Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Force Ouvrière des personnels de la collectivité européenne d'Alsace demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à abroger le décret du 27 décembre 2001 portant attribution d'une nouvelle bonification indiciaire aux fonctionnaires occupant certains emplois administratifs de direction de collectivités territoriales ou d'établissements publics locaux assimilés, régis par l'article 6 du décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987 portant dispositions statutaires particulières à certains emplois administratifs de direction des collectivités territoriales et des établissements publics locaux assimilés, le décret du 3 juillet 2006 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels de la fonction publique territoriale et le décret du 3 juillet 2006 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels de la fonction publique territoriale exerçant dans des zones à caractère sensible, en tant qu'ils excluent du bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire les agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à prendre les mesures réglementaires nécessaires pour étendre le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire à ces agents ;
3°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger le décret du 27 décembre 2001 et les deux décrets du 3 juillet 2006, en tant qu'ils excluent du bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire les agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;
4°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre, dans un délai de trois mois, les mesures réglementaires nécessaires pour étendre le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire à ces agents ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le décret n° 93-863 du 18 juin 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont les dispositions ont été reprises notamment aux articles L. 115-1, L. 712-1, L. 712-2 et L. 713-1 du code général de la fonction publique, dispose que : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. Les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que des résultats collectifs des services. S'y ajoutent les prestations familiales obligatoires. / Le montant du traitement est fixé en fonction du grade de l'agent et de l'échelon auquel il est parvenu, ou de l'emploi auquel il a été nommé. / La rémunération des agents contractuels est fixée par l'autorité compétente en tenant compte des fonctions exercées, de la qualification requise pour leur exercice et de l'expérience de ces agents. Elle peut tenir compte de leurs résultats professionnels et des résultats collectifs du service (...) ".
2. Aux termes de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales : " I. - La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires (...) est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulières dans des conditions fixées par décret. / II. - Elle est prise en compte pour le calcul de la pension de retraite dans les conditions fixées ci-après, et elle est soumise à une cotisation pour la vieillesse. (...) / IV. - Les dispositions qui précèdent sont étendues dans des conditions analogues, par décret en Conseil d'Etat, aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers ". Selon l'article 1er du décret du 18 juin 1993 relatif aux conditions de mise en œuvre de la nouvelle bonification indiciaire dans la fonction publique territoriale : " La nouvelle bonification indiciaire est attachée à certains emplois comportant l'exercice d'une responsabilité ou d'une technicité particulière. Elle cesse d'être versée lorsque l'agent n'exerce plus les fonctions y ouvrant droit ". L'article 1er du décret du 27 décembre 2001 portant attribution d'une nouvelle bonification indiciaire aux fonctionnaires occupant certains emplois administratifs de direction de collectivités territoriales ou d'établissements publics locaux assimilés, l'article 1er du décret du 3 juillet 2006 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels de la fonction publique territoriale et l'article 1er du décret du 3 juillet 2006 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels de la fonction publique territoriale exerçant dans des zones à caractère sensible déterminent les fonctions, exercées par des fonctionnaires territoriaux, qui ouvrent droit à ce complément de rémunération.
3. D'autre part, selon l'article 1-2 du décret du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " Le montant de la rémunération est fixé par l'autorité territoriale en prenant en compte, notamment, les fonctions occupées, la qualification requise pour leur exercice, la qualification détenue par l'agent ainsi que son expérience ".
4. Il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus que la responsabilité ou la technicité particulières des fonctions exercées par les agents contractuels de la fonction publique territoriale ont vocation à être prises en compte par l'autorité territoriale pour la fixation de la rémunération de chaque agent, à la différence du traitement indiciaire des fonctionnaires territoriaux. Ces derniers sont en revanche susceptibles de bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire à raison de la responsabilité ou de la technicité particulières des fonctions qu'ils exercent.
5. Le syndicat requérant doit être regardé, compte tenu de son argumentation, comme demandant l'annulation du refus du Premier ministre de modifier les décrets mentionnés au point 2 afin d'étendre le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire aux agents contractuels de la fonction publique territoriale.
6. Aux termes de la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 : " 1. Pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives ". Cette clause, dans l'interprétation qu'en retient la Cour de justice de l'Union européenne, s'oppose aux inégalités de traitement dans les conditions d'emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sauf à ce que ces inégalités soient justifiées par des raisons objectives, qui requièrent que l'inégalité de traitement se fonde sur des éléments précis et concrets, pouvant résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l'accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d'un objectif légitime de politique sociale d'un Etat membre.
7. La différence de traitement entre fonctionnaires et agents contractuels pouvant résulter de l'octroi de la nouvelle bonification indiciaire n'est pas fonction de la durée déterminée ou indéterminée de la relation de travail, les agents employés par un contrat à durée indéterminée ne pouvant prétendre au bénéfice de ce complément de rémunération. En tout état de cause, cette différence de traitement, qui découle des caractéristiques inhérentes au statut des fonctionnaires, se justifie par l'existence de règles distinctes de détermination des rémunérations, rappelées ci-dessus, lesquelles permettent d'assurer la prise en compte, dans la rémunération des fonctionnaires comme dans celle des agents contractuels, à durée déterminée ou indéterminée, de la responsabilité ou de la technicité particulières des fonctions exercées, selon des modalités propres. Ainsi, les dispositions litigieuses n'impliquent nullement que les conditions d'emploi des agents contractuels soient moins favorables que celles des fonctionnaires occupant un même emploi. Dès lors et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée ne peut qu'être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites par lesquelles le Premier ministre a rejeté ses demandes tendant à abroger le décret du 27 décembre 2001 ainsi que les deux décrets du 3 juillet 2006, en tant qu'ils excluent du bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire les agents non titulaires de la fonction publique territoriale, ainsi qu'à prendre les mesures réglementaires nécessaires pour étendre le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire à ces agents. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du syndicat Force Ouvrière des personnels de la collectivité européenne d'Alsace est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat Force Ouvrière des personnels de la collectivité européenne d'Alsace et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 juin 2023 où siégeaient : Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 26 juin 2023.
La présidente :
Signé : Mme Nathalie Escaut
La rapporteure :
Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq