La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/2023 | FRANCE | N°435581

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 19 juillet 2023, 435581


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 16 juillet 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête du syndicat Uniclima tendant à titre principal à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 10 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, ainsi que de la décision du 21 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours gracieux, a sursis à statuer jusqu'à ce q

ue la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les quest...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 16 juillet 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête du syndicat Uniclima tendant à titre principal à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 10 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, ainsi que de la décision du 21 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours gracieux, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) L'harmonisation qu'imposent les directives 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006, 2014/35/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 201 et 2014/68/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 autorise-t-elle les Etats membres à prescrire des exigences de sécurité, et le cas échéant à quelles conditions et dans quelles limites, applicables aux équipements qu'elles régissent, dès lors que ces exigences n'impliquent pas de modifier ceux des équipements qui sont, ainsi qu'en atteste l'apposition du " marquage CE ", conformes aux exigences de ces directives '

2°) L'harmonisation qu'elles imposent autorise-t-elle les Etats membres à prescrire, pour la seule utilisation de ces équipements dans des locaux ouverts au public et au regard des risques particuliers de sécurité contre l'incendie, des exigences de sécurité susceptibles d'impliquer la modification d'équipements qui seraient pourtant, ainsi qu'en attesterait l'apposition du " marquage CE ", conformes aux exigences de ces directives '

3°) En cas de réponse négative à la question précédente, une réponse positive peut-elle être apportée dans le cas où les exigences de sécurité en cause, d'une part ne s'imposeraient qu'en contrepartie de l'utilisation, par ces mêmes équipements, de fluides frigorigènes inflammables de substitution aux gaz à effet de serre fluorés, conformément aux objectifs visés par le règlement n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés et, d'autre part, ne viseraient que ceux de ces équipements qui, bien que conformes aux exigences de ces directives, n'offrent pas, au regard du risque d'incendie en cas d'utilisation de fluides frigorigènes inflammables, la sécurité d'être hermétiquement scellés '

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 16 juillet 2021 ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;

- la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006 ;

- la directive 2014/35/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;

- la directive 2014/68/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public ;

- les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes n° C-309/02 Radlberger Getränkegesellschaft mbH et Co. et S. Spitz KG contre Land Baden-Württemberg du 14 décembre 2004, n° C-573/12 Ålands Vindkraft AB contre Energimyndigheten du 1er juillet 2014 et n° C-653/21 Syndicat Uniclima du 23 mars 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 10 mai 2019, le ministre de l'intérieur a modifié l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public pour autoriser, sous certaines conditions de sécurité qu'il fixe, l'emploi dans ces établissements d'équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables. Le syndicat Uniclima, qui demande, à titre principal, l'annulation de cet arrêté du 10 mai 2019 et de la décision rejetant son recours gracieux, doit être regardé, au regard des moyens qu'il invoque, comme demandant l'annulation des seules dispositions du nouveau paragraphe 3 inséré par cet arrêté du 10 mai 2019 à l'article CH 35 de l'arrêté du 25 juin 1980, à l'exception des dispositions figurant au a) et au c) de ce paragraphe.

2. Par sa décision n° 435581 du 16 juillet 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a écarté, d'une part, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur et, d'autre part, les moyens soulevés par le syndicat Uniclima autres que ceux tirés de la méconnaissance du droit de l'Union européenne et a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions préjudicielles dont il l'a saisie. Par un arrêt C-653/21 du 23 mars 2023, la Cour de justice s'est prononcée sur ces questions.

3. Il ressort des pièces du dossier que, dans leur version en vigueur antérieurement à l'arrêté attaqué, les dispositions de l'article CH 35 de l'arrêté du 25 juin 1980 interdisaient l'emploi, dans les établissements recevant du public mentionnés à l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation, des fluides frigorigènes " dont les caractéristiques dominantes sont l'inflammabilité et le pouvoir explosif ". L'arrêté attaqué modifie ces dispositions pour autoriser désormais, dans ces mêmes établissements, l'emploi de fluides frigorigènes inflammables, sous réserve du respect des conditions de sécurité qu'il définit. Les dispositions attaquées fixent ainsi plusieurs normes applicables aux équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables, en interdisant notamment l'installation de raccords démontables sur les tuyauteries véhiculant les fluides concernés, en imposant de protéger ces tuyauteries contre tous risques de rupture franche et de les installer à une hauteur minimale par rapport au sol, en limitant le diamètre intérieur des tuyauteries véhiculant ces fluides sous leur forme liquéfiée, en prescrivant l'isolation thermique des unités qui les contiennent par des matériaux de certaines classes et en déterminant la quantité de fluide frigorigène inflammable susceptible de circuler dans leurs circuits frigorifiques. L'arrêté attaqué prévoit enfin que ces normes ne s'appliquent pas à l'emploi de fluides frigorigènes inflammables dans les équipements qui disposent du " marquage CE ", sous réserve toutefois que ces équipements soient " hermétiquement scellés ".

4. Aux termes de l'article 6 de la directive n° 2006/42/CE du 17 mai 2006 relative aux machines : " 1. Les Etats membres ne peuvent pas interdire, restreindre ou entraver la mise sur le marché et/ou la mise en service sur leur territoire des machines qui satisfont à la présente directive (...) " et, aux termes de son article 7 : " 1. Les Etats membres considèrent que les machines munies du marquage " CE " et accompagnés de la déclaration CE de conformité (...) satisfont aux dispositions de la présente directive (...) ". Aux termes de l'article 4 de la directive n° 2014/35/UE du 26 février 2014 concernant la mise à disposition sur le marché du matériel électrique destiné à être employé dans certaines limites de tension : " Les Etats membres n'empêchent pas, pour les aspects couverts par la présente directive, la mise à disposition sur le marché du matériel électrique conforme à la présente directive ", l'article 2 de la même directive prévoyant par ailleurs que le " marquage CE " est " (...) le marquage par lequel le fabriquant indique que le matériel électrique est conforme aux exigences applicables de la législation d'harmonisation de l'Union prévoyant son apposition ". Enfin, aux termes de l'article 5 de la directive 2014/68/UE du 15 mai 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché des équipements sous pression : " 1. Les Etats membres ne peuvent, pour des risques dus à la pression, interdire, restreindre ou entraver la mise à disposition sur le marché ou la mise en service, dans les conditions fixées par le fabricant, d'équipements sous pression ou d'ensembles qui satisfont à la présente directive. / (...) ", dont l'annexe I fixe les " conditions essentielles de sécurité " qui doivent être respectées. Aux termes de l'article 3 de la même directive : " (...) 2. La présente directive n'affecte pas la faculté des Etats membres de prescrire les exigences qu'ils estiment nécessaires pour assurer la protection des personnes et, en particulier, des travailleurs lors de l'utilisation de l'équipement sous pression ou de l'ensemble en cause, pour autant que cela n'implique pas des modifications de cet équipement ou de cet ensemble par rapport à la présente directive ", le point 31 de l'article 2 de la même directive prévoyant que le " marquage CE " est " (...) le marquage par lequel le fabriquant indique que l'équipement sous pression ou l'ensemble est conforme aux exigences applicables de la législation d'harmonisation de l'Union prévoyant son apposition ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un équipement relevant du champ d'application de l'une de ces directives, qui ne sont pas d'application cumulative, respecte les garanties essentielles de sécurité qu'elle prescrit, ce dont atteste l'apposition du " marquage CE ", il peut circuler librement sur le marché de l'Union européenne.

5. En premier lieu, il résulte notamment des arrêts de la Cour de justice C-309/02 du 14 décembre 2004 (point 53) et C-573/12 du 1er juillet 2014 (point 57) que, lorsqu'un domaine a fait l'objet d'une harmonisation exhaustive au niveau communautaire, tout mesure nationale qui y est relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d'harmonisation et non pas de celles du droit primaire. Les directives citées au point précédent contenant des dispositions équivalentes visant à harmoniser les conditions auxquelles les équipements munis de marquage CE sont mis à disposition sur le marché et mis en service, de façon à assurer à la fois la libre circulation de ces équipements au sein de l'Union européenne et un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité des personnes, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaît les articles 34, 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être écarté comme inopérant.

6. En second lieu, dans l'arrêt C-653/21 du 23 mars 2023 par lequel elle s'est prononcée sur les questions préjudicielles dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions citées au point 4 de la directive 2014/68/UE du 15 mai 2014 doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation nationale qui, y compris afin de protéger la santé et la sécurité des personnes à l'égard des risques d'incendie dans des locaux ouverts au public, impose aux équipements sous pression et aux ensembles utilisant des fluides frigorigènes inflammables des exigences qui ne figurent pas parmi les exigences essentielles de sécurité prévues par cette directive, aux fins de la mise à disposition sur le marché ou de la mise en service de ces équipements et ensembles, alors même que ceux-ci disposent du marquage CE. Il résulte du même arrêt que cette interprétation " vaut, mutatis mutandis, pour les dispositions correspondantes des directives 2006/42 et 2014/35 " du 17 mai 2006 et du 26 février 2014, également citées ci-dessus.

7. Or, si, ainsi qu'il a été dit au point 3, l'arrêté attaqué prévoit que les normes de sécurité qu'il introduit ne s'appliquent pas aux équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables dès lors qu'ils disposent du " marquage CE ", il réserve toutefois le bénéfice de cette dérogation à ceux qui sont " hermétiquement scellés ". Cette restriction, en ce qu'elle instaure, par comparaison avec celles qui résultent du droit de l'Union, des exigences supplémentaires applicables aux machines, équipements électriques ou équipements sous pression utilisant des fluides frigorigènes inflammables, régis par l'une des trois directives citées ci-dessus, qui disposent du " marquage CE " et sont dès lors conformes aux exigences des directives communautaires, méconnaît les objectifs de ces directives. Est à cet égard sans incidence, contrairement à ce que soutient en défense le ministre de l'intérieur, la circonstance que les dispositions attaquées modifient la réglementation existante afin de tenir compte des prescriptions du règlement n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, qui impose des conditions à la mise sur le marché de certains produits et équipements contenant des gaz à effet de serre fluorés ou qui en sont tributaires mais ne régit pas la conception, la fabrication et l'évaluation de la conformité de ces équipements, lesquelles relèvent des directives citées ci-dessus.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de faire droit à ses conclusions à fin d'injonction, le syndicat Uniclima est fondé à demander l'annulation des dispositions de l'arrêté du 10 mai 2019 qu'il attaque en tant que les dispositions du nouveau paragraphe 3, à l'exception de celles figurant au a) et au c) de ce paragraphe, qu'il insère à l'article CH 35 de l'arrêté du 25 juin 1980 s'appliquent aux équipements qui disposent du marquage CE dès lors qu'ils ne sont pas hermétiquement scellés.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au syndicat Uniclima au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté du 10 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public est annulé en tant que les dispositions du nouveau paragraphe 3, à l'exception de celles figurant au a) et au c) de ce paragraphe, qu'il insère à l'article CH 35 de l'arrêté du 25 juin 1980 s'appliquent aux équipements qui disposent du " marquage CE " dès lors qu'ils ne sont pas hermétiquement scellés.

Article 2 : La décision du 21 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté le recours gracieux du syndicat Uniclima est annulée dans la même mesure.

Article 3 : L'Etat versera au syndicat Uniclima la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au syndicat Uniclima et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. C Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 19 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Joachim Bendavid

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 435581
Date de la décision : 19/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2023, n° 435581
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Joachim Bendavid
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:435581.20230719
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award