La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/07/2023 | FRANCE | N°462612

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 26 juillet 2023, 462612


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mars et 21 juin 2022, la société EkWateur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale ;

2°) d'enjoindre aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre au plus tard dans un dé

lai de 15 jours à compter de l'annulation de l'arrêté du 28 janvier 2022, un nouvel arr...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mars et 21 juin 2022, la société EkWateur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale ;

2°) d'enjoindre aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre au plus tard dans un délai de 15 jours à compter de l'annulation de l'arrêté du 28 janvier 2022, un nouvel arrêté fixant, sur la période du 1er février au 31 juillet 2022, les tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale au niveau résultant de la proposition de la Commission de régulation de l'énergie du 18 janvier 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2019/944/UE du Parlement européen et du Conseil du

5 juin 2019 ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 ;

- la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 ;

- l'arrêt du 28 juillet 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne rendu dans l'affaire C-379/15 " Association France Nature Environnement " ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2023, présentée par la société EkWateur ;

Considérant ce qui suit :

1. La société EkWateur demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale, instituant un " bouclier tarifaire " à compter du 1er février 2022 au bénéfice de ces derniers dans les conditions mentionnées au point 7.

Sur le cadre juridique du litige :

En ce qui concerne le droit de l'Union européenne :

2. Aux termes de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, relatif aux prix de fourniture basés sur le marché : " 1. Les fournisseurs sont libres de déterminer le prix auquel ils fournissent l'électricité aux clients. Les États membres prennent des mesures appropriées pour assurer une concurrence effective entre les fournisseurs. / (...) / 4. Les interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité : / a) poursuivent un objectif d'intérêt économique général et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif d'intérêt économique général ; / b) sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables ; / c) garantissent aux entreprises d'électricité de l'Union un égal accès aux clients ; / d) sont limitées dans le temps et proportionnées en ce qui concerne leurs bénéficiaires ; / e) n'entraînent pas de coûts supplémentaires pour les acteurs du marché d'une manière discriminatoire. / (...) / 6. Dans le but d'assurer une période transitoire permettant d'établir une concurrence effective entre les fournisseurs pour les contrats de fourniture d'électricité et de parvenir à une fixation pleinement effective des prix de détail de l'électricité fondée sur le marché conformément au paragraphe 1, les Etats membres peuvent mettre en œuvre des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité (...) aux microentreprises (...). / 7. Les interventions publiques effectuées en vertu du paragraphe 6 respectent les critères énoncés au paragraphe 4 et : / a) sont assorties d'un ensemble de mesures permettant de parvenir à une concurrence effective et d'une méthode d'évaluation des progrès en ce qui concerne ces mesures ; / b) sont fixées à l'aide d'une méthode garantissant un traitement non discriminatoire des fournisseurs ; / c) sont établies à un prix supérieur aux coûts, à un niveau permettant une concurrence tarifaire effective ; / d) sont conçues de façon à réduire au minimum tout impact négatif sur le marché de gros de l'électricité ; / e) garantissent que tous les bénéficiaires de telles interventions publiques ont la possibilité de choisir des offres du marché concurrentielles (...) ; / f) garantissent que (...) tous les bénéficiaires de telles interventions publiques ont le droit de disposer de compteurs intelligents ; / g) ne se traduisent pas par des subventions croisées directes entre les clients fournis aux prix du marché libre et ceux fournis aux prix de fourniture réglementés. / (...) ".

En ce qui concerne le droit national :

3. D'une part, en premier lieu, aux termes de l'article L. 337-4 du code de l'énergie : " La Commission de régulation de l'énergie transmet aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie ses propositions motivées de tarifs réglementés de vente d'électricité. La décision est réputée acquise en l'absence d'opposition de l'un des ministres dans un délai de trois mois suivant la réception de ces propositions. Les tarifs sont publiés au Journal officiel. (...) ". Aux termes de l'article L. 337-5 du même code : " Les tarifs réglementés de vente d'électricité sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts mentionnés à l'article L. 337-6 ". Aux termes de l'article L. 337-6 de ce code : " Les tarifs réglementés de vente d'électricité sont établis par addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture. / (...) ".

4. En second lieu, en vertu du I de l'article L. 337-7 du code de l'énergie, les tarifs réglementés de vente d'électricité bénéficient, à leur demande, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, aux consommateurs finals domestiques (dits " résidentiels) " et non domestiques (dits " non résidentiels ") qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excèdent pas 2 millions d'euros.

5. D'autre part, en premier lieu, aux termes du VI de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 : " En 2022, par dérogation aux articles L. 337-4 à

L. 337-9 du code de l'énergie, si les propositions motivées de tarifs réglementés de vente d'électricité de la Commission de régulation de l'énergie conduisent à ce que les tarifs dits

" bleus " applicables aux consommateurs résidentiels définis à l'article R. 337-18 du même code, majorés des taxes applicables après application de l'article 29 de la présente loi, excèdent de plus de 4 % ceux applicables au 31 décembre 2021, majorés des taxes applicables à cette date, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie peuvent s'opposer à ces propositions motivées de la Commission de régulation de l'énergie prises en application de l'article L. 337-4 du code de l'énergie et fixer, par arrêté conjoint, un niveau de tarifs inférieur afin de répondre à l'objectif de stabilité des prix (...) ".

6. En second lieu, aux termes du VII de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " A compter de leur première évolution de l'année 2023, les tarifs réglementés de vente d'électricité dits " bleus " applicables aux consommateurs résidentiels définis à l'article R. 337-18 du code de l'énergie intègrent une composante de rattrapage, sur douze mois, permettant de couvrir les pertes de recettes supportées par l'entreprise " Électricité de France " résultant de l'écart entre le niveau des tarifs réglementés de vente d'électricité dits " bleus " proposé par la Commission de régulation de l'énergie et le niveau des mêmes tarifs fixé par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie en application du VI du présent article (...) ". Aux termes du VIII du même article, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Les pertes de recettes supportées, entre l'entrée en vigueur des tarifs mentionnés au VI et leur première évolution de l'année 2023, (...) par les fournisseurs d'électricité pour leurs offres de marché constituent des charges imputables aux obligations de service public, au sens de l'article L. 121-6 du même code, compensées par l'Etat. Ces pertes de recettes sont calculées par application d'un montant unitaire en euros par mégawattheure aux volumes livrés aux clients résidentiels en offre de marché par les fournisseurs d'électricité (...), entre l'entrée en vigueur des tarifs mentionnés au VI du présent article et leur première évolution de l'année 2023. Le montant unitaire est calculé comme la différence, en euros par mégawattheure, entre le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs dits " bleus " aux clients résidentiels en France métropolitaine continentale qui auraient été appliqués en l'absence du même VI et le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs dits " bleus " aux clients résidentiels en France métropolitaine continentale effectivement appliqués en application dudit VI. (...) / Cette compensation s'applique (...) aux volumes livrés en offres de marché aux clients résidentiels sur la période entre l'entrée en vigueur des tarifs mentionnés au VI et leur première évolution de l'année 2023 ".

7. En application des dispositions de l'article L. 337-4 du code de l'énergie cité au point 3, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a adopté, le 18 janvier 2022, une délibération portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité correspondant à une augmentation de 44,7 % hors taxes, de ces tarifs (dits " bleus ") applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale. Constatant que les tarifs proposés excédaient de plus de 4 % toutes taxes comprises ceux applicables au 31 décembre 2021, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie ont, par l'arrêté contesté du 28 janvier 2022 pris sur le fondement du VI de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 cité au point 5, fait opposition à la proposition tarifaire de la CRE et fixé les tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale à un niveau correspondant à une augmentation de 4 % toutes taxes comprises de ceux applicables au 31 décembre 2021. La CRE ayant adopté, le 7 juillet 2022, une nouvelle délibération proposant, en application des dispositions de l'article L. 337-4 du code de l'énergie, une nouvelle augmentation de tarif, un nouvel arrêté en date du 28 juillet 2022 a maintenu le " bouclier tarifaire " de 4% à compter du 1er août 2022.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la compétence du pouvoir réglementaire :

8. Il résulte des dispositions du VI de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 cité au point 5 que, pour l'année 2022, le législateur n'a habilité les ministres chargés de l'économie et de l'énergie à fixer des tarifs de vente de l'électricité inférieurs à ceux proposés par la CRE que pour ce qui concerne les tarifs réglementés dits " bleus " applicables aux consommateurs résidentiels. Il suit de là que ces ministres n'étaient pas compétents pour fixer, sur le fondement de ces dispositions, les tarifs réglementés de vente de l'électricité dits " bleus " applicables aux consommateurs non résidentiels. Par suite, le moyen tiré de ce que ces ministres n'étaient pas compétents pour édicter l'arrêté en litige doit être accueilli.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 :

9. D'une part, il résulte du paragraphe 6 et des points b) et c) du paragraphe 7 de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 cités au point 2 que les interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité aux microentreprises doivent, d'une part, être fixées à l'aide d'une méthode garantissant un traitement non discriminatoire des fournisseurs et, d'autre part, être établies à un prix supérieur aux coûts et permettant une concurrence tarifaire effective.

10. D'autre part, il résulte des dispositions combinées des articles L. 337-5 et

L. 337-6 du code de l'énergie, citées au point 3, qu'en instaurant une méthode " par empilement " des coûts, tout en maintenant une référence aux coûts de l'activité de fourniture de l'électricité aux tarifs réglementés par les fournisseurs historiques, le législateur a, dans le but à la fois de ne pas fausser la concurrence sur le marché de détail de l'électricité et de ne pas imposer aux fournisseurs historiques une vente à un tarif inférieur à leur coût de revient, exclu que les tarifs réglementés soient fixés à un niveau artificiellement bas, inférieur aux coûts comptables complets de la fourniture de l'électricité à ces tarifs, incluant les frais financiers, sans toutefois garantir un niveau de rémunération des capitaux propres engagés.

11. Il ressort des pièces du dossier que les ministres chargés de l'économie et de l'énergie ont fait opposition à la proposition tarifaire de la CRE du 18 janvier 2022 correspondant à une augmentation de 44,7 % hors taxes des tarifs réglementés de vente de l'électricité dits " bleus " applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale, et fondée, ainsi qu'il a été dit au point 10, sur une évaluation du niveau de coûts que les fournisseurs d'électricité devaient supporter pour s'approvisionner en électricité sur l'année considérée, et qu'ils ont fixé, par l'arrêté contesté, ces mêmes tarifs à un niveau correspondant à une hausse limitée à 4 % toutes taxes comprises de ceux applicables au 31 décembre 2021.

12. En fixant les tarifs réglementés de vente d'électricité dits " bleus " applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale à un niveau significativement inférieur à celui résultant de la proposition tarifaire de la CRE, ne permettant pas d'assurer une concurrence tarifaire effective sur le marché de la fourniture d'électricité, l'arrêté en litige ne respecte pas, ainsi que le soutient la société requérante, les conditions prévues à l'article 5 de la directive du 5 juin 2019 et mentionnées au point 9 auxquelles est subordonnée toute intervention publique dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 5 de la directive du 5 juin 2019 doit être accueilli.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la société EkWateur est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale.

Sur les effets de l'annulation prononcée :

14. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine. S'agissant d'une annulation résultant notamment d'une méconnaissance du droit de l'Union européenne, cette faculté ne peut être utilisée qu'à titre exceptionnel et en présence d'une nécessité impérieuse.

En ce qui concerne le cadre juridique applicable à la date de l'annulation prononcée :

15. D'une part, en premier lieu, aux termes du VII de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, dans sa rédaction issue de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 : " VII. - A compter de leur première évolution de l'année 2023, les tarifs réglementés de vente d'électricité définis à l'article R. 337-18 du code de l'énergie intègrent une composante de rattrapage, sur douze mois, permettant de couvrir les pertes de recettes supportées par l'entreprise " Électricité de France " résultant de l'écart entre le niveau des tarifs réglementés de vente d'électricité proposé par la Commission de régulation de l'énergie et le niveau des mêmes tarifs fixé par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie en application du VI du présent article (...) ".

16. En deuxième lieu, aux termes du VIII de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, dans sa rédaction issue de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 : " VIII.- Les pertes de recettes supportées (...) par les fournisseurs d'électricité pour leurs offres de marché, entre le 1er février 2022 et la première évolution des tarifs réglementés de vente d'électricité pour l'année 2023, constituent des charges imputables aux obligations de service public, au sens de l'article L. 121-6 du même code, compensées par l'Etat. Les pertes de recettes sont calculées par application d'un montant unitaire en euros par mégawattheure aux volumes éligibles pour les offres définis au deuxième alinéa du présent VIII. / (...) / Pour le calcul des pertes de recettes, les volumes éligibles concernent les volumes livrés entre le 1er février 2022 et la première évolution des tarifs réglementés de vente d'électricité pour l'année 2023. / Le montant unitaire est calculé (...) pour les consommateurs finals non résidentiels (...), comme la différence, en euros par mégawattheure, entre le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs réglementés de vente d'électricité proposés par la Commission de régulation de l'énergie en 2022 et le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs réglementés de vente d'électricité effectivement appliqués entre le 1er février 2022 et la première évolution des tarifs réglementés de vente d'électricité en 2023 ".

17. En troisième lieu, aux termes du IX de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, dans sa rédaction issue de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 : " IX. - Les fournisseurs d'électricité mentionnés au VIII sont redevables à l'Etat d'un versement calculé par application d'un montant unitaire en euros par mégawattheure aux volumes éligibles mentionnés au même VIII entre la première évolution des tarifs réglementés de vente d'électricité de l'année 2023 et leur première évolution de l'année 2024. Le montant unitaire est calculé, d'une part, pour les consommateurs finals résidentiels définis au 1° du I de l'article L. 337-7 du code de l'énergie et, d'autre part, pour les consommateurs finals non résidentiels définis au 2° du même I, comme la différence, en euros par mégawattheure, entre le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs réglementés de vente d'électricité qui auraient été appliqués en l'absence du VII du présent article et le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs réglementés de vente d'électricité effectivement appliqués en application du même VII ".

18. Il résulte des points 15 à 17 que les pertes de recettes exposées sur la période du 1er février au 31 juillet 2022 par les fournisseurs d'électricité à raison des volumes qu'ils ont livrés aux consommateurs non résidentiels de France métropolitaine continentale sur la base des tarifs fixés par l'arrêté attaqué, font l'objet de compensations, soit au moyen d'une composante de rattrapage intégrée aux tarifs réglementés de vente d'électricité à compter de leur première évolution de l'année 2023 pour ce qui concerne la société " Electricité de France " au titre de ses offres aux tarifs réglementés de vente, soit par le biais de versements directs de l'Etat ayant le caractère d'avances remboursables pour ce qui concerne les fournisseurs alternatifs au titre de leurs offres de marché.

19. D'autre part, en premier lieu, aux termes du A du VIII de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 : " A. - En 2023, par dérogation aux articles

L. 337-4 à L. 337-9 du code de l'énergie, si les propositions motivées de tarifs réglementés de vente d'électricité de la Commission de régulation de l'énergie conduisent à ce que les tarifs définis à l'article R. 337-18 du même code, majorés des taxes applicables après application de l'article 64 de la présente loi, excèdent de 15 % ceux applicables au 31 décembre 2022, majorés des taxes applicables à cette date, les ministres chargés de l'économie, de l'énergie et du budget peuvent s'opposer à ces propositions motivées de la Commission de régulation de l'énergie prises en application de l'article L. 337-4 du code de l'énergie et fixer, par arrêté conjoint, un niveau de tarifs inférieur pour une partie de la consommation des clients, afin de répondre à l'objectif de stabilité des prix (...) ".

20. En deuxième lieu, aux termes du B du VIII de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 : " B. - Constituent des charges imputables aux obligations de service public, au sens de l'article L. 121-6 du code de l'énergie, les pertes de recettes supportées à raison de prix de fourniture réduits, entre l'entrée en vigueur des tarifs mentionnés au A du présent VIII et leur première évolution de l'année 2024, par : /

1° L'entreprise "Electricité de France" pour ses offres aux tarifs réglementés de vente d'électricité (...) ; / (...) / 3° (...) les fournisseurs d'électricité pour leurs offres de marché destinées aux consommateurs finals résidentiels définis au 1° du I de l'article L. 337-7 du même code et aux consommateurs finals non résidentiels définis au 2° du même I identifiés par les fournisseurs. / Ces pertes de recettes sont compensées par l'Etat ".

21. En troisième lieu, aux termes du C du VIII de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 : " C. - / (...) / Les pertes de recettes mentionnées au B du présent VIII supportées par l'entreprise "Électricité de France" pour ses offres aux tarifs réglementés de vente sont calculées comme étant la différence entre les revenus provenant de l'application des tarifs réglementés qui auraient été appliqués en l'absence des dispositions du A du présent VIII et les revenus provenant de l'application des tarifs effectivement appliqués en application du même A ".

22. En dernier lieu, aux termes du D du VIII de l'article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 : " D. - / (...) / Les pertes de recettes mentionnées au B du présent VIII supportées par les fournisseurs d'électricité pour leurs offres de marché sont calculées par application d'un montant unitaire en euros par mégawattheure aux volumes livrés aux consommateurs finals résidentiels définis au 1° du I de l'article L. 337-7 du code de l'énergie et aux consommateurs finals non résidentiels définis au 2° du même I identifiés par les fournisseurs, entre l'entrée en vigueur des tarifs mentionnés au A du présent VIII et leur première évolution de l'année 2024. (...) / Les montants unitaires précités sont calculés (...) pour les consommateurs finals non résidentiels définis au 2° du même I identifiés par les fournisseurs, comme la différence, en euros par mégawattheure, entre le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs réglementés de vente d'électricité qui auraient été appliqués en l'absence du A du présent VIII et le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs réglementés de vente d'électricité effectivement appliqués en application du même A ".

23. Il résulte des points 19 à 22 que les pertes de recettes exposées en 2023 par les fournisseurs d'électricité à raison de l'application, notamment aux consommateurs non résidentiels, du " bouclier tarifaire " de 15 % prévu par l'article 181 de la loi de finances pour 2023, sont compensées intégralement par l'Etat, y compris en ce que la composante de rattrapage mentionnée au point 15 au titre du " bouclier tarifaire " de 4 % pour 2022 n'a pu en totalité être prise en compte dans les tarifs réglementés de vente en 2023.

En ce qui concerne les conséquences de l'annulation de l'arrêté attaqué :

24. L'annulation de l'arrêté attaqué prononcée par la présente décision aurait pour conséquence d'imposer aux ministres de prendre, dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 337-4 du code de l'énergie cité au point 3, un nouvel arrêté fixant rétroactivement les tarifs réglementés de vente de l'électricité dits " bleus " applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale sur la période courant du 1er février au 31 juillet 2022, c'est-à-dire jusqu'à l'intervention de l'arrêté du 28 juillet 2022, non contesté, qui, ainsi qu'il a été dit au point 7, a fixé ces mêmes tarifs à compter du 1er août 2022.

En ce qui concerne les conséquences de l'application de tarifs rétroactifs au titre de la période du 1er février au 31 juillet 2022 :

25. En premier lieu, l'application, sur la période du 1er février au 31 juillet 2022, de tarifs réglementés de vente de l'électricité dits " bleus " résultant d'un nouvel arrêté fixant ces tarifs, aux 2,5 millions de consommateurs non résidentiels de France métropolitaine continentale soumis à ces tarifs ou qui étaient titulaires d'un contrat de fourniture dont le prix était déterminé par référence à ces mêmes tarifs, aurait pour effet de faire peser sur ces consommateurs une augmentation significative de leurs tarifs qui s'ajouterait à celle résultant de l'arrêté attaqué, à due concurrence, en fonction du type de contrat souscrit, de l'impact causé par l'écart entre le niveau de prix résultant de ce nouvel arrêté et celui fixé par l'arrêté attaqué.

26. En second lieu, l'application de tarifs rétroactifs au titre de la période du

1er février au 31 juillet 2022 est susceptible de conduire la société " Electricité de France " et les fournisseurs alternatifs à restituer à l'Etat tout ou partie de la compensation des pertes de recettes exposées en 2022, perçue en vertu des dispositifs explicités aux points 18 et 23, à raison des livraisons qu'ils ont effectuées auprès de leurs clients non résidentiels en France métropolitaine continentale durant cette même période.

27. Il résulte de tout ce qui précède, et alors qu'aucun autre moyen de la requête n'est susceptible de fonder l'annulation de l'arrêté attaqué, qu'eu égard, d'une part, à l'importante charge financière qu'engendrerait l'annulation rétroactive prononcée par la présente décision, sur les consommateurs non résidentiels de France métropolitaine soumis aux tarifs réglementés ou qui étaient titulaires d'un contrat de fourniture dont le prix était déterminé par référence à ces mêmes tarifs, et d'autre part, aux incertitudes sur les conséquences en chaîne que provoquerait cette annulation, notamment au regard des éventuelles restitutions financières dues par " Electricité de France " et les fournisseurs alternatifs pour l'année 2023, qu'il y a lieu de prévoir, à titre exceptionnel, que les effets produits par l'arrêté attaqué sont, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de la présente décision, regardés comme définitifs.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

28. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société EkWateur au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale est annulé.

Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, les effets antérieurs à l'annulation sont réputés définitifs.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société EkWateur est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société EkWateur, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi qu'à la ministre de la transition énergétique.

Copie en sera adressée à la Commission de régulation de l'énergie, à la société Electricité de France ainsi qu'à l'association nationale des opérateurs détaillants en énergie.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 juillet 2023 où siégeaient :

Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 26 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Pau

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à la ministre de la transition énergétique, chacun, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462612
Date de la décision : 26/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2023, n° 462612
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Pau
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462612.20230726
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award