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21/09/2023 | FRANCE | N°470176

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 21 septembre 2023, 470176


Vu la procédure suivante :



La société Getir France a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution des décisions des 17 juin, 7 juillet et 13 septembre 2022 par lesquelles la Ville de Paris a mis en demeure la société Getir France de restituer les entrepôts des 37 rue de l'amiral Mouchez, 34, rue Popincourt et 26, rue Vercingétorix dans leur état d'origine dans un délai de trois mois sous astreinte. Par une ordonnance n° 2224346/4-3, 2224348/

4-3, 2224352/4-3 du 19 décembre 2022, le juge des référés du tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

La société Getir France a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution des décisions des 17 juin, 7 juillet et 13 septembre 2022 par lesquelles la Ville de Paris a mis en demeure la société Getir France de restituer les entrepôts des 37 rue de l'amiral Mouchez, 34, rue Popincourt et 26, rue Vercingétorix dans leur état d'origine dans un délai de trois mois sous astreinte. Par une ordonnance n° 2224346/4-3, 2224348/4-3, 2224352/4-3 du 19 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de ces décisions.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 janvier et 31 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, de rejeter la demande de la société Getir France ;

3°) de mettre à la charge de la société Getir France la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'urbanisme;

- le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 ;

- l'arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris et à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Getir France et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par des arrêtés du 17 juin 2022, du 7 juillet 2022 et du 13 septembre 2022, la maire de la Ville de Paris a mis en demeure la société Getir France de restituer dans leur état d'origine les locaux qu'elle occupe à trois adresses parisiennes, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance du 19 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu ces décisions.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme : " I.-Lorsque des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ainsi que des obligations mentionnées à l'article L. 610-1 ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable et qu'un procès-verbal a été dressé en application de l'article L. 480-1, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée, l'autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3-1 peut, après avoir invité l'intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure, dans un délai qu'elle détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l'aménagement, de l'installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation. / II.-Le délai imparti par la mise en demeure est fonction de la nature de l'infraction constatée et des moyens d'y remédier. Il peut être prolongé par l'autorité compétente, pour une durée qui ne peut excéder un an, pour tenir compte des difficultés que rencontre l'intéressé pour s'exécuter. / III.-L'autorité compétente peut assortir la mise en demeure d'une astreinte d'un montant maximal de 500 € par jour de retard. / L'astreinte peut également être prononcée, à tout moment, après l'expiration du délai imparti par la mise en demeure, le cas échéant prolongé, s'il n'y a pas été satisfait, après que l'intéressé a été invité à présenter ses observations. / Son montant est modulé en tenant compte de l'ampleur des mesures et travaux prescrits et des conséquences de la non-exécution. / Le montant total des sommes résultant de l'astreinte ne peut excéder 25 000 € ".

4. En premier lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

5. En deuxième lieu, le dispositif prévu par l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme a pour objet, lorsque a été dressé un procès-verbal constatant que des travaux soumis à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou dispensés, à titre dérogatoire, d'une telle formalité ont été entrepris ou exécutés irrégulièrement, de permettre à l'autorité administrative, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale et indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée, de mettre en demeure l'intéressé, après avoir recueilli ses observations, selon la nature de l'irrégularité constatée et les moyens permettant d'y remédier, soit de solliciter l'autorisation ou la déclaration nécessaire, soit de mettre la construction, l'aménagement, l'installation ou les travaux en cause en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, y compris, si la mise en conformité l'impose, en procédant aux démolitions nécessaires. Le pouvoir ainsi mis en œuvre a pour seul objet de rétablir les lieux dans leur situation antérieure aux opérations entreprises ou exécutées irrégulièrement. Il en résulte que, si la remise en état a pour effet de priver le propriétaire de l'usage du bien tel qu'il l'avait aménagé, elle n'a pas pour effet de conduire à une privation du droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Par suite, l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme ne méconnaît pas les principes de la garantie des droits et de la séparation des pouvoirs en ce qu'il ne prévoit pas l'intervention du juge judiciaire.

6. En troisième lieu, les mesures susceptibles d'être prises par l'autorité administrative au titre de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme qui visent à assurer le respect de la réglementation d'urbanisme et, le cas échéant, le rétablissement des lieux dans un état conforme à celle-ci, ne présentent pas le caractère d'une sanction. Par suite, ni les principes d'indépendance et d'impartialité, ni les principes afférents à l'exercice des droits de la défense dans les procédures de sanction ne leur sont applicables alors, au demeurant, qu'il est prévu que la personne intéressée doit avoir été invitée à présenter ses observations avant toute mise en demeure de remettre les lieux en l'état.

7. En quatrième lieu, les dispositions de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, ont pour seul objet de garantir le respect de la règle d'urbanisme. Si elles peuvent avoir pour effet de limiter indirectement l'exercice de certaines activités économiques, ces atteintes sont proportionnées à l'objectif poursuivi, de sorte que la question de la conformité de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme au principe de liberté d'entreprendre ne présente pas de caractère sérieux.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution des dispositions contestées, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les moyens du pourvoi formé par la Ville de Paris :

En ce qui concerne le champ d'application de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme :

9. Les dispositions de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme citées au point 3, introduites par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, permettent à l'autorité compétente, indépendamment des poursuites pénales qui pourraient être engagées, de prononcer une mise en demeure, assortie le cas échéant d'une astreinte, dans différentes hypothèses où les règles d'urbanisme citées par ces dispositions, ou les prescriptions résultant d'une décision administrative, ont été méconnues, en vue d'obtenir la régularisation de ces infractions par la réalisation des opérations nécessaires à cette fin, ou par le dépôt des demandes d'autorisation ou déclarations préalables permettant cette régularisation. Il résulte de ces dispositions, prises dans leur ensemble que, si elles font référence aux " travaux ", elles sont cependant applicables à l'ensemble des opérations soumises à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou dispensées, à titre dérogatoire, d'une telle formalité et qui auraient été entreprises ou exécutées irrégulièrement. Il en est notamment ainsi pour les changements de destination qui, en vertu de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, sont soumis à déclaration préalable lorsqu'ils ne sont pas soumis à permis de construire.

10. Par suite, en jugeant que le moyen tiré d'une méconnaissance du champ d'application de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme constituait un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées, au motif qu'il ressortait des pièces du dossier que le changement de destination en cause n'avait pas impliqué de travaux, alors qu'un tel changement de destination était, à tout le moins, soumis à déclaration préalable, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit.

En ce qui concerne la destination des locaux :

11. Aux termes de l'article R. 151-27 du code de l'urbanisme, créé par le décret du 28 décembre 2015, entré en vigueur le 1er janvier 2016, dans sa version alors applicable : " Les destinations de constructions sont : / 1° Exploitation agricole et forestière ; / 2° Habitation ; / 3° Commerce et activités de service ; / 4° Equipements d'intérêt collectif et services publics ; / 5° Autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire ". Cet article remplace l'ancien article R. 123-9, qui prévoyait que : " Les règles édictées dans le présent article peuvent être différentes, dans une même zone, selon que les constructions sont destinées à l'habitation, à l'hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l'artisanat, à l'industrie, à l'exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d'entrepôt. En outre, des règles particulières peuvent être applicables aux constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif ".

12. Aux termes du VI de l'article 12 du décret du 28 décembre 2015 relatif à la partie réglementaire du livre Ier du code de l'urbanisme et à la modernisation du contenu du plan local d'urbanisme : " Les dispositions des articles R. 123-1 à R. 123-14 du code de l'urbanisme dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015 restent applicables aux plans locaux d'urbanisme dont l'élaboration, la révision, la modification ou la mise en compatibilité a été engagée avant le 1er janvier 2016. Toutefois, dans les cas d'une élaboration ou d'une révision prescrite sur le fondement du I de l'article L. 123-13 en vigueur avant le 31 décembre 2015, le conseil communautaire ou le conseil municipal peut décider que sera applicable au document l'ensemble des articles R. 151-1 à R. 151-55 du code de l'urbanisme dans leur rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2016, par une délibération expresse qui intervient au plus tard lorsque le projet est arrêté ".

13. Aux termes de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme: " Doivent être précédés d'une déclaration préalable lorsqu'ils ne sont pas soumis à permis de construire en application des articles R. 421-14 à R. 421-16 les travaux exécutés sur des constructions existantes, à l'exception des travaux d'entretien ou de réparations ordinaires, et les changements de destination des constructions existantes suivants : / a) Les travaux ayant pour effet de modifier l'aspect extérieur d'un bâtiment existant, à l'exception des travaux de ravalement ; / b) Les changements de destination d'un bâtiment existant entre les différentes destinations définies à l'article R. 151-27 ; pour l'application du présent alinéa, les locaux accessoires d'un bâtiment sont réputés avoir la même destination que le local principal et le contrôle des changements de destination ne porte pas sur les changements entre sous-destinations d'une même destination prévues à l'article R. 151-28 (...) ".

14. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les règles issues du décret du 28 décembre 2015 définissant les projets soumis à autorisation d'urbanisme, selon notamment qu'ils comportent ou non un changement de destination d'une construction existante, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016, sans qu'ait d'incidence à cet égard le maintien en vigueur, sauf décision contraire du conseil municipal ou communautaire, de l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016, dans les hypothèses prévues au VI de l'article 12 du décret du 28 décembre 2015, lequel ne se rapporte qu'aux règles de fond qui peuvent, dans ces hypothèses particulières, continuer à figurer dans les plans locaux d'urbanisme et ainsi à s'appliquer aux constructions qui sont situées dans leur périmètre. Les règles soumettant les constructions à permis de construire ou déclaration préalable sont définies, pour l'ensemble du territoire national, par les articles R. 421-14 et R. 421-17 du code de l'urbanisme, qui renvoient, depuis le 1er janvier 2016, pour déterminer les cas de changement de destination soumis à autorisation, aux destinations et sous-destinations identifiées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 de ce code.

15. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris demeure régi par les dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016. Par suite, le juge des référés devait, pour déterminer si la Ville de Paris était en droit d'exiger une déclaration préalable de la société Getir France, apprécier l'existence d'un changement de destination au regard des cinq destinations identifiées à l'article R. 151-27 de ce code. Ce n'est que dans un second temps qu'il devait examiner, dans le cas où un changement de destination était constaté, si la destination des locaux permettait, au regard des règles fixées par le plan local d'urbanisme de Paris, de délivrer la décision de non-opposition à déclaration préalable et ainsi de régulariser, si cela était nécessaire, la situation des sociétés. Par suite, en se référant aux seules destinations figurant dans le plan local d'urbanisme de Paris pour juger que le moyen tiré de ce que les locaux concernés correspondraient à la définition d'espace de logistique urbaine au sens du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris était propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une erreur de droit.

16. Il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris doit être annulée.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur les demandes de suspension :

En ce qui concerne le changement de destination soumis à déclaration préalable :

18. Par les arrêtés litigieux, la Ville de Paris a ordonné la remise en état des locaux après avoir relevé d'une part qu'un changement de destination avait été réalisé sans déclaration préalable et, d'autre part, qu'aucune régularisation n'était possible par la délivrance d'une non-opposition à déclaration préalable, les règles du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris s'opposant à la nouvelle destination des locaux.

19. L'article R. 151-27 du code de l'urbanisme cité au point 11 dresse une liste limitative de cinq destinations. Il est complété par l'article R. 151-28, qui, dans sa version alors applicable, prévoyait que : " Les destinations de constructions prévues à l'article R. 151-27 comprennent les sous-destinations suivantes : / (...) 3° Pour la destination " commerce et activités de service " : artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s'effectue l'accueil d'une clientèle, cinéma, hôtels, autres hébergements touristiques ; / 4° Pour la destination " équipements d'intérêt collectif et services publics " : locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilés, locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés, établissements d'enseignement, de santé et d'action sociale, salles d'art et de spectacles, équipements sportifs, autres équipements recevant du public ; / 5° Pour la destination " autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire " : industrie, entrepôt, bureau, centre de congrès et d'exposition ". Enfin, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du ministre du logement et de l'habitat durable du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu, dans sa version alors applicable : " (...) La sous-destination " artisanat et commerce de détail " recouvre les constructions commerciales destinées à la présentation et vente de bien directe à une clientèle ainsi que les constructions artisanales destinées principalement à la vente de biens ou services ". Aux termes de l'article 5 du même arrêté dans sa version alors applicable : " (...) La sous-destination " entrepôt " recouvre les constructions destinées au stockage des biens ou à la logistique ".

20. Il ressort des pièces du dossier que les locaux occupés par la société Getir France, qui étaient initialement des locaux utilisés par des commerces, sont désormais destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette. Ils ne constituent plus, pour l'application des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme, tels que précisés par l'arrêté du 10 novembre 2016 cité ci-dessus, des locaux " destinées à la présentation et vente de bien directe à une clientèle " et, même si des points de retrait y sont parfois installés et que l'accueil des clients peut se faire de manière accessoire, ils doivent être considérés comme des entrepôts au sens de ces dispositions. L'occupation de ces locaux par la société Getir France pour y exercer les activités en cause constitue donc un changement de destination, soumis, en application de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme à déclaration préalable. Dès lors, la Ville de Paris était en droit d'exiger des sociétés requérantes le dépôt d'une déclaration préalable.

En ce qui concerne la possibilité d'obtenir une non-opposition à déclaration préalable :

21. Pour apprécier si, comme le soutient la Ville de Paris, une telle déclaration préalable devait nécessairement donner lieu à opposition de la ville, si bien que la situation des sociétés requérantes était insusceptible d'être régularisée, il convient, ainsi qu'il a été dit au point 15, de se référer aux dispositions du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris relatives aux destinations.

22. Le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris se réfère encore aux anciennes destinations de l'ancien article R. 123-9 visé aux point 11. Il identifie notamment la possibilité de prévoir des espaces de logistique urbaine au titre des " constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif ". Il définit, par ailleurs, les entrepôts comme les locaux d'entreposage et de reconditionnement de produits ou de matériaux, en précisant que sont assimilés à cette destination tous les locaux d'entreposage liés à une activité industrielle, commerciale ou artisanale, lorsque leur taille représente plus de 1/3 de la surface de plancher totale, et, de façon plus générale, tous les locaux recevant de la marchandise ou des matériaux non destinés à la vente aux particuliers dans lesdits locaux. En outre, le 1° de l'article UG 2.2.2 de ce plan local d'urbanisme prévoit que : " (...) La transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée est interdite ".

23. Il ressort des pièces du dossier que l'occupation des locaux par la société Getir France a pour objet principal de permettre l'entreposage et le reconditionnement de produits non destinés à la vente aux particuliers dans ces locaux, ce qui correspond à une activité relevant de la destination " Entrepôt ", telle que définie par le plan local d'urbanisme de la Ville de Paris, et non des dispositions de ce même plan local d'urbanisme relatives à la logistique urbaine relevant de la catégorie " constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif ". Dès lors, le moyen tiré de ce qu'il n'était pas possible d'opposer au changement de destination opéré, les dispositions de l'article UG.2.2.2 du règlement du plan local d'urbanisme interdisant la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue, n'est pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la société Getir France :

24. La société Getir France soutient en outre que les arrêtés litigieux auraient été pris en méconnaissance des droits de la défense garantis par le paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'ils seraient contraires au principe d'égalité et qu'ils reposeraient sur des dispositions du plan local d'urbanisme de Paris contraires à la liberté d'entreprendre et au principe de sécurité juridique. Aucun de ces moyens n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions litigieuses.

25. Il résulte de tout ce qui précède que l'une des conditions prévues par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas remplie. Par suite, les demandes de suspension présentées par la société Getir France et autres doivent être rejetées.

26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Getir France et autres, pour l'ensemble de la procédure, la somme de 3 000 euros à verser à la Ville de Paris, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Getir France et autres.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 19 décembre 2022 est annulée.

Article 3 : Les demandes de suspension de l'exécution des décisions des 17 juin, 7 juillet et 13 septembre 2022 sont rejetées.

Article 4 : La société Getir France et autres verseront à la Ville de Paris une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Getir France et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris et à la société Getir France, première dénommée pour l'ensemble des défendeurs.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 septembre 2023 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 septembre 2023.

Le président :

Signé : M. Cyril Roger-Lacan

La rapporteure :

Signé : Mme Stéphanie Vera

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 470176
Date de la décision : 21/09/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 sep. 2023, n° 470176
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Stéphanie Vera
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470176.20230921
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