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20/07/2023 | FRANCE | N°466162

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 20 juillet 2023, 466162


Vu la procédure suivante :

L'association Bocage et patrimoine a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2018 par lequel le préfet de l'Indre a autorisé la société MSE La Haute-Borne à exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Tilly. Par un arrêt avant dire droit n° 19BX01049 du 31 mai 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé cet arrêté en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnem

ent, a suspendu son exécution jusqu'à la délivrance éventuelle de cette déro...

Vu la procédure suivante :

L'association Bocage et patrimoine a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2018 par lequel le préfet de l'Indre a autorisé la société MSE La Haute-Borne à exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Tilly. Par un arrêt avant dire droit n° 19BX01049 du 31 mai 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé cet arrêté en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, a suspendu son exécution jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation, a sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre ou six mois à compter de la notification de l'arrêt pour permettre à la société Engie Green Tilly de lui notifier le cas échéant une mesure de régularisation et a réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par cet arrêt.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juillet et 27 octobre 2022 et le 28 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Engie Green Tilly demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de l'association Bocage et patrimoine ;

3°) de mettre à la charge de l'association Bocage et patrimoine la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Engie Green Tilly et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Bocage et patrimoine ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêté du 14 septembre 2018, le préfet de l'Indre a autorisé la société MSE La Haute-Borne à exploiter un parc éolien composé de sept éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Tilly. Cette autorisation a été transférée à la société Engie Green Tilly le 14 février 2019. Saisie par l'association Bocage et patrimoine, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par un arrêt avant dire droit du 31 mai 2022 contre lequel la société Engie Green Tilly se pourvoit en cassation, annulé cet arrêté en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, suspendu son exécution jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation, sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre ou six mois à compter de la notification de l'arrêt pour permettre à la société Engie Green Tilly de lui notifier le cas échéant une mesure de régularisation du vice tiré de l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale et réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par cet arrêt.

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " [La décision] contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ". D'autre part, aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, la liste limitative des espèces animales non domestiques protégées au titre de l'article L. 411-1 du même code est déterminée selon des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 411-1 du même code : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ".

3. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, estimé que des chiroptères et des oiseaux étaient présents sur le site du projet sans que leur appartenance aux listes des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 du code de l'environnement ne soit contestée. Par suite, la cour, qui n'était pas saisie de moyens la conduisant à devoir faire application des dispositions des arrêtés ministériels du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection et du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, pris pour l'application des dispositions de l'article R. 411-1 du code de l'environnement citées au point 2, n'a, en tout état de cause, pas entaché son arrêt d'irrégularité en ne visant pas ces arrêtés.

4. En second lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

5. D'une part, en dépit d'une erreur matérielle entachant l'emplacement du visa de la note en délibéré produite pour la société Engie Green Tilly, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, conformément aux principes rappelés au point 4, visé cette note sans l'analyser. D'autre part, dès lors que cette note se bornait à produire l'arrêt du 27 avril 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, qui constitue une mesure d'administration de la justice dépourvue d'autorité de la chose jugée, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a ni méconnu la portée de cette note ni entaché l'arrêt attaqué d'irrégularité en considérant qu'elle ne contenait l'exposé d'aucun élément de droit susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et, par suite, en n'en tenant pas compte.

Sur le bien-fondé et la motivation de l'arrêt attaqué :

En ce qui concerne les moyens du pourvoi dirigés contre les articles 1er et 2 de l'arrêt attaqué et les motifs qui en sont le soutien nécessaire :

6. En premier lieu, l'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".

7. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens d'une espèce protégée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

8. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le pétitionnaire était tenu de présenter, pour la réalisation de son projet de parc éolien, la demande de dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, la cour a estimé que le projet était susceptible d'avoir un impact fort sur certaines espèces protégées et leurs habitats. Toutefois, en se bornant à relever qu'aucun élément de l'instruction ne permettait de retenir que les mesures prévues par le pétitionnaire ou imposées par le préfet étaient de nature à réduire à un niveau négligeable le risque de destruction d'individus de ces espèces, sans rechercher si ces mesures, qu'elle n'a d'ailleurs pas énoncées, présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

9. En second lieu, la faculté ouverte par les dispositions précitées du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement relève de l'exercice d'un pouvoir propre du juge, qui n'est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens. Lorsqu'il n'est pas saisi de telles conclusions, le juge du fond peut toujours mettre en œuvre cette faculté, mais il n'y est pas tenu, son choix relevant d'une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. En revanche, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu de mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement si les vices qu'il retient apparaissent, au vu de l'instruction, régularisables. Dans cette hypothèse, il ne peut substituer l'annulation partielle prévue au 1° du I du même article à la mesure demandée.

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Engie Green Tilly avait demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux, par des conclusions subsidiaires que la cour a d'ailleurs visées, de surseoir à statuer, en application des dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, pour lui permettre de solliciter la délivrance d'un arrêté de régularisation. Dès lors, en prononçant une annulation partielle de l'autorisation en litige en tant qu'elle ne comportait pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, alors qu'elle relevait, en suspendant l'autorisation jusqu'à la délivrance de la dérogation en cause, qu'un tel vice était susceptible d'être régularisé et qu'elle était saisie de conclusions en ce sens, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

En ce qui concerne les moyens du pourvoi dirigés contre l'article 3 de l'arrêt attaqué et les motifs qui en sont le soutien nécessaire :

11. En premier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les Etats membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. (...) ". L'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " I. - Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. (...) / III. - Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...). / IV.- La décision de l'autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage à réaliser le projet prend en considération l'étude d'impact, l'avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement et le résultat de la consultation du public (...) ". En vertu du III de l'article R. 122-6 du même code, dans sa version issue du décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagement, applicable au litige, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1, lorsqu'elle n'est ni le ministre chargé de l'environnement, dans les cas prévus au I de cet article, ni la formation compétente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans les cas prévus au II de ce même article, est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé. En vertu de l'article R. 122-25 du code de l'environnement, issu du décret du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale, et dont les dispositions ont par la suite été transférées à l'article R. 122-21 du même code, les agents du service régional chargé de l'environnement qui apportent leur appui à la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil régional de l'environnement et de développement durable, sont placés, pour l'exercice de cet appui, sous l'autorité fonctionnelle du président de la mission régionale d'autorité environnementale.

12. L'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 a pour objet de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C 474/10, il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.

13. Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est chargé de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les articles R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

14. Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.

15. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'avis de l'autorité environnementale a été émis le 4 mars 2014 par le préfet de la région Centre Val-de-Loire à une date antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 mentionné au point 11. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que cet avis avait, selon la ministre de la transition écologique, été préparé par le département " appui à l'autorité environnementale " du service " évaluation, énergie et valorisation de la connaissance " sans qu'aucun document ne corrobore cette affirmation, alors que la société Engie Green Tilly indiquait dans ses écritures que cet avis avait été préparé par l'unité territoriale d'Orléans. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ce département et cette unité relevaient de l'autorité du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Centre Val-de-Loire, comme en relève également l'inspection des installations classées, unité territoriale du Cher et de l'Indre, qui a instruit la demande d'autorisation de la société MSE La Haute-Borne. Par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, par un arrêt suffisamment motivé sur ce point, que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011.

16. En second lieu, aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II.- En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".

17. Le 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement permet au juge, même pour la première fois en appel, lorsqu'il constate un vice qui entache la légalité de l'autorisation environnementale attaquée mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation, qui implique l'intervention d'une décision corrigeant le vice dont est entachée la décision attaquée.

18. Lorsqu'un vice de procédure entache un avis qui a été soumis au public, notamment dans le cadre d'une enquête publique, préalablement à l'adoption de la décision attaquée, la régularisation implique non seulement que la procédure de consultation soit reprise, mais aussi que le nouvel avis soit porté à la connaissance du public. Il revient au juge, lorsqu'il sursoit à statuer en vue de la régularisation, de rappeler ces règles et de fournir toute précision utile sur les modalités selon lesquelles le public devra être informé et, le cas échéant, mis à même de présenter des observations et des propositions, une fois le nouvel avis émis et en fonction de son contenu.

19. Dans l'hypothèse d'une régularisation de l'avis de l'autorité environnementale mise en œuvre dans les conditions ainsi définies, le juge pourra préciser que, dans le cas où l'avis de l'autorité environnementale recueilli à titre de régularisation, qui devra être rendu en tenant compte d'éventuels changements significatifs des circonstances de fait, diffère substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique dont le projet a fait l'objet, une enquête publique complémentaire devra être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l'environnement, dans le cadre de laquelle seront soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par le nouvel avis, notamment une insuffisance de l'étude d'impact. Le juge pourra également préciser que, dans le cas où aucune modification substantielle n'aurait été apportée à l'avis, l'information du public sur le nouvel avis de l'autorité environnementale recueilli à titre de régularisation pourra prendre la forme d'une simple publication sur internet, dans les conditions prévues à l'article R. 122-7 du code de l'environnement. Dans l'hypothèse où le juge, saisi d'un moyen en ce sens, constate qu'il a été procédé à une simple publication sur internet du nouvel avis de l'autorité environnementale alors qu'il apportait des modifications substantielles à l'avis initial, il lui revient, avant de statuer sur la décision attaquée de rechercher si ce nouveau vice peut être régularisé et de prévoir le cas échéant, à cette fin, qu'une enquête publique complémentaire devra être organisée.

20. En jugeant, dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions rappelées au point 16, que, dans le cas où le nouvel avis de la mission régionale de l'autorité environnementale du conseil général de l'environnement et du développement durable compétente qui serait le cas échéant émis, diffèrerait substantiellement de celui qui avait été émis par le préfet de la région Centre Val-de-Loire dans les conditions rappelées au point 15, une enquête publique complémentaire devra, comme le soutenait devant elle l'association requérante, être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l'environnement, dans le cadre de laquelle seront soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par le nouvel avis, notamment une insuffisance de l'étude d'impact, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a, eu égard aux principes rappelés aux points 17 à 19, pas commis d'erreur de droit. Par suite, le moyen doit, en tout état de cause, être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Engie Green Tilly est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant que, par ses articles 1er et 2, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé l'arrêté préfectoral en litige en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement et a suspendu son exécution jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation.

Sur les frais de l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Engie Green Tilly qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Bocage et patrimoine une somme à verser au même titre à la société Engie Green Tilly.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt du 31 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Engie Green Tilly est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'association Bocage et patrimoine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Engie Green Tilly, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'association Bocage et patrimoine.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 466162
Date de la décision : 20/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 jui. 2023, n° 466162
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466162.20230720
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