Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler la décision référencée " 48 SI " du 9 avril 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a notifié un retrait de six points de son permis de conduire, a constaté la perte de validité de son permis de conduire pour solde de points nul et lui a enjoint de remettre ce titre à la préfecture de son lieu de résidence, ainsi que la décision du 24 mai 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours gracieux dirigé contre sa décision du 9 avril 2022 et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui restituer son titre de conduite avec un capital de six points. Par un jugement n° 2202344 du 2 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a annulé la décision litigieuse et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de restituer à M. A... son permis de conduire affecté de six points, sous réserve d'autres infractions entraînant retrait de points.
Par un pourvoi enregistré le 4 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la route ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer se pourvoit en cassation contre le jugement du 2 novembre 2022 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens , d'une part, a prononcé l'annulation de sa décision référencée " 48 SI " du 9 avril 2022 par laquelle il a notifié à M. B... A... le retrait de six points de son permis de conduire, constaté la perte de validité du permis de conduire de l'intéressé pour solde de points nul et enjoint à celui-ci de remettre son titre de conduite à la préfecture de son lieu de résidence et, d'autre part, lui a enjoint, sous réserve que l'intéressé n'ait pas commis d'autres infractions entraînant retrait de points sur son permis de conduire, de reconstituer six points au capital du permis de M. A..., ainsi que de lui restituer son titre de conduite.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond et notamment du relevé d'information intégral de M. A... que celui-ci, titulaire à compter du 22 novembre 2018 d'un permis de conduire probatoire doté d'un capital initial de six points en application des dispositions de l'article R. 223-1 du code de la route, a commis deux infractions au cours du délai probatoire de deux ans. La première infraction, commise le 26 juin 2019, a donné lieu à une condamnation devenue définitive le 8 juillet 2019 et au retrait d'un point, puis à la restitution de ce point le 8 janvier 2020, au terme du délai de six mois fixé au troisième alinéa de l'article L. 223-6 du code de la route. La seconde infraction a été commise le 22 décembre 2019 et a donné lieu à une ordonnance pénale devenue définitive le 22 janvier 2021, à la suite de laquelle ont été prises les décisions contestées.
3. Aux termes de l'article L. 223-1 du code de la route : " Le permis de conduire est affecté d'un nombre de points. Celui-ci est réduit de plein droit si le titulaire du permis a commis une infraction pour laquelle cette réduction est prévue. / A la date d'obtention du permis de conduire, celui-ci est affecté de la moitié du nombre maximal de points. Il est fixé un délai probatoire de trois ans. Au terme de chaque année de ce délai probatoire, le permis est majoré d'un sixième du nombre maximal de points si aucune infraction ayant donné lieu à un retrait de points n'a été commise depuis le début de la période probatoire. Lorsque le titulaire du permis de conduire a suivi l'apprentissage anticipé de la conduite défini à l'article L. 211-3, ce délai probatoire est réduit à deux ans et cette majoration est portée au quart du nombre maximal de points. (...) Le premier alinéa de l'article L. 223-6 n'est pas applicable pendant le délai probatoire mentionné au deuxième alinéa du présent article ". En vertu de l'article R. 223-1 du même code : " I.- Le permis de conduire est affecté d'un nombre maximal de douze points. / II.- A la date d'obtention du permis de conduire, celui-ci est affecté d'un nombre initial de six points. / Au terme de chaque année du délai probatoire défini à l'article L. 223-1, si aucune infraction ayant donné lieu à retrait de points n'a été commise depuis le début de la période probatoire, ce permis de conduire est majoré de deux points. Cette majoration est portée à trois points si le titulaire du permis a suivi un apprentissage anticipé de la conduite. (...) / III.- Pendant le délai probatoire, le permis de conduire ne peut être affecté d'un nombre de points supérieur à six. Ce nombre est augmenté de la majoration résultant de l'application du II du présent article. / IV.- A l'issue de ce délai probatoire, si aucune infraction ayant donné lieu à retrait de points n'a été commise, le permis de conduire est affecté du nombre maximal de douze points. / En cas de commission d'infraction ayant donné lieu à retrait de points au cours du délai probatoire, l'affectation du nombre maximal de points intervient dans les conditions définies à l'article L. 223-6. (...) ". Selon le troisième alinéa de l'article L. 223-6 du même code : " (...) en cas de commission d'une infraction ayant entraîné le retrait d'un point, ce point est réattribué au terme du délai de six mois à compter de la date mentionnée au premier alinéa, si le titulaire du permis de conduire n'a pas commis, dans cet intervalle, une infraction ayant donné lieu à un nouveau retrait de points ".
4. Il résulte des termes du jugement attaqué que, pour annuler la décision " 48 SI " du 9 avril 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur a retiré six points du capital de points de M. A..., a constaté que le solde de points de l'intéressé était nul, a prononcé la perte de validité du permis de M. A... et lui a enjoint de remettre son titre de conduite, le magistrat désigné s'est fondé sur la circonstance que le point retiré du capital de l'intéressé à la suite de l'infraction commise le 26 juin 2019 a été restitué le 8 janvier 2020, soit avant la fin du délai probatoire survenu le 22 novembre 2020, pour en déduire, d'une part, que l'intéressé bénéficiait à cette dernière date d'un capital de douze points sur son permis de conduire et, d'autre part, qu'à la suite du retrait de six points consécutif à la condamnation définitive de M. A..., le 30 novembre 2021, pour l'infraction commise le 22 décembre 2019, le solde de points de l'intéressé n'était pas nul à la date de la décision litigieuse.
5. En statuant ainsi, alors, d'une part, que les infractions commises par M. A... au cours du délai probatoire faisaient obstacle à ce que son permis de conduire soit affecté à l'issue de ce délai, en application des dispositions de l'article L. 223-1 et des II et IV de l'article R. 223-1 du code de la route citées au point 3, du nombre maximal de douze points, la circonstance que le point retiré à la suite de la première infraction ait été restitué avant la fin de ce délai probatoire restant sans incidence à cet égard, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a commis une erreur de droit.
6. Il résulte, d'autre part, du IV de l'article R. 223-1 du code de la route cité au point 3 ci-dessus que le permis de conduire n'est affecté du nombre maximal de douze points à l'issue du délai probatoire que si aucune infraction ayant donné lieu à retrait de points n'a été commise au cours de ce délai. Par suite, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a également commis une erreur de droit en jugeant que M. A... disposait à l'issue du délai probatoire du nombre maximal de douze points en raison de la circonstance que la réalité de l'infraction commise au cours de ce délai n'a été établie que postérieurement.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. Il résulte en premier lieu de ce qui a été dit au point 5 que la circonstance que M. A... a commis une infraction entraînant retrait de points de son capital initial de six points au cours de la première année du délai probatoire faisait obstacle à toute majoration de ce capital initial au terme de ce même délai, en vertu des dispositions du IV de l'article R. 223-1 du code de la route rappelées au point 3. En outre, en vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 223-1 du même code, également rappelées au point 3 : " Le premier alinéa de l'article L. 223-6 n'est pas applicable pendant le délai probatoire mentionné au deuxième alinéa du présent article ". Dès lors et indépendamment même de la commission d'une nouvelle infraction le 22 novembre 2019, le délai au terme duquel le permis de conduire de M. A... aurait pu être affecté du nombre maximal de douze points n'a commencé à courir qu'à l'issue du délai probatoire. Par suite et contrairement à ce que soutient l'intéressé, c'est à bon droit que le ministre de l'intérieur a retiré par la décision litigieuse six points du capital de l'intéressé, a constaté l'invalidité de son permis de conduire pour solde de points nul et l'a invité à restituer son titre de conduite après que sa condamnation pénale pour avoir commis une autre infraction au code de la route a acquis un caractère définitif le 30 novembre 2021.
10. En second lieu, la délivrance, au titulaire du permis de conduire à l'encontre duquel est relevée une infraction donnant lieu à retrait de points, de l'information prévue aux articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route constitue une garantie essentielle donnée à l'auteur de l'infraction pour lui permettre, avant d'en reconnaître la réalité par le paiement d'une amende forfaitaire ou l'exécution d'une composition pénale, d'en mesurer les conséquences sur la validité de son permis et éventuellement d'en contester la réalité devant le juge pénal. Elle revêt le caractère d'une formalité substantielle et conditionne la régularité de la procédure au terme de laquelle le retrait de points est décidé. Toutefois, l'omission de cette formalité est sans influence sur la régularité du retrait de points résultant de la condamnation, lorsque la réalité de l'infraction a été établie par une condamnation devenue définitive prononcée par le juge pénal, qui a statué sur tous les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, et que l'auteur de l'infraction a ainsi pu la contester. Cette dernière condition est également remplie lorsque la condamnation intervient selon la procédure simplifiée régie par les articles 524 et suivants du code de procédure pénale, qui permettent au juge de statuer sans débat préalable sur une contravention de police, mais qui réservent la possibilité, pour le prévenu, de former opposition à l'ordonnance pénale ainsi prononcée et d'obtenir que l'affaire soit portée à l'audience du tribunal de police ou de la juridiction de proximité dans les formes de la procédure ordinaire.
11. Il ressort des pièces du dossier que la réalité de l'infraction commise par M. A... le 22 décembre 2019 est établie par une condamnation, devenue définitive, prononcée le 22 janvier 2021 par une ordonnance pénale suspendant le permis de conduire de l'intéressé et à laquelle celui-ci n'a pas fait opposition. Par suite, le moyen tiré du manquement à l'obligation d'information préalable prévue aux articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route ne saurait, en tout état de cause, être utilement invoqué à l'encontre de la décision du ministre de l'intérieur du 9 avril 2022.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 9 avril 2022 et de la décision du 24 mai 2022 rejetant son recours gracieux. Ses conclusions à fins d'injonction doivent par suite également être rejetées.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande à ce titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. A..., présentées devant le tribunal administratif d'Amiens, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juillet 2023 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 26 juillet 2023.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
Le rapporteur :
Signé : M. Christophe Barthélemy
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras