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26/05/2023 | FRANCE | N°459342

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 26 mai 2023, 459342


Vu la procédure suivante :

Mme E... C... a porté plainte contre Mme A... B... devant la chambre régionale de discipline de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 5 décembre 2014, la chambre régionale de discipline a prononcé à l'encontre de Mme B... la sanction de l'interdiction du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur le territoire national pendant une période de deux mois dont quarante-cinq jours assortis du sursis.

Par une décision du 8 juillet 2016, la chambre supérieure de discipline de l'ordre

des vétérinaires a rejeté l'appel formé par Mme B... contre cette décision.
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Vu la procédure suivante :

Mme E... C... a porté plainte contre Mme A... B... devant la chambre régionale de discipline de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 5 décembre 2014, la chambre régionale de discipline a prononcé à l'encontre de Mme B... la sanction de l'interdiction du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur le territoire national pendant une période de deux mois dont quarante-cinq jours assortis du sursis.

Par une décision du 8 juillet 2016, la chambre supérieure de discipline de l'ordre des vétérinaires a rejeté l'appel formé par Mme B... contre cette décision.

Par une décision n° 403354 du 24 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé la décision de la chambre supérieure de discipline et a renvoyé l'affaire devant cette chambre.

Par une décision du 17 septembre 2021, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a, sur renvoi du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, rejeté l'appel formé par Mme B... contre la décision du 5 décembre 2014 de la chambre régionale de discipline de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 décembre 2021 et 10 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 17 septembre 2021 de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des vétérinaires la somme de 5 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 2016-1090 du 8 août 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Françoise Tomé, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bouthors, avocat de Mme B... et au Cabinet Rousseau, Tapie ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., exerçant la profession de vétérinaire en tant que salariée d'une association de protection animale, a fait l'objet d'une plainte devant la chambre régionale de discipline de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 5 décembre 2014, la chambre régionale de discipline a prononcé la sanction de l'interdiction du droit d'exercer la médecine vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de deux mois, dont quarante-cinq jours assortis du sursis. Par une décision du 8 juillet 2016, la chambre supérieure de discipline de l'ordre des vétérinaires a rejeté l'appel formé par Mme B... contre cette décision. Par une décision n° 403354 du 24 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cette décision et renvoyé l'affaire à la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 17 septembre 2021, contre laquelle Mme B... se pourvoit en cassation, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a, sur renvoi du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, rejeté l'appel formé par Mme B... contre la décision du 5 décembre 2014 de la chambre régionale de discipline de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires.

Sur les moyens relatifs à la régularité des procédures suivies devant les juridictions disciplinaires :

En ce qui concerne la composition de la chambre régionale de discipline :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 242-5 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " Le conseil régional de l'ordre, complété par un conseiller honoraire à la cour d'appel ou à défaut par un conseiller en activité et sous sa présidence, constitue une chambre de discipline pour tout ce qui concerne l'honneur, la moralité et la discipline de la profession. Ce magistrat est désigné par le premier président de la cour d'appel dont le ressort comprend le chef-lieu de la région ".

3. En jugeant, pour écarter le moyen tiré de ce que la formation de jugement de première instance était présidée par un magistrat honoraire de l'ordre judiciaire qui avait dépassé la limite d'âge applicable aux magistrats judiciaires honoraires, que les magistrats judiciaires honoraires présidant les juridictions disciplinaires de première instance de l'ordre des vétérinaires n'étaient pas soumis à la limite d'âge prévue par l'article 41-31 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature pour l'exercice, en qualité de magistrat honoraire, des fonctions juridictionnelles mentionnées à l'article 41-25 de la même ordonnance, lesquelles n'incluent pas celles de président des chambres de discipline de l'ordre des vétérinaires, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires n'a pas commis d'erreur de droit. Il s'ensuit que si elle a également retenu qu'un tel moyen n'avait pas été régulièrement présenté, faute d'avoir été soulevé " in limine litis ", un tel motif est surabondant et, comme tel, insusceptible d'être utilement critiqué en cassation.

En ce qui concerne l'absence de réunion préalable de conciliation entre les parties lors de l'instruction devant la chambre nationale de discipline :

4. En vertu du II de l'article R. 242-95 du code rural et de la pêche maritime, applicable à la procédure suivie devant la chambre régionale de discipline de l'ordre des vétérinaires, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, le rapporteur " engage sans délai une procédure de conciliation, sauf s'il dispose d'un procès-verbal constatant l'impossibilité de celle-ci, ou si le plaignant est un président de conseil de l'ordre, le préfet ou le procureur de la République. / (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 242-112 du même code, applicable à la procédure suivie devant la chambre nationale de discipline, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Le rapporteur exécute sa mission conformément aux règles fixées aux I, III et IV de l'article R. 242-95. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le rapporteur devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires n'est pas tenu d'engager une procédure de conciliation entre les parties à l'instance disciplinaire, les dispositions du II de l'article R. 242-95 ne s'appliquant pas à lui.

5. Par suite, en écartant le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires était irrégulière, faute que le rapporteur ait engagé une conciliation entre les parties, qui était, ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6, inopérant, la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur de droit, peu importe à cet égard qu'elle ait écarté ce moyen comme irrecevable et non comme inopérant.

En ce qui concerne la régularité de la décision attaquée en ce qu'elle retient un grief ne figurant pas dans la plainte :

6. Les juridictions disciplinaires de l'ordre des vétérinaires, saisies d'une plainte contre un praticien, peuvent légalement connaître de l'ensemble du comportement professionnel de l'intéressé, sans se limiter aux faits dénoncés dans la plainte ni aux griefs articulés par le plaignant. A ce titre, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires peut légalement se fonder, pour infliger une sanction à un vétérinaire, sur des griefs nouveaux qui n'ont pas été dénoncés dans la plainte soumise à la chambre disciplinaire de première instance, à condition toutefois d'avoir mis au préalable l'intéressé à même de s'expliquer sur ces griefs.

7. Il ressort des termes mêmes de sa décision que la chambre nationale de discipline a, pour prononcer la sanction dont Mme B... demande l'annulation, retenu qu'elle avait méconnu l'obligation déontologique, s'imposant, en vertu de l'article R. 242-50 du code rural et de la pêche maritime, aux vétérinaires exerçant au sein des associations dont l'objet est la protection des animaux et habilitées à gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes, de s'assurer du respect de la gratuité des soins qu'elle dispense. Il ressort des pièces de la procédure suivie en appel, et notamment du procès-verbal d'audition de Mme B... par le rapporteur devant la chambre nationale de discipline et de sa convocation à l'audience, mentionnant qu'il lui était reproché de ne pas avoir fait assurer la gratuité des soins prodigués aux animaux dont les propriétaires sont dépourvus de ressources suffisantes, que, si la plainte de Mme C... contre Mme B... n'invoquait qu'un grief de refus de soins, cette dernière a été mise à même de présenter sa défense sur le nouveau grief, tiré de la méconnaissance de l'article R. 242-50 du code rural et de la pêche maritime, soulevé par la chambre nationale de discipline. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d'irrégularité en ce qu'elle retient un grief qui ne figurait pas dans la plainte.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. En premier lieu, aux termes du VI de l'article L. 214-6 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " VI.-Seules les associations de protection des animaux reconnues d'utilité publique ou les fondations ayant pour objet la protection des animaux peuvent gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés gratuitement aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes. / (...) ". Aux termes de l'article R. 242-50 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Applications particulières. / Il est interdit de donner des consultations gratuites ou payantes dont peut tirer un bénéfice moral ou matériel une personne physique ou morale non habilitée légalement à exercer la profession vétérinaire et extérieure au contrat de soin. / Seules font exception aux dispositions du précédent alinéa les associations dont l'objet est la protection des animaux et qui sont habilitées par les dispositions du VI de l'article L. 214-6 à gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes. Ces actes sont gratuits. Les vétérinaires exerçant dans ces établissements ne peuvent être rétribués que par ceux-ci ou par l'association qui les gère, à l'exclusion de toute autre rémunération. Ils doivent obtenir des engagements pour le respect des dispositions qui précédent sous la forme d'un contrat qui garantit en outre leur complète indépendance professionnelle. / Ce contrat doit être communiqué au conseil régional de l'ordre qui vérifie sa conformité avec les prescriptions de la présente section ".

9. Ces dispositions, qui figurent dans le code de déontologie des vétérinaires, dans sa sous-section relative aux devoirs des vétérinaires envers leurs clients, imposent à tout praticien exerçant dans une structure relevant du VI de l'article L. 214-6 du code rural et de la pêche maritime, quel que soit son mode d'exercice, de respecter et de s'assurer du respect de la gratuité des soins y étant dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes.

10. D'une part, il résulte des énonciations de la décision attaquée que, pour confirmer la sanction litigieuse, la chambre nationale de discipline a estimé, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, en premier lieu, qu'une tarification, fonction de l'acte à accomplir, était appliquée au sein du dispensaire de la Fondation assistance aux animaux, habilitée à dispenser des soins gratuits aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes en application des dispositions du VI de l'article L. 214-6 du code rural et de la pêche maritime, dans lequel Mme B..., vétérinaire salariée employée par la fondation, exerçait ; en deuxième lieu, que ces participations financières étaient demandées y compris aux personnes dépourvues de ressources suffisantes, dont certaines, en raison de ce qu'elles ne pouvaient pas payer les sommes demandées, se sont vu refuser des soins ; en troisième lieu que Mme B..., qui avait conscience que les obligations posées par l'article R. 242-50 du code rural et de la pêche maritime n'étaient pas respectées au sein du dispensaire, ne faisait pas respecter la gratuité des soins ; en quatrième lieu, que son statut de salariée n'était pas de nature à l'exonérer de ses obligations déontologiques. Par suite, en déduisant de l'ensemble de ces éléments que Mme B... avait méconnu ses obligations déontologiques découlant des dispositions citées au point 8, la chambre nationale de discipline n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

11. D'autre part, la chambre nationale de discipline n'ayant pas retenu de manquements relatifs à la méconnaissance des articles R. 242-33 et R. 242-50 du code rural et de la pêche maritime, les moyens tirés de ce qu'elle aurait inexactement qualifié les faits et commis une erreur de droit en se fondant sur ces dispositions ne peuvent qu'être écartés.

12. En dernier lieu, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise. En l'espèce, en infligeant la sanction litigieuse, la chambre nationale de discipline de l'ordre des médecins n'a pas retenue une sanction hors de proportion en égard aux manquements commis.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme B... doit être rejeté, y compris, en tout état de cause, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à Mme E... C....

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des vétérinaires.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 459342
Date de la décision : 26/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 mai. 2023, n° 459342
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Françoise Tomé
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE ; BOUTHORS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:459342.20230526
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