Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 461888, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 février et 25 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics (FAFPT) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1920 du 30 décembre 2021 pris pour l'application de l'article L. 412-57 du code des communes relatif à l'engagement de servir des policiers municipaux ;
2°) d'enjoindre à l'Etat d'adopter un nouveau décret dans un délai de six mois à compter de la présente décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.
2° Sous le n° 461953, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 30 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Interco CFDT demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir ce décret ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code des communes ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 84-594 du 12 juillet 1984 ;
- le décret n° 2006-1392 du 17 novembre 2006 ;
- le décret n° 2011-444 du 21 avril 2011 ;
- la décision du 18 juillet 2022 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics et par la Fédération Interco CFDT ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de la Fédération Interco CFDT ;
Considérant ce qui suit :
1. La Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics (FAFPT) et la Fédération Interco CFDT demandent l'annulation du décret du 30 décembre 2021 pris pour l'application de l'article L. 412-57 du code des communes relatif à l'engagement de servir des policiers municipaux. Ces deux requêtes sont dirigées contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Aux termes de l'article L. 412-57 du code des communes : " La commune ou l'établissement public qui prend en charge la formation du fonctionnaire stagiaire des cadres d'emplois de la police municipale peut lui imposer un engagement de servir pour une durée maximale de trois ans à compter de la date de sa titularisation. / Le fonctionnaire des cadres d'emplois de la police municipale qui rompt l'engagement prévu au premier alinéa doit rembourser à la commune ou à l'établissement public une somme correspondant au coût de sa formation. Dans ce cas, il ne peut être fait application des dispositions prévues au second alinéa de l'article 51 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. / Le fonctionnaire des cadres d'emplois de la police municipale qui rompt l'engagement prévu au premier alinéa du présent article peut être dispensé par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale de tout ou partie du remboursement, pour des motifs impérieux, notamment tirés de son état de santé ou de nécessités d'ordre familial. Si l'exemption porte sur la totalité du remboursement, il est fait application des dispositions prévues au second alinéa de l'article 51 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée. / Un décret détermine les conditions d'application du présent article, en particulier les modalités de calcul de la somme correspondant au coût de la formation ".
3. En premier lieu, par sa décision du 18 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics et par la Fédération Interco CFDT à l'encontre des dispositions de l'article L. 412-57 du code des communes. Le moyen soulevé par la FAFPT tiré de ce que le décret attaqué serait privé de base légale après que ces dispositions auront été déclarées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ne peut, par suite, qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, il ressort des dispositions du décret attaqué que la somme correspondant au coût de la formation due par un fonctionnaire des cadres d'emploi de la police municipale rompant son engagement de service est fixée en fonction, d'une part, d'un montant dépendant du cadre d'emploi auquel il appartient et, d'autre part, de la date à laquelle intervient cette rupture d'engagement. Par suite, la Fédération Interco CFDT n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir réglementaire n'aurait pas exercé la compétence que lui confèrent les dispositions précitées de l'article L. 412-57 du code des communes pour déterminer les modalités de calcul de cette somme.
5. En troisième lieu, les dispositions du décret attaqué dont la FAFTP demande l'annulation, en tant qu'elles autorisent les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à imposer aux fonctionnaires stagiaires des cadres d'emplois de la police municipale un engagement de servir et prévoient que le fonctionnaire qui rompt cet engagement doit rembourser à la commune ou à l'établissement public une somme correspondant au coût de sa formation, se bornent à faire application des dispositions de l'article L. 412-57 du code des communes. Par suite, la FAFTP ne peut utilement soutenir qu'en imposant aux seuls fonctionnaires stagiaires de la police municipale parmi les fonctionnaires territoriaux soumis à une formation initiale une durée minimale d'engagement de servir et une obligation de remboursement en cas de rupture anticipée de cet engagement, les dispositions du décret contesté méconnaîtraient le principe d'égalité et porteraient une atteinte excessive au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
6. En quatrième lieu, l'article 2 du décret attaqué dispose que : " En cas de rupture de son engagement par le fonctionnaire, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale qui l'emploie exige le remboursement du montant forfaitaire visé à l'article 1er, fixé à 10 877 € pour les agents de police municipale, à 16 789 € pour les chefs de service de police municipale et à 39 875 € pour les directeurs de police municipale. / Le montant du remboursement tient compte de la date à laquelle intervient la rupture de l'engagement, appréciée à compter de la date de titularisation du fonctionnaire, conformément aux taux fixés ci-après applicables aux fonctionnaires des trois cadres d'emplois de la police municipale : 1ère année : 100 ; 2ème année : 60 ; 3ème année : 30. / En cas de remboursement de cette somme forfaitaire en application du présent article, il ne peut être fait application des dispositions prévues au second alinéa de l'article 51 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que le montant du remboursement dépend à la fois du coût de la formation dont l'agent a bénéficié en vue de l'exercice de fonctions au service de la collectivité et dont celle-ci ne profitera pas et de sa durée. Dans ces conditions, la FAFTP n'est pas fondée à soutenir que le caractère forfaitaire de ce remboursement, qui n'a pas le caractère d'une imposition ni d'une taxe, serait contraire au principe d'égalité ou manifestement disproportionné au regard du coût de la formation et de l'objectif poursuivi par les dispositions législatives pour l'application desquelles le décret attaqué a été pris. Elle n'est pas davantage fondée, pour les mêmes raisons, à soutenir que le décret attaqué porterait une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées garantis par les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
7. En cinquième lieu, le principe d'égalité n'implique pas que des agents publics se trouvant dans des situations différentes doivent être soumis à des régimes différents. Par suite, le pouvoir réglementaire pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, imposer le remboursement d'une somme forfaitaire aux fonctionnaires stagiaires des cadres d'emplois de chefs de police municipale et de directeur de police municipale dont la durée de formation a été réduite à six mois en raison de leur expérience professionnelle antérieure et qui rompent leur engagement de servir avant son terme dans les mêmes conditions que les fonctionnaires stagiaires dont la formation a duré neuf mois.
8. En sixième lieu, aux termes de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union (...) ". Par suite, dès lors que le décret contesté ne met pas en œuvre le droit de l'Union européenne, la Fédération Interco CFDT ne peut utilement invoquer un moyen tiré de la méconnaissance de l'article 20 de cette charte à l'appui de sa demande d'annulation.
9. En septième lieu, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir sans être sérieusement contesté que la somme forfaitaire à rembourser par un fonctionnaire qui rompt son engagement de servir est calculée, en fonction du cadre d'emplois et de la durée de la formation, sur la base du coût journalier des formations initiales, qui sont financées par une cotisation obligatoire versée par les employeurs territoriaux au centre national de la fonction publique territoriale. Par suite, dès lors que les communes ou établissements publics ayant imposé un engagement de servir s'acquittent d'une telle cotisation obligatoire, la FAFPT n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir qu'il résulterait des dispositions du décret contesté un enrichissement injustifié au profit de ces communes ou établissements publics.
10. En huitième et dernier lieu, les dispositions du décret contesté, par lesquelles le pouvoir réglementaire a précisé les modalités de calcul de la somme correspondant au coût de la formation que les fonctionnaires stagiaires des cadres d'emplois de la police municipale qui rompent leur engagement de servir doivent rembourser aux communes et établissement publics ayant choisi d'imposer un tel engagement, ne présentent aucune difficulté particulière d'interprétation. Par suite, elles ne peuvent être regardées comme une source d'insécurité juridique ni ne méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les fédérations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics ne peuvent qu'être rejetées, ainsi que celles présentées par les requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics et de la Fédération Interco CFDT sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics, à la Fédération Interco CFDT et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.