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24/07/2023 | FRANCE | N°470158

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 24 juillet 2023, 470158


Vu la procédure suivante :

Le garde des sceaux, ministre de la justice a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de modifier les mesures résultant de l'ordonnance n° 2203580 du 17 novembre 2022 par laquelle le juge des référés de ce tribunal, faisant droit à la demande présentée par Mme A... B... sur le fondement de l'article L. 521-1 du même code, a, d'une part, suspendu la décision implicite par laquelle le ministre avait rejeté sa demande de nomination en qualit

de notaire sur un office à créer au sein de la zone n° 3202 d'Amiens...

Vu la procédure suivante :

Le garde des sceaux, ministre de la justice a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de modifier les mesures résultant de l'ordonnance n° 2203580 du 17 novembre 2022 par laquelle le juge des référés de ce tribunal, faisant droit à la demande présentée par Mme A... B... sur le fondement de l'article L. 521-1 du même code, a, d'une part, suspendu la décision implicite par laquelle le ministre avait rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire sur un office à créer au sein de la zone n° 3202 d'Amiens et, d'autre part, enjoint au ministre de procéder à cette nomination à titre provisoire, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2203879 du 16 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande du garde des sceaux, ministre de la justice.

Par un pourvoi enregistré le 3 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 16 décembre 2022 ;

2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de mettre fin aux mesures résultant de l'ordonnance du 17 novembre 2022 ou, à titre subsidiaire, d'y substituer une injonction tendant au réexamen de la demande de Mme B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- le décret n° 1973-609 du 5 juillet 1973 ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 juin 2023, présentée par Mme B... ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I.- Les notaires (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services./ Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. (...) A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (...) apparaît utile. / II.- Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire ou de commissaire de justice, le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé ". Aux termes de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 modifié relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire : " Nul ne peut être nommé notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) / 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité (...) ". Enfin, aux termes de l'article 47 de ce décret : " Le bureau du Conseil supérieur du notariat communique au garde des sceaux, ministre de la justice, dans les vingt jours suivant sa demande, toute information dont il dispose permettant d'apprécier les capacités professionnelles et l'honorabilité de l'intéressé ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens que Mme B... a sollicité le 1er octobre 2021 sa nomination en qualité de notaire sur un office à créer dans la zone n° 3202 d'Amiens, identifiée comme une zone dans laquelle les notaires peuvent s'installer librement afin de renforcer l'offre de ce service public. Le 13 janvier 2022, sa demande a été tirée au sort, en rang 2, dans les conditions prévues par l'article 53 du décret du 5 juillet 1973 précité. Le candidat tiré au sort en rang 1 ayant été nommé dans une autre zone, le garde des sceaux a procédé à l'instruction du dossier de nomination de Mme B..., le parquet général d'Amiens ayant émis un avis favorable à cette nomination. Par une ordonnance du 17 novembre 2022, le juge des référés, faisant droit à la demande de Mme B..., a, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, suspendu l'exécution de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre sur sa demande de nomination, considérant, d'une part, que celle-ci faisait obstacle à la reprise d'activité professionnelle de l'intéressée, cependant que l'administration ne justifiait d'aucun intérêt public s'attachant à l'exécution de sa décision, et, d'autre part, que l'attente d'un avis du procureur général n'était pas au nombre des motifs pouvant légalement justifier le refus d'une telle nomination, ce qui était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Par cette ordonnance, le juge des référés a également enjoint au garde des sceaux de nommer l'intéressée sans délai, à titre provisoire, dans un office à créer à Amiens. Après avoir procédé à cette nomination en exécution de l'ordonnance du 17 novembre 2022, le garde des sceaux a saisi le 8 décembre 2022 le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'injonction prononcée ou à ce qu'y soit substituée une injonction de réexamen de la demande de nomination. Par une ordonnance du 16 décembre 2022, le juge des référés a rejeté ce recours sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative. Le garde des sceaux se pourvoit en cassation contre cette dernière ordonnance.

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 521-4 de ce code : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ". L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'à l'appui de son recours formé sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit mis fin à l'injonction précédemment prononcée ou à ce que celle-ci soit modifiée, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait état de l'ouverture d'une enquête pénale sur des faits que Mme B... aurait commis dans l'exercice de ses fonctions, notamment l'utilisation de fonds de l'étude à des fins personnelles, la commission de faux en écriture publique et la perception indue de fonds publics, ainsi que d'une information du parquet sur le résultat d'actes d'enquêtes laissant penser que les faits reprochés à Mme B..., s'ils étaient avérés, seraient d'une particulière gravité et incompatibles avec l'honorabilité attendue d'un officier public ministériel.

5. En jugeant que ces circonstances, en ce qu'elles n'établissaient par elles-mêmes aucun fait, ne constituaient manifestement pas des éléments nouveaux susceptibles d'entraîner la modification des mesures ordonnées le 17 novembre 2022, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 16 décembre 2022.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée sur le fondement de l'article L. 521-4 de ce même code.

8. Il résulte de l'instruction que le courriel adressé au ministère de la justice le 24 novembre 2022 par le procureur général près la cour d'appel d'Amiens fait état d'une perquisition réalisée la veille dans les bureaux de l'étude dont Mme B... avait été titulaire jusqu'au 1er octobre 2020, ayant révélé à tout le moins de graves négligences dans la gestion de son office, ainsi que des actes susceptibles d'être qualifiés pénalement, notamment de faux en écriture publique, d'abus de biens sociaux, de faux et usages de faux et d'escroquerie. Ces constatations ont conduit le parquet d'Amiens à solliciter l'ouverture d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme B... auprès de la chambre départementale des notaires. Si l'intéressée conteste les faits qui lui sont reprochés et dénonce le caractère calomnieux des accusations portées à son encontre, les éléments issus de l'enquête pénale en cours sont de nature à accréditer l'hypothèse de manquements graves aux exigences de probité et d'honorabilité requises d'un officier public ministériel. Dans ces circonstances, eu égard à l'intérêt général qui s'attache au respect de ces exigences, la condition de l'urgence à suspendre la décision implicite par laquelle le garde des sceaux a refusé de nommer Mme B... en qualité de notaire ne peut plus, dans les circonstances de l'espèce, nonobstant l'atteinte portée à sa situation économique et professionnelle ainsi qu'à l'intérêt de ses clients, être regardée comme remplie.

9. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux est fondé à demander qu'il soit mis fin à la suspension de sa décision et, par voie de conséquence, à la nomination de Mme B... à titre provisoire.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 16 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens est annulée.

Article 2 : Il est mis fin à la suspension de l'exécution de la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a implicitement rejeté la demande de nomination de Mme B... en qualité de notaire sur un office à créer au sein de la zone n° 3202 d'Amiens, ainsi qu'à la nomination de celle-ci à titre provisoire.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à Mme A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2023 où siégeaient : Mme Suzanne von Coester, assesseure, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 24 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Suzanne von Coester

La rapporteure :

Signé : Mme Pauline Hot

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 470158
Date de la décision : 24/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2023, n° 470158
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Hot
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470158.20230724
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