Vu la procédure suivante
M. B... U..., Mme T... M..., M. A... G..., M. AA... N..., Mme AC... N..., Mme E... K..., M. V... W..., Mme Z... W..., M. AB... R..., Mme Y... R..., M. P... F..., M. H... L..., Mme X... D..., M. Q... O..., Mme S... J..., M. AD... et M. C... I... ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 6 septembre 2019 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a autorisé la société Centrale éolienne La plaine des fiefs à installer et exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Forges.
Par un arrêt n° 20BX00090 du 16 mai 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, annulé l'arrêté du 6 septembre 2019 en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement en ce qui concerne, d'une part, les rapaces nicheurs et les oiseaux d'eau, grands voiliers et limicoles migrateurs et hivernants et, d'autre part, la pipistrelle de Nathusius et les espèces de chiroptères dites de " lisières ", suspendu l'exécution des parties non viciées de l'arrêté du 6 septembre 2019 jusqu'à la délivrance éventuelle de la dérogation, et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet et 17 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Centrale éolienne La plaine des fiefs demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en tant qu'il a annulé l'arrêté du 6 septembre 2019 en tant qu'il ne comportait pas la dérogation prévue à l'article L.411-2 et suspendu l'exécution des parties non viciées de l'arrêté ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de M. U... et autres ;
3°) de mettre à la charge de M. U... et autres la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;
- l'arrêté du 23 avril 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Centrale éolienne La plaine des fiefs, et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. U... et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 6 septembre 2019, le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Centrale éolienne La plaine des fiefs une autorisation pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien comportant huit éoliennes, d'une hauteur de 184 mètres en bout de pale, et trois postes de livraison, sur le territoire de la commune de Forges. Par un arrêt en date du 16 mai 2022, contre lequel la société Centrale éolienne La plaine des fiefs se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, à son article 1er, annulé l'arrêté du 6 septembre 2019 en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement en ce qui concerne, d'une part, les rapaces nicheurs et les oiseaux d'eau, grands voiliers et limicoles migrateurs et hivernants et, d'autre part, la pipistrelle de Nathusius et les espèces de chiroptères dites de " lisières ", et, à son article 2, suspendu l'exécution des parties non viciées de l'arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats " : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : / a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; / b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration ; / c) la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ; / d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos ". Aux termes de l'article 16 de la même directive : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : / a) dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) à des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes; / e) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l'annexe IV (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ". Aux termes de l'article R. 411-6 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois par l'autorité administrative sur une demande de dérogation vaut décision de rejet. / Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale et les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables ". Aux termes de l'article R. 411-11 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 précisent les conditions d'exécution de l'opération concernée. Elles peuvent être subordonnées à la tenue d'un registre (...) ". Aux termes de l'article R. 411-12 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 peuvent être suspendues ou révoquées, le bénéficiaire entendu, si les conditions fixées ne sont pas respectées ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées : " La demande de dérogation (...) comprend : (...) La description, en fonction de la nature de l'opération projetée : (...) s'il y a lieu, des mesures d'atténuation ou de compensation mises en œuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées (...) ". Aux termes de l'article 4 de cet arrêté, la décision précise, en cas d'octroi d'une dérogation, " la motivation de celle-ci et, en tant que de besoin, en fonction de la nature de l'opération projetée, les conditions de celles-ci, notamment : (...) nombre et sexe des spécimens sur lesquels porte la dérogation " et " s'il y a lieu, mesures de réduction ou de compensation mises en œuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées ainsi qu'un délai pour la transmission à l'autorité décisionnaire du bilan de leur mise en œuvre ". Les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixent, respectivement, la liste des mammifères terrestres et des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
4. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
5. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.
6. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le pétitionnaire était tenu de présenter, pour la réalisation de son projet de parc éolien, la demande de dérogation prévue à l'article L. 411-1 du code de l'environnement, la cour a relevé, s'agissant de l'avifaune, que si l'étude d'impact qualifie le risque résiduel de négligeable, les mesures d'évitement ne permettent pas de parvenir à une telle conclusion, les mesures de réduction n'ayant, quant à elles, ni pour objet ni pour effet d'écarter tout risque mais seulement d'en limiter l'importance. La cour a également relevé, s'agissant cette fois des chiroptères, que les mesures prévues par le pétitionnaire et l'arrêté préfectoral, consistant à réduire l'éclairage au minimum requis pour la sécurité aérienne, à éloigner les éoliennes de quelques dizaines de mètres des lisières, à rendre inerte l'espace autour des éoliennes et à mettre en œuvre un plan de bridage, n'étaient pas de nature à exclure tout risque. En se fondant sur la circonstance, que tout risque, même faible, de destruction d'individus ou d'habitats ne pouvait être exclu concernant ces espèces, sans rechercher si les mesures d'évitement et de réduction présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société Centrale éolienne La plaine des fiefs est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'elle attaque en tant qu'il a annulé l'arrêté du 6 septembre 2019 du préfet de la Charente-Maritime en tant que ce dernier ne comporte pas la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement en ce qui concerne, d'une part, les rapaces nicheurs et les oiseaux d'eau, grands voiliers et limicoles migrateurs et hivernants et, d'autre part, la pipistrelle de Nathusius et les espèces de chiroptères dites de " lisières ", et en tant qu'il a suspendu l'exécution des parties non viciées de l'arrêté jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Centrale éolienne La plaine des fiefs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Centrale éolienne La plaine des fiefs qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt du 16 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Centrale éolienne La plaine des fiefs et à M. B... U..., premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.