Vu la procédure suivante :
1°) Sous le n° 449339, par une requête enregistrée le 2 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le 1° et le 2° de l'article 49 du décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux.
2°) Sous le n° 451243, par une requête enregistrée le 31 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le b) et le c) du 1° du I de l'article 10 du décret n° 2020-1774 du 21 décembre 2020 modifiant le code de la sécurité intérieure et portant diverses dispositions relatives aux jeux d'argent et de hasard.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989 ;
- l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 ;
- le décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1774 du 21 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. En vertu de l'article L. 344-1 du code de la sécurité intérieure, sont applicables en Polynésie française, notamment, les articles L. 320-1 à L. 320-18 et L. 322-3 à L. 322-17 de ce code. Aux termes de l'article L. 320-2 : " Les jeux d'argent et de hasard qui, à titre dérogatoire, sont autorisés en application de l'article L. 320-6 ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ; ils font l'objet d'un encadrement strict aux fins de prévenir les risques d'atteinte à l'ordre public et à l'ordre social, notamment en matière de protection de la santé et des mineurs. / A cet effet, leur exploitation est placée sous un régime de droits exclusifs, d'autorisation ou d'agrément, délivrés par l'Etat. ". Aux termes de l'article L. 320-6 : " ...peuvent être autorisés : (...) 3° L'exploitation de jeux de loterie soumis à un régime de droits exclusifs (...) ".
2. En premier lieu, l'article 45 du décret du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux insère dans le code de la sécurité intérieure un article D. 320-1, pris pour l'application de l'interdiction de vente de jeux d'argent et de hasard aux mineurs prévue par l'article L. 320-8, et les articles D. 320-2 à D. 320-9, comportant diverses dispositions d'encadrement de la communication commerciale en faveur des opérateurs de jeux d'argent et de hasard. L'article 46 du même décret crée les articles D. 322-9 à D. 322-22, comportant diverses dispositions applicables aux jeux de loterie soumis au régime de droits exclusifs et aux jeux de paris sportifs et hippiques. Le 1° de l'article 49 du décret crée un article D. 344-1-1 rendant ces nouvelles dispositions réglementaires applicables en Polynésie française, et le 2° du même article crée un article D. 344-3-1 adaptant, pour son application en Polynésie française, la rédaction du nouvel article D. 320-7 relatif au marquage promotionnel en faveur des jeux sur les articles de sport. Par une requête enregistrée sous le n° 449339, la Polynésie française demande l'annulation pour excès de pouvoir du 1° et du 2° de l'article 49 du décret du 4 novembre 2020.
3. En second lieu, l'article 3 du décret du 21 décembre 2020 modifiant le code de la sécurité intérieure et portant diverses dispositions relatives aux jeux d'argent et de hasard insère dans ce code l'article D. 322-18-5 relatif au contrôle des obligations d'affichage en matière de prévention du jeu excessif et de protection des mineurs et de contrôle du respect de l'interdiction de vente aux mineurs dans les lieux d'enregistrement des jeux de loterie. Son article 4 modifie la rédaction de l'article D. 322-19 et crée l'article D. 322-22-9 relatif au contrôle des mêmes obligations et interdictions dans les lieux de paris sportifs ou hippiques. Le b) du 1° du I de son article 10 modifie l'article D. 344-1-1 du code de la sécurité intérieure pour rendre applicables en Polynésie française les seuls articles D. 322-9 à D. 322-18 et D. 322-20 à 322-22, issus du décret du 4 novembre 2020, ainsi que les nouveaux articles D. 322-19 et D. 322-22-9. Le c) du 1° du I de cet article transforme l'article D. 344-3-1 en un article D. 344-3-2 adaptant à leur application en Polynésie française la rédaction des articles D. 320-7 et D. 322-22-9 du même code. Par une requête enregistrée sous le n° 451243, la Polynésie française demande l'annulation pour excès de pouvoir des b) et c) du 1° du I de l'article 10 de ce décret.
4. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat de joindre les requêtes et de regarder les conclusions sous le n° 451243 comme dirigées contre les dispositions de l'article D. 344-1-1 du code de la sécurité intérieure dans la rédaction que leur a donnée, sur les points critiqués, le décret du 21 décembre 2020.
Sur le cadre juridique :
5. D'une part, l'article 43 de la loi du 29 décembre 1989 de finances pour 1990 dispose que : " Est autorisée sur le territoire de la Polynésie française l'exploitation par la société France Loto de jeux faisant appel au hasard. / (...) / Les conditions d'exploitation sont fixées par une convention conclue entre le territoire de la Polynésie française et la société France Loto, approuvée par une délibération de l'assemblée territoriale. "
6. D'autre part, aux termes de l'article 11 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " Les lois, ordonnances et décrets intervenus avant l'entrée en vigueur de la présente loi organique dans des matières qui relèvent désormais de la compétence des autorités de la Polynésie française peuvent être modifiés ou abrogés, en tant qu'ils s'appliquent à la Polynésie française, par les autorités de la Polynésie française selon les procédures prévues par la présente loi organique. " En vertu de ces dispositions, les règles applicables en Polynésie française dans le domaine d'une compétence transférée aux autorités de la Polynésie française sont celles qui la régissaient sur le territoire de la collectivité à la date d'entrée en vigueur de la loi organique, sous réserve qu'elles n'aient pas été postérieurement modifiées ou abrogées par les autorités compétentes de la Polynésie française.
7. Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 13 de la même loi organique : " Les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 et celles qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française. " Aux termes de l'article 14 : " Les autorités de l'Etat sont compétentes dans les seules matières suivantes : (...) ; 6° Sécurité et ordre publics (...) ". Aux termes de l'article 24 : " L'assemblée de la Polynésie française détermine les règles applicables aux casinos et cercles de jeux, aux loteries, tombolas et paris, dans le respect des règles de contrôle et des pénalités définies par l'Etat. " Aux termes de l'article 91 : " Dans la limite des compétences de la Polynésie française, le conseil des ministres : (...) 28° Autorise l'ouverture des cercles et des casinos dans les conditions fixées à l'article 24 ".
8. Il résulte de ces dispositions que la fixation des règles applicables aux jeux d'argent et de hasard en Polynésie française ressortit à la compétence de l'assemblée de la Polynésie française, sous réserve de la compétence dévolue à l'Etat pour fixer les règles de contrôle et les pénalités applicables, pour des motifs de sécurité et d'ordre public, à ces jeux, notamment aux jeux exploités, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article 43 de la loi du 29 décembre 1989, qui n'ont été ni abrogées ni modifiées, par la société La Française des jeux, venue aux droits de France Loto, dans le cadre de la convention conclue entre cette société et la Polynésie française.
Sur la légalité de l'extension des articles D. 320-1 à D. 320-10, D. 322-18-5 et D. 322-22-9 du code de la sécurité intérieure :
9. L'article D. 320-1 du code de la sécurité intérieure prévoit l'affichage, dans les postes d'enregistrement des jeux de loteries et des paris sportifs ou hippiques, des dispositions législatives interdisant le jeu aux mineurs et aux personnes interdites de jeu. Les articles D. 320-2 à D. 320-8 prévoient que toute communication commerciale en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard est assortie d'un message de mise en garde contre les risques liés à la pratique du jeu ainsi que l'adaptation de ce message aux différents supports de diffusion, y compris les articles de sports commercialisés ou offerts par les associations et fédérations sportives, mentionnés à l'article D. 320-7. Les articles D. 320-9 et D. 320-10 interdisent, respectivement, toute communication commerciale valorisant le jeu d'argent et de hasard comme source de revenus ou facteur de réussite sociale et toute communication commerciale valorisant le jeu d'argent et de hasard destinée aux mineurs. Les articles D. 322-18-5 et D. 322-22-9 prévoient que les agents chargés du contrôle et de la surveillance de l'exploitation des postes d'enregistrement de jeux de loterie, de paris sportifs ou de paris hippiques sont compétents pour vérifier le respect de l'obligation d'affichage fixée par l'article D. 320-1 et de l'interdiction de vente aux mineurs.
10. Ces dispositions, qui figurent au titre II du livre III du code de la sécurité intérieure, consacré à la police administrative des jeux d'argent et de hasard et des casinos, tendent, conformément aux dispositions citées ci-dessus de l'article L. 320-2, à prévenir les risques d'atteinte à l'ordre public et à l'ordre social qui seraient susceptibles de résulter d'une pratique non réglementée des jeux. La protection de la santé publique étant l'une des finalités de la police des jeux, ainsi que le rappelle notamment l'article D. 320-2, elles constituent des règles de contrôle des jeux dont la fixation relève, en application des dispositions de l'article 14 et de l'article 24 de la loi organique du 27 février 2004, de la compétence de l'Etat. Par suite, la Polynésie française n'est pas fondée à soutenir qu'en étendant ces dispositions dans la collectivité, les auteurs du décret auraient fixé des règles en matière de santé, en méconnaissance des règles de répartition des compétences fixées par les articles 13, 14 et 24 de la loi organique du 27 février 2004.
11. La Polynésie française n'étant pas fondée à demander l'annulation pour incompétence du 1° de l'article 49 du décret du 4 novembre 2020, qui étend ces dispositions dans ce territoire, elle n'est pas davantage fondée à demander l'annulation par voie de conséquence du 2° du même article.
Sur la légalité de l'extension des articles D. 322-9 à D. 322-22 du code de la sécurité intérieure :
12. Les articles D. 322-9 à D. 322-18, applicables aux jeux de loterie soumis au régime de droits exclusifs, encadrent l'affectation aux gagnants du montant total des mises de ces jeux, définissent la nature de leurs gains ou lots, prévoient leur nombre maximum, organisent leur mise à disposition des joueurs ainsi que la manière dont l'intervention du hasard peut y être intégrée et représentée. Ils déterminent le cadre dans lequel la société la Française des jeux peut autoriser des personnes privées à exploiter des postes d'enregistrement de ces jeux. Les articles D. 322-19 à D. 322-22 comportent des dispositions équivalentes pour les paris sportifs et hippiques.
13. Ces dispositions constituant des " règles applicables aux casinos et cercles de jeux, aux loteries, tombolas et paris ", sans pouvoir être regardées comme des règles de contrôle ou des pénalités, au sens et pour l'application de l'article 24 de la loi organique du 27 février 2004, leur fixation relève, par application du même article, de la compétence de l'assemblée de la Polynésie française. La Polynésie française est ainsi fondée à soutenir que l'Etat n'avait pas compétence pour les rendre applicables dans la collectivité et à demander, pour ce motif, l'annulation de l'article D. 344-1-1 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue du b) du 1° du I de l'article 10 du décret du 21 décembre 2020, en tant qu'il rend applicables en Polynésie française les articles D. 322-9 à D. 322-22 du code de la sécurité intérieure et, par voie de conséquence, l'annulation de l'article D. 344-3-2 issu du c) du 1 du I du même article.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la Polynésie française est seulement fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'article D. 344-1-1 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue du b) du 1° du I de l'article 10 du décret du 21 décembre 2020, en tant qu'il rend applicables en Polynésie française les articles D. 322-9 à D. 322-22 du code de la sécurité intérieure et, par voie de conséquence, l'annulation de l'article D. 344-3-2 issu du c) du 1 du I du même article.
D E C I D E :
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Article 1er : L'article D. 344-1-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue du décret du 21 décembre 2020, en tant qu'il rend applicables en Polynésie française les articles D. 322-9 à D. 322-22 du code de la sécurité intérieure et l'article D. 344-3-2 du même code sont annulés.
Article 2 : Le surplus des requêtes de la Polynésie française est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au président de la Polynésie française et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 juin 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 26 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Dominique Langlais
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras