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12/07/2023 | FRANCE | N°462152

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 12 juillet 2023, 462152


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'enjoindre au préfet de la Guyane de lui prêter sans délai le concours de la force publique en exécution du jugement de ce tribunal du 29 décembre 2016, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 921 960 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait des refus de concours de la force publique qui lui ont été opposés, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2015. Par un jugement n° 2000745 du

16 décembre 2021, le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui ve...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'enjoindre au préfet de la Guyane de lui prêter sans délai le concours de la force publique en exécution du jugement de ce tribunal du 29 décembre 2016, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 921 960 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait des refus de concours de la force publique qui lui ont été opposés, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2015. Par un jugement n° 2000745 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser une somme totale de 250 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2020, sous réserve de la subrogation de l'Etat dans les droits qu'il peut détenir sur les occupants sans droit ni titre de la parcelle cadastrée AC 84 au lieu-dit Larivot à Matoury, entre le 30 mars 2017 et le 8 juin 2020, à concurrence du montant de cette indemnité et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une ordonnance n° 22BX00528 du 4 mars 2022, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat la requête de M. B..., enregistrée le 16 février 2022 au greffe de la cour, tendant à l'annulation de ce jugement en tant qu'il a limité à 250 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser et de la porter à 610 760 euros.

Par ce pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 mars et 20 mai 2022 et le 13 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M.B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne lui a pas donné complète satisfaction ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit, dans cette mesure, aux conclusions de sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. B....

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif de la Guyane que M. B..., propriétaire d'une parcelle comprenant un ensemble de petits immeubles collectifs et de maisons individuelles à usage d'habitation, a obtenu l'expulsion des occupants irréguliers par un jugement du 16 mai 2008 du tribunal d'instance de Cayenne, confirmé par un arrêt du 8 mars 2010 de la cour d'appel de Fort-de-France et un arrêt du 29 juin 2011 de la Cour de cassation. Les décisions accordant le concours de la force publique à l'exécution de ce jugement n'ayant pas été suivies d'effet, M. B... a recherché l'indemnisation des préjudices en résultant pour lui. Il se pourvoit en cassation, en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction, contre le jugement du 16 décembre 2021, par lequel le tribunal administratif de la Guyane lui a alloué la somme totale de 250 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 821-1 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai de recours en cassation est de deux mois ". Le requérant résidant en Guyane, ce délai est augmenté d'un mois par application des dispositions de l'article R. 421-7 du même code, rendues applicable au recours en cassation par les dispositions combinées des articles R. 821-2 et R. 811-5.

3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué du tribunal administratif de la Guyane a été notifié à M. B... le 23 décembre 2021 dans les conditions propres à faire courir le délai de recours. Il a introduit devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, le 16 février 2022, dans le délai de recours, une requête qui doit être regardée comme un pourvoi en cassation et qui, pour cette raison, a été transmise au Conseil d'Etat, dans laquelle il demandait uniquement l'annulation de l'article 1er de ce jugement en tant qu'il ne lui avait alloué qu'une indemnité de 250 000 euros, inférieure à ses prétentions. Ce n'est que dans un mémoire présenté le 20 mai 2022 devant le Conseil d'Etat, après l'expiration du délai imparti pour se pourvoir en cassation, que le requérant a élargi ses conclusions en demandant l'annulation du jugement de première instance " en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses demandes ", ce qui incluait le rejet de ses conclusions à fin d'injonction présentées en première instance. Il suit de là que les conclusions du pourvoi tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de la Guyane en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'injonction présentées en première instance sont tardives et, par suite, irrecevables. Elles ne peuvent, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi articulés à l'appui de ces conclusions, qu'être rejetées.

Sur les autres conclusions :

4. Aucun élément versé au dossier ne permet d'estimer que, pour évaluer le préjudice de jouissance lié aux pertes de loyer, et en appliquant, pour arriver à cette estimation des réfactions pour vétusté et pour difficulté de recouvrement des loyers, les juges du fond ont, pour évaluer le montant de ces réfactions et déterminer ainsi les bases de calcul de l'indemnité versée au requérant, dénaturé les faits et pièces du dossier, en dépit de la circonstance, à la supposer établie, que M. B... ne pouvait imaginer, en se portant acquéreur de l'ensemble immobilier litigieux en 2005, que l'occupation irrégulière de celui-ci se poursuivrait encore pendant plus de quinze ans.

5. En écartant l'indemnisation des bénéfices que le requérant pouvait escompter d'une opération immobilière à réaliser sur ses terrains, le tribunal administratif, qui ne s'est pas fondé uniquement sur la circonstance que l'intéressé n'avait pas engagé de frais d'étude concernant ce projet, a jugé que le sérieux de celui-ci n'était pas suffisamment démontré. Ce faisant, il a porté sur les pièces du dossier qui lui étaient soumis une appréciation souveraine qui ne peut, en l'absence de dénaturation, être utilement discutée devant le juge de cassation.

6. En évaluant à 5 000 euros le préjudice moral subi par l'intéressé, le tribunal administratif a porté sur les pièces du dossier qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

7. Enfin, il ressort des énonciations du jugement attaqué que, si M. B... a formé une demande indemnitaire préalable auprès du préfet de la Guyane le 8 juin 2020, le dernier mémoire de l'intéressé, enregistré le 21 septembre 2021, invitait la juridiction à parfaire l'indemnisation du préjudice de jouissance. S'agissant d'un préjudice, résultant de la non-perception de loyers, qui s'aggravait mois après mois, il lui était loisible de réévaluer ses prétentions pour tenir compte de l'aggravation de ce préjudice pendant la durée de l'instance. Par suite, en limitant au 8 juin 2020, date de la demande indemnitaire, le préjudice de jouissance, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Son jugement doit, pour ce motif et dans cette mesure, être annulé.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant qu'il a plafonné au 8 juin 2020 l'indemnisation du préjudice de jouissance.

9. Il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement du litige au fond :

10. S'agissant du préjudice de jouissance, il y a lieu d'allouer au requérant une somme arrêtée au 21 septembre 2021, date d'enregistrement du dernier mémoire devant le tribunal administratif dans lequel l'actualisation de cette somme a été demandée. En conséquence, la somme de 245 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par le jugement attaqué doit être portée à 330 000 euros.

Sur les frais d'instance :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 16 décembre 2021 du tribunal administratif de la Guyane est annulé en tant qu'il plafonne au 8 juin 2020 l'indemnisation du préjudice de jouissance.

Article 2 : La somme de 245 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par le jugement du 16 décembre 2021 du tribunal administratif de la Guyane est portée à 330 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2023 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, assesseur, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et M. Alain Seban, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 12 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Olivier Yeznikian

Le rapporteur :

Signé : M. Alain Seban

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 462152
Date de la décision : 12/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2023, n° 462152
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alain Seban
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462152.20230712
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