figurant dans ce budget, les dépenses nettes que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères peut couvrir demeuraient encore supérieures au produit de cette taxe figurant dans le même budget. En statuant ainsi, sans rechercher, au besoin au moyen d'un supplément d'instruction, si certaines des immobilisations au titre desquelles l'Eurométropole de Strasbourg avait fait figurer, dans ce budget, des dépenses réelles d'investissement, lesquelles peuvent notamment correspondre aux annuités du remboursement en capital d'emprunts contractés antérieurement pour l'acquisition de ces immobilisations, n'avaient pas donné lieu au cours des années passées à des dotations aux amortissements couvertes par le produit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le dernier moyen du pourvoi, la société Immorente est fondée à demander l'annulation des articles 2 et 3 du jugement qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Immorente au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du 27 février 2023 du tribunal administratif de Strasbourg sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Strasbourg.
Article 3 : L'Etat versera à la société Immorente une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Immorente, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'Eurométropole de Strasbourg.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 septembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et M. Jean-Marc Anton, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 29 septembre 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Anton
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle