Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 octobre 2022 et 5 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " SHU-T - Sortons du silence " demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet opposée à sa demande, reçue le 15 juin 2022 par le ministre de la santé et de la prévention, d'inscription du syndrome hémolytique et urémique typique sur la liste des maladies relevant de la procédure de signalement obligatoire ;
2°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention d'inscrire le syndrome hémolytique et urémique typique sur la liste des maladies relevant de la procédure de signalement obligatoire, dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention de prendre, dans l'attente, toutes les mesures réglementaires propres à assurer une intervention urgente locale, nationale ou internationale, pour chaque cas de syndrome hémolytique et urémique typique identifié, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2023, présentée par l'association " SHU-T - Sortons du silence " ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 3113-1 du code de la santé publique : " I.- Les médecins et les responsables des services et laboratoires de biologie médicale publics et privés signalent : / 1° A l'agence régionale de santé les cas de maladies nécessitant une intervention urgente locale, nationale ou internationale ; / 2° A l'Agence nationale de santé publique les cas de maladies exigeant une surveillance particulière pour la protection de la santé de la population. / II.- Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis du Haut Conseil de la santé publique, détermine les modalités de transmission des seules données à caractère personnel nécessaires à l'exercice de leurs compétences par les agences régionales de santé et l'Agence nationale de santé publique ainsi que les conditions dans lesquelles est garantie la confidentialité des données qui leur sont transmises. / III.- Un décret fixe la liste des maladies devant faire l'objet d'un signalement au titre du 1° ou du 2° du I, en raison notamment de leur gravité ou de leur contagiosité ". Ces listes figurent respectivement aux articles D. 3113-6 et D. 3113-7 du même code.
2. En vertu des articles R. 3113-1 à R. 3113-3 de ce code, les cas de maladies mentionnées à l'article L. 3113-1 font l'objet d'une notification aux médecins désignés par les directeurs généraux, respectivement, des différentes agences régionales de santé et de l'Agence nationale de santé publique. L'article R. 3113-1 prévoit en outre que les cas de maladies qui justifient une intervention urgente locale, nationale ou internationale font l'objet d'une procédure de signalement, dans les conditions fixées à l'article R. 3113-4 du même code. Ce dernier article prévoit que : " (...) les cas, avérés ou suspectés, de maladies ou d'anomalie biologique mentionnées au 1° de l'article L. 3113-1 sont signalés sans délai par le médecin ou le responsable du service de biologie ou du laboratoire d'analyses de biologie médicale, public ou privé, au médecin de l'agence régionale de santé désigné par le directeur général de l'agence. / Le destinataire du signalement évalue la nécessité de mettre en place d'urgence des mesures de prévention individuelle et collective et, le cas échéant, de déclencher des investigations pour identifier l'origine de la contamination ou de l'exposition (...) ".
3. L'association " SHU-T - Sortons du silence " demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé à sa demande, formulée par un courrier reçu le 15 juin 2022 par le ministre de la santé et de la prévention, devant être regardée comme tendant à l'inscription du syndrome hémolytique et urémique typique sur la liste figurant à l'article D. 3113-6 du code de la santé publique.
Sur la légalité externe :
4. Si le décret en Conseil d'Etat qui détermine, pour le signalement obligatoire de certaines maladies prévu au I de l'article L. 3113-1 du code de la santé publique, les modalités de transmission des données à caractère personnel nécessaires à l'exercice de leurs compétences par les agences régionales de santé et l'Agence nationale de santé publique ainsi que les conditions dans lesquelles est garantie la confidentialité de ces données, doit, en application du II du même article, être pris après avis du Haut Conseil de la santé publique, une telle procédure de consultation n'est en revanche pas prévue pour l'adoption du décret prévu au III de cet article qui fixe la liste des maladies devant faire l'objet d'un signalement. L'association requérante ne peut donc utilement soutenir que le Haut Conseil de la santé publique aurait dû être saisi avant que ne soit rejetée sa demande d'inscription du syndrome hémolytique et urémique typique sur la liste fixée à l'article D. 3113-6 du même code.
Sur la légalité interne :
5. Il ressort des pièces du dossier que le syndrome hémolytique et urémique (SHU), appelé " typique " lorsque, comme dans la majorité des cas chez les enfants de moins de quinze ans, il est consécutif à une infection par des bactéries de type Escherichia coli producteurs de shiga-toxines (STEC), peut entraîner des conséquences graves pour les enfants concernés, telles que des complications neurologiques et des séquelles rénales dans vingt à quarante pour cent des cas, voire s'avérer mortel dans un pour cent des cas.
6. En premier lieu, d'une part, la liste des maladies devant faire l'objet d'un signalement aux autorités sanitaires, figurant à l'article D. 3113-6 du code de la santé publique, comporte les toxi-infections alimentaires collectives, parmi lesquelles celles révélées par la présence, chez plusieurs patients reliés entre eux, de syndromes hémolytiques et urémiques causés par l'ingestion de denrées alimentaires contaminées par des bactéries de type Escherichia coli producteurs de shiga-toxines (SHU typique).
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les ministres chargés de la santé, de l'alimentation, ainsi que de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont mis en place, par une circulaire du 3 août 2009, un dispositif de surveillance et de signalement, coordonné par Santé publique France et disposant de l'appui du centre national de référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella, de chaque cas diagnostiqué de ce syndrome chez les enfants de moins de quinze ans par trente-deux services hospitaliers de néphrologie pédiatrique et de pédiatrie, parmi lesquels tous ceux des centres hospitaliers universitaires. Le ministre de la santé et la prévention fait valoir, sans que cela soit sérieusement contesté, que ces services accueillent l'immense majorité des enfants victimes de ce syndrome dont le taux de signalement serait de ce fait comparable à celui constaté pour des maladies à signalement obligatoire.
8. Il s'ensuit que les cas identifiés de cette maladie chez les enfants de moins de quinze ans, seuls en litige, font d'ores et déjà l'objet de signalements, dont il ne ressort pas des pièces du dossier que le caractère pour partie volontaire nuise à leur exhaustivité.
9. En second lieu, il ressort également des pièces du dossier que si des investigations approfondies pour rechercher l'origine de la contamination sont mises en œuvre en cas de suspicion d'une toxi-infection alimentaire collective, chaque signalement à Santé publique France d'un cas sporadique de syndrome hémolytique et urémique entraîne, dans le cadre du dispositif mentionné au point 8, l'analyse par cette agence d'un questionnaire complété par les professionnels de santé avec les parents au moment de l'hospitalisation de l'enfant, permettant de recenser les principales expositions alimentaires ou environnementales à risque ainsi que l'analyse microbiologique des souches de STEC par le centre national de référence afin d'identifier d'éventuels cas groupés d'infection à des bactéries de type STEC et de syndrome hémolytique et urémique liés à des bactéries génétiquement similaires. Il n'en ressort pas, en revanche, que la mise en œuvre, dans le cas de syndrome sporadique, d'investigations identiques à celles menées en cas de suspicion de toxi-infections alimentaires collectives permettrait, en raison tant de la multiplicité des sources de contamination et des modes de transmission des bactéries de type STEC que du délai entre l'exposition et l'identification des bactéries, d'identifier l'origine de la contamination ou de l'exposition.
10. Il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante, qui ne peut utilement se prévaloir des critères fixés par le conseil supérieur d'hygiène publique de France pour proposer la surveillance d'une maladie infectieuse par la déclaration obligatoire, n'est pas fondée à soutenir que le refus d'inscrire le syndrome hémolytique et urémique typique sur la liste prévue à l'article D. 3113-6 du code de la santé publique des maladies relevant de la procédure de signalement obligatoire reposerait sur une appréciation manifestement erronée et méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 3113-1 du code de la santé publique, non plus, en tout état de cause, que le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002. Pour les mêmes motifs, la décision attaquée ne méconnaît pas, en tout état de cause, le droit à la vie, le " droit à la sécurité alimentaire " et le droit à un recours effectif et par suite les articles 2, 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de tout ce qui précède que l'association " SHU-T - Sortons du silence " n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent par suite qu'être également rejetées, de même que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association " SHU-T - Sortons du silence " est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association " SHU-T - Sortons du silence " et au ministre de la santé et de la prévention.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et Mme Anne Redondo, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 20 juillet 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Redondo
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber