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06/06/2023 | FRANCE | N°462748

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 06 juin 2023, 462748


Vu la procédure suivante :

L'Association nationale animaux sous tension (ANAST) a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et le groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) ont rejeté sa demande du 24 juin 2019 tendant à la communication de divers documents relatifs au GPSE et, d'autre part, de leur enjoindre de lui communiquer ces documents sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n°

1923349 du 10 février 2022, le tribunal administratif a prononcé un n...

Vu la procédure suivante :

L'Association nationale animaux sous tension (ANAST) a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et le groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) ont rejeté sa demande du 24 juin 2019 tendant à la communication de divers documents relatifs au GPSE et, d'autre part, de leur enjoindre de lui communiquer ces documents sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1923349 du 10 février 2022, le tribunal administratif a prononcé un non-lieu sur les conclusions relatives à la communication de certains de ces documents, a annulé les décisions implicites du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du GPSE en tant qu'ils ont refusé la communication des autres documents et a enjoint au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au GPSE de communiquer ces documents.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux autres mémoires, enregistrés les 29 mars et 29 juin 2022 et les 23 mars et 6 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le GPSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de l'ANAST le concernant ;

3°) de mettre à la charge de l'ANAST la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat du Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de l'Association nationale animaux sous tension (ANAST) ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un courrier du 24 juin 2019, l'Association nationale animaux sous tension (ANAST) a demandé à l'association Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE), sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration et des article L. 124-1 et suivants du code de l'environnement, la communication de documents relatifs à ses activités. Le GPSE se pourvoit en cassation contre le jugement du 10 février 2022 du tribunal administratif de Paris, en tant, d'une part, qu'il a annulé sa décision implicite par laquelle il a refusé la communication de ses bilans, de l'ensemble de ses protocoles, des comptes rendus de réunions et des relevés de conclusions depuis 1999, ainsi que des comptes rendus des expérimentations locales menées sous son égide et des études et rapports scientifiques établis dans le cadre de son activité, et, d'autre part, lui a enjoint de les communiquer à l'ANAST.

2. Aux termes de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, (...) les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ". En vertu de l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Sauf dispositions contraires, le litige né du refus opposé par une personne morale de droit privé qui n'exerce aucune mission de service public à une demande tendant, sur le fondement de ces dispositions, à la communication de documents administratifs qu'elle détiendrait ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative.

3. Aux termes de l'article L. 124-1 du code de l'environnement : " Le droit de toute personne d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques mentionnées à l'article L. 124-3 ou pour leur compte s'exerce dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve des dispositions du présent chapitre ". En vertu de l'article L. 124-2 du même code : " Est considérée comme information relative à l'environnement au sens du présent chapitre toute information disponible, quel qu'en soit le support, concernant : / 1° L'état des éléments de l'environnement, notamment l'air, l'atmosphère, l'eau, le sol, les terres, les paysages, les sites naturels, les zones côtières ou marines et la diversité biologique, ainsi que les interactions entre ces éléments ; / 2° Les décisions, les activités et les facteurs, notamment les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements, les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets, susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1°, ainsi que les décisions et les activités destinées à protéger ces éléments ; (...) ". Selon l'article L. 124-3 du même code : " Toute personne qui en fait la demande reçoit communication des informations relatives à l'environnement détenues par : 1° L'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les établissements publics ; / 2° Les personnes chargées d'une mission de service public en rapport avec l'environnement, dans la mesure où ces informations concernent l'exercice de cette mission (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une personne privée, dès lors qu'elle est chargée d'une mission de service public, est tenue de communiquer à toute personne qui en fait la demande les informations relatives à l'environnement qu'elle détient.

4. Indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public. Même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond ainsi que des éléments produits à la suite de la mesure d'instruction ordonnée par la 10ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qu'un protocole relatif au plan d'action concerté entre l'Etat et Electricité de France (EDF) pour promouvoir la sécurité électrique en milieu agricole a mis en place, entre 1999 et 2003, un groupe de travail permanent sur la sécurité électrique dans les exploitations agricoles, dit GPSE, chargé de suivre les actions entreprises dans le cadre de ce plan. Un nouveau protocole, conclu en 2006 entre l'Etat et les sociétés EDF et Réseau de transport d'électricité (RTE), a réactivé ce GPSE jusqu'au 31 décembre 2008 en lui confiant une mission générale de pilotage de l'expertise et de l'appui méthodologique aux actions locales de recherche scientifique sur l'influence des phénomènes électriques parasites sur les animaux d'élevage, aux actions d'expertise sur la sécurité électrique et les phénomènes électriques parasites dans les exploitations agricoles et aux actions de communication conduites en lien avec la profession agricole. En 2014, l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, aujourd'hui dénommée Chambres d'agriculture France, RTE et Electricité réseau distribution France, devenue Enedis, ont décidé, avec les ministères chargés de l'agriculture, de l'écologie et de l'énergie, de constituer une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association dénommée " Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole " (GPSE), dont l'objet statutaire est de " coordonner et de mener toutes initiatives à l'échelle territoriale et nationale permettant de promouvoir la sécurité, la qualité et la fiabilité des installations électriques dans les exploitations agricoles et de mettre en œuvre diverses actions permettant à l'agriculture française de disposer de l'énergie électrique dans des conditions de plus grande sécurité, de plus grande qualité et de meilleur respect de l'environnement, en s'appuyant sur les connaissances scientifiques reconnues sur le sujet ". Eu égard à cet objet, l'association GPSE, créée par des personnes morales de droit public et de droit privé chargées d'une mission de service public doit être regardée comme menant une activité d'intérêt général.

6. Toutefois, d'une part, cette association, dont l'existence n'est ni prévue ni impliquée nécessairement par la loi, est dépourvue de prérogatives de puissance publique. D'autre part, il ressort des statuts de l'association que celle-ci est ouverte à de nouveaux membres, indépendamment de l'exercice par ces derniers d'une mission de service public, chaque membre, à l'exclusion de l'Etat qui en est dépourvu, disposant des mêmes droits de vote en assemblée générale et aucune règle ne garantissant aux trois membres fondateurs mentionnés au point précédent le contrôle de l'association. Il est ainsi constant que la Confédération nationale de l'élevage, l'association Consuel - Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité - , France Energie éolienne et le Syndicat des énergies renouvelables ont adhéré au GPSE en 2015 et 2016 et que le conseil d'administration, qui doit comprendre entre trois et onze membres, en sus des représentants de l'Etat qui n'y ont que voix consultative, comptait, à la date du jugement attaqué, sept membres, dont les trois représentants des membres fondateurs. Le conseil d'administration, dont les décisions sont prises à la majorité simple en vertu du règlement intérieur, désigne le président et le délégué général de l'association, qui en assurent la gestion, et définit la politique et les orientations générales de l'association dont il établit le budget, sans que l'Etat ou les membres fondateurs aient assigné à celle-ci des objectifs dont ils contrôleraient l'atteinte. Enfin, le financement de l'association, notamment des expertises qu'elle réalise, est pour l'essentiel assuré par ses membres, sans qu'une part prépondérante provienne de subventions versées par les ministères concernés, un fonds partenarial abondé par les membres ayant été créé en 2019 pour financer les expertises lorsque l'opérateur électrique concerné décide de refuser de les prendre en charge. Dans ces conditions, s'ils en ont été à l'initiative, ni les membres fondateurs, au titre de leur mission de service public, ni l'Etat n'exercent un contrôle sur l'association GPSE et ne peuvent être regardés comme ayant entendu lui confier une mission de service public.

7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de l'ANAST contestant le refus opposé par le GPSE à sa demande tendant à la communication de divers documents et informations soulèvent un litige qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative. Le tribunal ayant fait droit à ces conclusions sans relever l'incompétence de la juridiction administrative, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens soulevés par le GPSE, d'annuler le jugement en tant qu'il y fait droit.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les conclusions présentées par l'ANAST devant le tribunal administratif de Paris à fin d'annulation de la décision implicite par laquelle le GPSE a rejeté sa demande tendant à la communication de divers documents et d'injonction à ce que ceux-ci lui soient communiqués par le GPSE doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le GPSE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du GPSE, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 10 février 2022 est annulé en tant qu'il a annulé la décision implicite par laquelle l'association " Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole " a refusé la communication de divers documents à l'Association nationale animaux sous tension et lui a enjoint de les communiquer à cette association.

Article 2 : Les conclusions contestant le refus opposé par le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole à la communication de divers documents présentées par l'Association nationale animaux sous tension devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Les conclusions présentées tant par l'Association nationale animaux sous tension que par le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole et à l'Association nationale des animaux sous tension.

Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 5 juin 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Philippe Bachschmidt

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462748
Date de la décision : 06/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jui. 2023, n° 462748
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462748.20230606
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