Vu la procédure suivante :
La société en nom collectif Bobigny Indépendance a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 août 2020 par laquelle le maire de Bobigny a retiré le permis de construire que celui-ci lui avait attribué le 11 mars 2020 en vue de l'édification d'un ensemble immobilier comprenant un hôtel, des commerces, une résidence intergénérationnelle et des logements collectifs, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 2102241 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Par une ordonnance n° 22PA02625 du 21 juin 2022, enregistrée le 23 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré au greffe de cette cour le 7 juin 2022, présenté par la société Bobigny Indépendance.
Par ce pourvoi et par un nouveau mémoire, enregistré le 15 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bobigny Indépendance demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bobigny la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume Larrivé, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado, Gilbert, avocat de la société Bobigny Indépendance et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la commune de Bobigny ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 11 mars 2020, le maire de Bobigny a accordé à la société Bobigny Indépendance un permis de construire un ensemble immobilier comprenant un hôtel, des commerces, une résidence intergénérationnelle et des logements collectifs, valant permis de démolir. Par un arrêté du 21 août 2020, il a procédé au retrait de ce permis et l'a refusé. Par un jugement du 29 mars 2022 contre lequel la société Bobigny Indépendance se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de cette société tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 21 août 2020, ainsi que du rejet de son recours gracieux.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire. (...). " L'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationales. / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. (...). " Et aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. " La décision portant retrait d'un permis de construire est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au titulaire du permis de construire d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde, et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Les dispositions précitées font également obligation à l'autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d'audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu'elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n'est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu'elle peut être écartée.
3. Le respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration constitue une garantie pour le titulaire du permis de construire que l'autorité administrative entend rapporter. Eu égard à la nature et aux effets d'un tel retrait, le délai de trois mois prévu par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, prorogé en l'espèce dans les conditions prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, oblige l'autorité administrative à mettre en œuvre la procédure contradictoire préalable à cette décision de retrait de manière à éviter que le bénéficiaire du permis ne soit privé de cette garantie.
4. S'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté en date du 21 août 2020 par lequel le maire de Bobigny a retiré le permis accordé à la société Bobigny Indépendance est intervenu après que celle-ci a été mise à même de présenter des observations écrites par un courrier qu'elle a adressé à la commune le 17 août 2020, la société Bobigny Indépendance avait fait valoir auprès du tribunal administratif qu'elle n'avait, en revanche, pas pu présenter d'observations orales comme elle affirmait l'avoir pourtant demandé à la commune.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 qu'en se fondant, pour juger que la société requérante ne pouvait soutenir avoir été privée d'aucune garantie de ce chef et écarter par suite ce moyen, sur la circonstance que cette société avait en tout état de cause pu présenter des observations écrites, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.
6. Il suit de là que la société Bobigny Indépendance est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au fond :
8. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet d'un rendez-vous entre la société Bobigny Indépendance et le maire de la commune, évoqué lors d'échanges avec les services en août 2020, aurait correspondu à une demande de la part de cette société de pouvoir présenter des observations orales sur le retrait envisagé de l'arrêté du 11 mars 2020 par lequel le maire de Bobigny avait accordé un permis de construire à cette société. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure contradictoire préalable au retrait de ce permis de construire aurait été irrégulière faute qu'il ait été satisfait par la commune à la demande d'audition de la société Bobigny Indépendance manque en fait.
9. En second lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. "
10. En vertu de ces dispositions, lorsqu'un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l'autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu'il n'est pas légalement possible, au vu du dossier et de l'instruction de la demande de permis, d'accorder le permis en l'assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d'une nouvelle demande, permettraient d'assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect.
11. Il ressort des pièces du dossier que, si le projet litigieux a d'abord fait l'objet d'un avis favorable, assorti de prescriptions, émis par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris le 30 décembre 2019, il a ensuite reçu deux avis défavorables du préfet de la Seine-Saint-Denis, en date des 13 janvier et 11 mars 2020, instruits par la section sécurité incendie du bureau de la défense et de la sécurité civiles de la préfecture. Il résulte de ces derniers avis que, s'agissant de la partie du projet litigieux constituée d'un hôtel comprenant quatre-vingt-six chambres réparties sur neuf étages, la configuration des lieux ne permettait pas aux services de secours d'accéder aux quarante-six chambres donnant sur la rue et qu'une telle atteinte à la sécurité publique ne pouvait être évitée par des prescriptions dont l'observation incomberait au seul pétitionnaire mais nécessitait la réalisation d'aménagements de la voirie desservant le terrain d'assiette, dont le gestionnaire est un tiers, à savoir le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, le maire a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que le projet litigieux ne portait pas atteinte à la sécurité publique et satisfaisait aux exigences de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, de sorte que le permis délivré pouvait légalement être retiré pour ce motif, dont il résulte de l'instruction qu'il aurait à lui seul conduit le maire à prendre la décision de retrait en litige. Les moyens par lesquels la société requérante en conteste les autres motifs sont par suite sans incidence sur la légalité de cette décision.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bobigny Indépendance n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Bobigny Indépendance devant le tribunal administratif de Montreuil et le surplus de ses conclusions sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de Bobigny sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif Bobigny Indépendance et à la commune de Bobigny.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et M. Guillaume Larrivé, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 12 juin 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Guillaume Larrivé
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber