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04/08/2023 | FRANCE | N°457338

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 04 août 2023, 457338


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire rectificatif et deux mémoires en réplique, enregistrés les 8 et 11 octobre 2021 et les 3 février et 16 mai 2023, la société Auchan Hypermarché demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 1er du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en tant qu'il insère un 7° au II de l'article 47-1 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'E

tat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrativ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire rectificatif et deux mémoires en réplique, enregistrés les 8 et 11 octobre 2021 et les 3 février et 16 mai 2023, la société Auchan Hypermarché demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 1er du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en tant qu'il insère un 7° au II de l'article 47-1 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la société Auchan Hypermarché ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 juillet 2023, présentée par la société Auchan Hypermarché ;

Considérant ce qui suit :

1. En raison d'une amélioration progressive de la situation sanitaire, les mesures de santé publique destinées à prévenir la circulation du virus de la covid-19 prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ont été remplacées, après l'expiration de celui-ci le 1er juin 2021, par celles de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. En particulier, le II de son article 1er permettait au Premier ministre d'instituer un dispositif dit de " passe sanitaire ". Il pouvait ainsi subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19, l'accès à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes. En application de ces dispositions, le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire a notamment fixé, à son article 47-1, résultant du décret du 7 juin 2021, la liste des lieux, établissements et événements concernés et défini certaines modalités d'application. A la suite d'une nouvelle dégradation de la situation épidémique, la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a modifié la loi du 31 mai 2021 afin notamment de permettre au Premier ministre d'étendre le champ d'application du " passe sanitaire ", en particulier aux grands magasins et centres commerciaux, au-delà d'un seuil défini par décret, sur décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient et dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport. Le décret du 7 août 2021 en a tiré les conséquences en modifiant l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 pour subordonner à la présentation du " passe sanitaire " l'accès à des établissements, lieux, services et évènements supplémentaires, en particulier aux magasins de vente et centres commerciaux comportant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée calculée est supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés, dans les conditions prévues par la loi, en définissant la notion de surface commerciale utile et les établissements concernés.

2. A la date du décret attaqué, l'épidémie de covid-19 était en cours d'aggravation rapide par l'effet d'un nouveau variant du virus, devenu prépondérant, beaucoup plus contagieux et qui, selon les avis scientifiques alors disponibles, présentait plus de risques de causer des formes graves de la maladie. Entre la deuxième semaine de juillet et la première semaine d'août 2021, le taux d'incidence était passé de 41 pour 100 000 habitants à 236 pour 100 000, tandis que le nombre hebdomadaire de nouvelles hospitalisations était passé de 783 à 4 764, le nombre hebdomadaire d'admissions en soins critiques de 154 à 1 086 et le nombre hebdomadaire de décès en établissement de santé ou médico-social de 165 à 347. Dans ce contexte, la préservation des personnes les plus exposées aux formes graves nécessitait non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus. Les prévisions faisaient état d'une " quatrième vague " épidémique que la couverture vaccinale, si elle était restée à son niveau alors constaté, ou sur sa tendance spontanée de progression, n'aurait pas pu freiner. Les vagues précédentes n'avaient ainsi pu être endiguées qu'au prix de mesures de confinement, de couvre-feu et de fermeture d'établissements, notamment à l'automne 2020, des magasins de vente et centres commerciaux comportant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée était supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés.

3. En premier lieu, d'une part, dans le contexte décrit au point précédent, les magasins de vente et centres commerciaux concernés par le décret attaqué, caractérisés par la concentration de nombreux commerces dans un espace clos, mettaient en présence simultanément un nombre important de personnes et présentaient donc un risque de contamination accru, comme l'a d'ailleurs relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, par laquelle il a déclaré conforme à la Constitution l'obligation de présentation du " passe sanitaire " pour accéder aux centres commerciaux au-delà d'un certain seuil, en raison tant de la promiscuité des personnes présentes, qu'il s'agisse des clients comme du personnel, que des interactions sociales qui s'y déroulent.

4. D'autre part, ainsi que cela ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, la garantie de l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité n'imposait pas d'assurer l'accès à ces biens et services se trouvant dans l'enceinte des grands magasins et centres commerciaux soumis à l'obligation de présentation du " passe sanitaire ", mais devait être prise en compte dans ses décisions par le représentant de l'Etat dans le département, de telle sorte que les clients des centres commerciaux concernés, y compris ceux qui ne détenaient pas un " passe sanitaire ", aient la possibilité d'accéder à de tels biens et services, en particulier alimentaires et de santé, dans des magasins ou établissements situés à une distance raisonnable de ces centres, appréciée au regard de la densité urbaine et des moyens de transport disponibles.

5. Il s'ensuit que les dispositions du décret attaqué, qui se bornent à rappeler une disposition qui figure dans la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en précisant ses modalités d'application, et à renvoyer sa mise en œuvre à des décisions du représentant de l'Etat dans le département, à la condition que les caractéristiques des magasins de vente ou des centres commerciaux et la gravité des risques de contamination le justifient et que soit garanti l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité, ces décisions pouvant au demeurant être soumises au contrôle du juge, sont justifiées par la protection de la santé publique et adaptées à l'objectif poursuivi de lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19, sans être entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

6. En deuxième lieu, eu égard au contexte décrit au point 2 et à la dégradation de la situation sanitaire au cours du mois de juillet 2021, la société requérante, qui ne peut utilement invoquer à l'encontre des dispositions qu'elle attaque des circonstances antérieures, uniquement locales ou postérieures, tenant soit à l'évolution d'indicateurs de la situation sanitaire au début ou au cours du mois d'août 2021 ou dans certaines régions seulement, soit à la situation sanitaire au printemps 2020 ou encore à l'automne 2021, n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions constitueraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, ni au droit au respect de la vie privée et familiale ou au droit à la protection des données personnelles.

7. En troisième lieu, si les dispositions du décret attaqué ont prévu que la surface prise en compte pour le calcul du seuil de 20 000 mètres carrés est la surface commerciale utile, laquelle comprend les surfaces de vente, les bureaux et les réserves, sans inclure les espaces extérieurs affectés aux points de retrait dits " drive ", la surface commerciale utile est une notion déjà reconnue par les professionnels du secteur, favorisant ainsi sa connaissance et la correcte application des dispositions attaquées et reflétant le fait que, contrairement à ce qui est soutenu, la surface des réserves et des bureaux n'est pas sans lien avec la surface de vente ni avec la fréquentation du centre commercial. Si cette définition ne permet pas d'exclure du calcul du seuil de 20 000 mètres carrés les surfaces non accessibles au public de façon habituelle ou temporaire, elle garantit néanmoins la correcte application de la règle, fondée sur des éléments objectifs ne dépendant pas de décisions prises par les responsables des magasins et centres commerciaux concernés. En outre, dès lors que la circulation du personnel, qui peut accéder à ces différentes surfaces, et ses relations avec la clientèle, qui n'a accès qu'à la surface de vente, peuvent favoriser les interactions sociales, la prise en compte de l'ensemble de ces surfaces est adaptée à l'objectif poursuivi de lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Il s'ensuit que ces dispositions ne constituent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, ni à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe de libre concurrence.

8. En dernier lieu, dès lors que la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, ainsi que cela ressort des travaux préparatoires, a entendu retenir uniquement un seuil de surface pour appliquer l'obligation de présentation du " passe sanitaire " pour accéder aux grands magasins et centres commerciaux, les dispositions attaquées ne créent aucune rupture d'égalité ni aucune discrimination entre ces établissements en fonction du nombre de clients pouvant être accueillis en application de la réglementation relative aux établissements recevant du public ni, en raison de ce qui a été dit au point précédent, en cas de surfaces de vente différentes malgré une surface commerciale utile similaire. En outre, ces dispositions ne créent pas davantage de discrimination entre les commerces qui, au sein d'un centre commercial, disposent d'une entrée indépendante par la voie publique leur permettant de fermer leur accès par l'intérieur du centre commercial et les commerces équivalents situés en dehors d'un centre commercial, dès lors que leur application doit reposer sur des éléments objectifs ne dépendant pas de décisions prises par les responsables des magasins et centres commerciaux concernés et que des contacts peuvent intervenir aux abords de ces commerces en raison du nombre important de personnes présentes simultanément dans un centre commercial. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées porteraient atteinte au principe d'égalité et de non-discrimination doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions qu'elle attaque. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Auchan Hypermarché est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Auchan Hypermarché et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 4 août 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 457338
Date de la décision : 04/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 aoû. 2023, n° 457338
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:457338.20230804
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