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13/07/2023 | FRANCE | N°461605

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 13 juillet 2023, 461605


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 17 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des avocats pénalistes demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux, ministre de la justice ont rejeté sa demande tendant à ce qu'ils prennent toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée

et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des ...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 17 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des avocats pénalistes demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux, ministre de la justice ont rejeté sa demande tendant à ce qu'ils prennent toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association des avocats pénalistes ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association des avocats pénalistes a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre de l'intérieur de prendre toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense, causées par les conditions matérielles d'accueil dans les locaux de garde à vue et de dégrisement. Par un mémoire distinct, présenté à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'elle a formé contre les décisions rejetant implicitement cette demande, l'association des avocats pénalistes soutient que portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit les dispositions des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale en tant qu'elles fixent les conditions dans lesquelles sont prises les décisions de placement et de maintien en garde à vue sans prévoir ni, d'une part, qu'une telle décision n'est possible que si les capacités d'accueil et les conditions matérielles au sein des locaux de garde à vue assurent le respect de la dignité des personnes, ni, d'autre part, que l'administration chargée de l'organisation du service public de la justice puisse faire obstacle à l'exécution d'une telle décision dans des locaux ne permettant pas de garantir le respect de ce principe.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. L'article 62-3 du code de procédure pénale prévoit que la garde à vue s'exécute sous le contrôle du procureur de la République, qui assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue et peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté. L'article 63 limite à vingt-quatre heures la durée de la garde à vue et fixe les conditions dans lesquelles le procureur de la République peut la prolonger pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus. L'article 63-5 dispose que " La garde à vue doit s'exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne. / Seules peuvent être imposées à la personne gardée à vue les mesures de sécurité strictement nécessaires ". Enfin son article 154 régit les conditions de la garde à vue lors de l'exécution des commissions rogatoires tandis que l'article 706-88 organise les prolongations exceptionnelles de garde à vue pour les infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

4. D'une part, par sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la première phrase du dernier alinéa du paragraphe II de l'article 63 du code de procédure pénale, en vertu de laquelle le procureur de la République peut subordonner son autorisation de prolonger la garde à vue à la présentation de la personne devant lui. Par sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, il a également déclaré conformes à la Constitution les six premiers alinéas de l'article 706-88 du code de procédure pénale et, par sa décision n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, les autres alinéas du même article. Toutefois, l'intervention de ses décisions n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 et n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021, par lesquelles il a déclaré non conformes à la Constitution des dispositions relatives à la détention provisoire et à l'aménagement des peines en relevant notamment qu'elles ne permettaient pas à la personne détenue d'obtenir sa mise en liberté ou un aménagement de peine au seul motif qu'elle était détenue dans des conditions indignes, sont susceptibles de constituer un changement de circonstances au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Par ailleurs, les autres dispositions du code de procédure pénale en litige n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

5. D'autre part, soulèvent une question présentant un caractère sérieux les moyens tirés de ce que les dispositions du code de procédure pénale, mentionnées au point 3, qui sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, portent atteinte au principe de sauvegarde de la dignité humaine et sont entachées d'incompétence négative affectant par elle-même ce principe, faute de subordonner le placement et le maintien en garde à vue à des capacités d'accueil et des conditions matérielles assurant le respect de la dignité des personnes.

6. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'association des avocats pénalistes jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association des avocats pénalistes et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 juillet 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 13 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461605
Date de la décision : 13/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2023, n° 461605
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461605.20230713
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