Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 30 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 23 décembre 2022 l'ayant déchu de la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code pénal ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.
2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal.
3. M. B... A... a été déchu de la nationalité française par un décret du 23 décembre 2022 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, après avoir été condamné par un jugement de la 16ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris en date du 30 novembre 2017 pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal.
Sur la régularité de la procédure juridictionnelle devant le Conseil d'Etat :
4. Si M. A... fait valoir que le Conseil d'Etat ne pourrait, sans méconnaître le principe d'impartialité, statuer au contentieux sur sa requête qui est dirigée contre un décret pris, conformément à l'article 25 du code civil, sur avis conforme du Conseil d'Etat, il résulte des termes mêmes de la Constitution, et notamment de ses articles 37, 38, 39 et 61-1 tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel, que le Conseil d'Etat est simultanément chargé par la Constitution de l'exercice de fonctions administratives et placé au sommet de l'un des deux ordres de juridiction qu'elle reconnaît. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de porter les avis rendus par les formations administratives du Conseil d'Etat à la connaissance de ses membres siégeant au contentieux. Au demeurant, ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article R. 122-21-1 du code de justice administrative, les membres du Conseil d'Etat qui ont participé à un avis rendu sur un projet d'acte soumis par le Gouvernement ne participent pas au jugement des recours mettant en cause ce même acte. Enfin, en vertu de l'article R. 122-21-2 du même code, lorsque le Conseil d'Etat est saisi d'un recours contre un acte pris après avis d'une de ses formations consultatives, il est loisible au requérant de demander la liste des membres ayant pris part à la délibération de cet avis, ce qui a d'ailleurs été fait dans la présente instance. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
5. Aux termes de l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Lorsque le Gouvernement décide de faire application des articles 25 et 25-1 du code civil, il notifie les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...). L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. A l'expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé est déchu de la nationalité française ".
6. Après avoir cité les textes applicables et énoncé que M. B... A..., qui a acquis la nationalité française le 18 juin 2001, a été condamné, par un jugement de la 16ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 30 novembre 2017, à un emprisonnement délictuel de sept ans, assorti d'une période de sûreté des deux tiers, pour avoir, courant 2014, participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, à Orléans et dans le département du Loiret, et qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, le décret attaqué indique que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies, sans qu'aucun élément relatif à la situation personnelle du requérant et aux circonstances de l'espèce justifie qu'il y soit fait obstacle. Dans ces conditions, le décret attaqué satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné à une peine de sept ans d'emprisonnement assortie d'une période de sûreté des deux tiers pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. A... a participé au recrutement, à l'endoctrinement et au départ en Syrie de plusieurs personnes issues de l'agglomération orléanaise ayant rejoint les rangs de l'organisation terroriste Jaysh B.... Il a eu en mars et avril 2014 plusieurs contacts téléphoniques avec ces individus où il a explicitement énoncé sa volonté de les rejoindre sur le théâtre syrien, projet qu'il a plusieurs fois reconnu par la suite.
8. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française, qui a notamment pour effet de priver l'intéressé de ses droits civils et politiques en France, est légalement justifiée sans que le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits permette de remettre en cause cette appréciation.
9. Un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. Au cas présent, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Enfin, la seule circonstance que la déchéance de la nationalité française prononcée à l'encontre du requérant a rendu possible l'engagement d'une procédure visant à son expulsion du territoire français n'est pas de nature à caractériser un détournement de procédure.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.