Vu la procédure suivante :
Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 et 14 novembre 2022 et 22 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... doit être regardée comme demandant au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 novembre 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de retirer le décret du 25 juin 1980 la libérant de ses liens d'allégeance à l'égard de la France ;
2°) d'enjoindre à la Première ministre de retirer le décret du 25 juin 1980 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de donner toutes instructions utiles au ministère public pour supprimer la mention en marge de son acte de naissance français relative à la perte de la nationalité française sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter du troisième jour suivant la décision à intervenir ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la faute commise par l'Etat ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la nationalité française ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions à fin d'annulation :
1. Aux termes de l'article 91 du code de la nationalité française, en vigueur à la date du décret attaqué : " Perd la nationalité française, le Français même mineur, qui, ayant une nationalité étrangère, est autorisé, sur sa demande, par le Gouvernement français, à perdre la qualité de Français. - Cette autorisation est accordée par décret " - Le mineur doit, le cas échéant, être autorisé ou représenté dans les conditions prévues aux articles 53 et 54 ". L'article 53 du même code dispose que : " La qualité de Français peut être réclamée à partir de dix-huit ans. - Le mineur âgé de seize ans peut également la réclamer avec l'autorisation de celui ou de ceux qui exercent à son égard l'autorité parentale ". Aux termes de l'article 54 du même code : " Si l'enfant est âgé de moins de seize ans, les personnes visées à l'alinéa 2 de l'article précédent peuvent déclarer qu'elles réclament, au nom du mineur, la qualité de Français (...) ".
2. Aux termes de l'article 24 du code civil : " La réintégration dans la nationalité française des personnes qui établissent avoir possédé la qualité de Français résulte d'un décret ou d'une déclaration suivant les distinctions fixées aux articles ci-après ". L'article 24-1 du même code dispose que " La réintégration par décret peut être obtenue à tout âge et sans condition de stage. Elle est soumise, pour le surplus, aux conditions et aux règles de la naturalisation ". Enfin, aux termes de l'article 24-2 du même code : " Les personnes qui ont perdu la nationalité française à raison du mariage avec un étranger ou de l'acquisition par mesure individuelle d'une nationalité étrangère peuvent, sous réserve des dispositions de l'article 21-27, être réintégrées par déclaration souscrite, en France ou à l'étranger, conformément aux articles 26 et suivants. / Elles doivent avoir conservé ou acquis avec la France des liens manifestes, notamment d'ordre culturel, professionnel, économique ou familial ".
3. Les dispositions du code civil, qui régissent aujourd'hui l'acquisition et la perte de la nationalité française, n'organisant aucune procédure d'abrogation ni de retrait d'un décret autorisant la perte de la qualité de Français, il appartient à celui qui a été l'objet d'une telle décision, s'il souhaite recouvrer la nationalité française, de solliciter sa réintégration dans la nationalité française dans le cadre de l'une des deux procédures mentionnées au point 2. L'intéressé peut toutefois, eu égard aux effets d'une telle décision, demander à l'administration à tout moment de la retirer s'il s'avère qu'elle n'a pas été effectivement prise sur sa demande ou qu'elle est entachée d'un vice du consentement.
4. Il ressort des pièces du dossier que le décret du 25 juin 1980 portant libération des liens d'allégeance avec la France de Mme B... a été pris sur la demande formulée le 1er août 1977 par le père de l'intéressée, alors mineure, et après avoir obtenu de sa part une confirmation sans équivoque de son souhait d'être libéré, avec sa femme et ses enfants, de ses liens d'allégeance à l'égard de la France. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de retirer le décret du 25 juin 1980 la libérant de ses liens d'allégeance à l'égard de la France.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par le ministre, que les conclusions à fin d'annulation de Mme B... doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". La condition tenant à l'existence d'une décision de l'administration doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle, régularisant ce faisant la requête.
7. A la date de la présente décision, aucune décision du ministre de l'intérieur et des outre-mer rejetant la demande indemnitaire de Mme B... n'est intervenue. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être accueillie et les conclusions indemnitaires, qui sont irrecevables, doivent être rejetées.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme B... doit être rejetée, y compris les conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.