Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 466933, par une requête, enregistrée le 24 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-929 du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme (parties réglementaires).
2° Sous le numéro 466947, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 août et 21 octobre 2022 et le
30 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-mer, , l'ordre des avocats d'Aix-en-Provence, l'ordre des avocats de Rennes, l'ordre des avocats de Seine-Saint-Denis et l'ordre des avocats de Versailles demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-929 du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme (parties réglementaires) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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3° Sous le numéro 466955, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 août et 20 octobre 2022 et le
30 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordre des avocats au barreau de Nantes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-929 du
24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme (parties réglementaires) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 22, 34 et 37 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention signée le 25 juin 1998 à Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;
- le code de l'environnement, notamment son article L. 110-1 ;
- le code général des impôts, notamment son article 232 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret du 20 mai 2022 relatif à la composition du Gouvernement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil National des barreaux, de la Conférence des bâtonniers de France et
d'Outre-mer, de l'ordre des avocats d'Aix-en-Provence, de l'ordre des avocats de Rennes, de l'ordre des avocats de Seine-Saint-Denis et de l'ordre des avocats de Versailles et à Me François-Eric Bardoul, avocat de l'ordre des avocats au barreau de Nantes ;
Considérant ce qui suit :
1. Par trois requêtes distinctes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), Le Conseil national des barreaux et autres et l'ordre des avocats au barreau de Nantes demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme (parties réglementaires). Eu égard aux moyens qu'elles présentent, ces requêtes doivent être regardées comme ne demandant l'annulation que du seul article 1er de ce décret qui prolonge jusqu'au 31 décembre 2027 et étend à certains autres recours la suppression du degré d'appel prévue par l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative pour certains contentieux de l'urbanisme, qui était applicable initialement aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018, et dont l'application a été étendue une première fois jusqu'au 31 décembre 2022.
2. Aux termes de l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative dans sa version issue de l'article 1er du décret du 24 juin 2022 : " A l'exception des autorisations et actes afférents aux opérations d'urbanisme et d'aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l'article R. 311-2, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre : / 1° Les permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d'aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ou les décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application ; / 2° Les actes de création ou de modification des zones d'aménagement concerté mentionnés aux articles
L. 311-1 et R. 311-3 du code de l'urbanisme, et l'acte approuvant le programme des équipements publics mentionné à l'article R. 311-8 du même code, lorsque la zone d'aménagement concerté à laquelle ils se rapportent porte principalement sur la réalisation de logements et qu'elle est située en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application ; / 3° Les décisions suivantes, afférentes à une action ou une opération d'aménagement, au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, située en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application, et dans le périmètre d'une opération d'intérêt national, au sens de l'article L. 102-12 du code de l'urbanisme, ou d'une grande opération d'urbanisme, au sens de l'article L. 312-3 du même code : / a) L'autorisation environnementale prévue à l'article L. 181-1 du code de l'environnement et l'arrêté portant prescriptions complémentaires en application de l'article L. 181-14 du même code ; / b) L'absence d'opposition à la déclaration d'installations, ouvrages, travaux et activités et l'arrêté portant prescriptions particulières mentionnés au II de l'article L. 214-3 du code de l'environnement ; / c) La dérogation mentionnée au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement et l'arrêté portant prescriptions complémentaires en application de l'article R. 411-10-2 du même code ; / d) Le récépissé de déclaration ou l'enregistrement d'installations mentionnés aux articles L. 512-7 ou L. 512-8 du code de l'environnement et les arrêtés portant prescriptions complémentaires ou spéciales mentionnés aux articles L. 512-7-5 ou L. 512-12 du même code ; / e) L'autorisation de défrichement mentionnée à l'article L. 341-3 du code forestier. / Les dispositions du présent article s'appliquent aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027 ".
Sur la légalité externe :
3. En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers et notamment de la minute de la section des travaux publics du Conseil d'Etat, produite dans le cadre de l'instruction par la Première ministre, que les dispositions du décret attaqué ne diffèrent du texte adopté par Le Conseil d'Etat que par son article 4 qui tire les conséquences nécessaires, s'agissant de ses contresignataires, du décret du 20 mai 2022 relatif à la composition du Gouvernement, intervenu postérieurement à la délibération, le 17 mai 2022, de la section des travaux publics du Conseil d'Etat. Cette différence étant sans incidence sur la légalité du décret, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par Le Conseil d'Etat du projet de décret doit être écarté.
4. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient l'ordre des avocats au barreau de Nantes, il ressort des pièces des dossiers que Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, dont l'avis a été produit par le ministre, a été consulté sur le projet de décret. Si l'ordre des avocats au barreau de Nantes soutient qu'il n'est pas établi que cet avis a été régulièrement exprimé, il n'assortit pas ce moyen des précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré du défaut ou de l'irrégularité de la consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés le cas échéant par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte règlementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures règlementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de cet acte. Le décret attaqué n'implique l'intervention d'aucune mesure d'exécution que le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées ou le ministre de l'intérieur seraient compétents pour signer ou contresigner. Par suite, le moyen tiré du défaut de contreseing de ces ministres doit être écarté.
6. En quatrième lieu, la règle du double degré de juridiction, qui ne met en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, relève de la compétence réglementaire. Par suite, la FNUJA n'est pas fondée à soutenir que l'article 1er du décret attaqué serait intervenu dans le domaine de la loi pour avoir fixé les cas dans lesquels les recours contre des décisions d'urbanisme relèvent de la compétence de premier et dernier ressort des tribunaux administratifs.
7. En cinquième lieu, les stipulations de l'article 8 de la convention signée le 25 juin 1998 à Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, aux termes desquelles " Chaque Partie s'emploie à promouvoir une participation effective du public à un stade approprié - et tant que les options sont encore ouvertes - durant la phase d'élaboration par des autorités publiques des dispositions réglementaires et autres règles juridiquement contraignantes d'application générale qui peuvent avoir un effet important sur l'environnement (...) ", qui requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers, ont pour objet exclusif de régir les relations entre Etats. Par suite, elles ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre du décret attaqué.
Sur la légalité interne :
8. En premier lieu, ni les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ni les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 et de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni aucun principe ne consacrent l'existence d'une règle du double degré de juridiction qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article 1er du décret attaqué méconnaîtrait le droit d'exercer un recours effectif doit être écarté. En outre, la FNUJA ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article
L. 211-1 du code de justice administrative, qui ne traite pas de l'appel, et de l'article L. 211-2 du même code, qui énonce les attributions des cours administratives d'appel, mais n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer que l'appel soit ouvert à l'encontre de l'ensemble des jugements rendus par les tribunaux administratifs.
9. En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. D'une part, les dispositions attaquées ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l'offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d'opérations de construction de logements ou d'opérations susceptibles de favoriser le développement de l'offre de logements. D'autre part, ces dispositions prévoient, s'agissant des autorisations et des refus de permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements et des permis d'aménager un lotissement, des décisions d'opposition et de
non-opposition à déclaration préalable autorisant un lotissement, des actes de création ou de modification des zones d'aménagement concerté mentionnées aux articles L. 311-1 et R. 311-3 du code de l'urbanisme, de l'acte approuvant le programme des équipements publics mentionné à l'article R. 311-8 du même code, lorsque la zone d'aménagement concerté à laquelle ils se rapportent porte principalement sur la réalisation de logements, et des décisions prises en matière environnementale afférentes à une action ou une opération d'aménagement, au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, et dans le périmètre d'une opération d'intérêt national ou d'une grande opération d'urbanisme, listées au 3° de l'article R. 811-1-1 du même code dans sa version issue du décret attaqué, que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort pour les seuls recours concernant des projets situés dans les communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application, où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant et où s'applique la taxe annuelle sur les logements vacants. La différence de traitement ainsi instituée entre, d'une part, les requérants dont les recours portent sur des projets situés dans des communes où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements et, d'autre part, les requérants dont les recours portent sur des projets situés dans les autres communes, qui est fondée sur des critères objectifs, est justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet des dispositions en cause et n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient, dès lors qu'elle se borne à aménager l'organisation des voies de recours sans priver les justiciables de l'accès à un juge. Par suite, la FNUJA n'est pas fondée à soutenir que les dispositions attaquées méconnaissent le principe d'égalité.
10. En troisième lieu, dès lors que l'article 3 du décret attaqué prévoit que les dispositions de l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative s'appliquent aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées seraient illégales au motif qu'elles pérenniseraient la compétence en premier et dernier ressort des tribunaux administratifs prévue à l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative manque en fait.
11. En quatrième lieu, aux termes du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, les autorités s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée,
du " principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ". Toutefois, les requérants ne peuvent utilement invoquer ce principe de
non-régression en matière environnementale pour contester des dispositions aménageant en matière contentieuse la règle de l'appel.
12. En cinquième et dernier lieu, pour regrettable que soit l'absence d'évaluation de l'impact de la suppression du double degré de juridiction pour les contentieux concernés préalablement à l'adoption du décret attaqué, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce décret serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce que, en vue de diminuer les délais de jugement pour certains recours en matière d'urbanisme lorsque le projet en cause est situé dans une zone dite tendue au regard du besoin de logement, il prolonge jusqu'au
31 décembre 2027 la suppression du double degré de juridiction pour ces contentieux et étend de manière circonscrite cette dérogation, notamment aux recours concernant les décisions d'opposition et de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement implanté en zone tendue, ainsi qu'à certaines décisions prises en matière environnementale relatives à des actions ou opérations d'aménagement réalisées dans le cadre des grandes opérations d'urbanisme ou d'opérations d'intérêt national, également situées en zone tendue, qui sont susceptibles d'y favoriser le développement de l'offre de logements.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la FNUJA, Le Conseil national des barreaux et autres et l'ordre des avocats au barreau de Nantes ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'article 1er du décret du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme (parties règlementaires).
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes n°s 466933, 466947 et 466955 sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers de France et
d'Outre-mer, à l'ordre des avocats d'Aix-en-Provence, à l'ordre des avocats de Rennes, à l'ordre des avocats de Seine-Saint-Denis, à l'ordre des avocats de Versailles, à l'ordre des avocats au barreau de Nantes, à la Première ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.