La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2023 | FRANCE | N°458153

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 25 mai 2023, 458153


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 3 novembre 2021 et le 21 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) 33 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, avant-dire droit, au Premier ministre de produire les pièces visées par le décret n° 2021-1145 du 2 septembre 2021 fixant le périmètre du territoire de la métropole Bordeaux Métropole sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-

1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 3 novembre 2021 et le 21 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) 33 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, avant-dire droit, au Premier ministre de produire les pièces visées par le décret n° 2021-1145 du 2 septembre 2021 fixant le périmètre du territoire de la métropole Bordeaux Métropole sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code de commerce ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de la société UNPI 33 et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la métropole de Bordeaux Métropole.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du I de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dans sa rédaction applicable au litige : " A titre expérimental et pour une durée de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, dans les zones mentionnées à l'article 17 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d'habitat, la commune de Paris, les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, la métropole de Lyon et la métropole d'Aix-Marseille-Provence peuvent demander qu'un dispositif d'encadrement des loyers régi par le présent article soit mis en place./ Sur proposition du demandeur transmise dans un délai de deux ans à compter de la publication de la loi, un décret détermine le périmètre du territoire de la collectivité demandeuse sur lequel s'applique le dispositif, lorsque les conditions suivantes sont réunies :/ 1° Un écart important entre le niveau moyen de loyer constaté dans le parc locatif privé et le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif social ;/ 2° Un niveau de loyer médian élevé ;/ 3° Un taux de logements commencés, rapporté aux logements existants sur les cinq dernières années, faible ;/ 4° Des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements inscrites dans le programme local de l'habitat et de faibles perspectives d'évolution de celles-ci./ Pour chaque territoire ainsi délimité, le représentant de l'Etat dans le département fixe, chaque année, par arrêté, un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logements et par secteur géographique (...) ". Les III et VI du même article encadrent, au regard des loyers de référence définis au I, les modalités de détermination et d'évolution des loyers, lors de la conclusion du bail et à l'occasion de son renouvellement. Le décret du 2 septembre 2021 dont la requérante demande l'annulation a été pris en application de ces dispositions et dispose, en son article 1er, que : " Le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 susvisée est mis en place sur le territoire de la commune de Bordeaux ".

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L.462-2 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence " est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : / (...) 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ".

3. Le décret attaqué se bornant à déterminer un périmètre d'application du régime expérimental prévu par les dispositions de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 cité ci-dessus, il est dépourvu de caractère réglementaire et n'institue, en outre, aucun régime nouveau au sens de l'article L. 462-2 du code de commerce. Il n'avait pas, par suite, contrairement à ce que soutient la requérante, à être soumis à l'Autorité de la concurrence préalablement à son édiction.

4. En second lieu, aux termes de l'article R* 361-2 du code de la construction et de l'habitation, le Conseil national de l'habitat est " consulté sur les mesures destinées à favoriser la mixité sociale (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que le décret attaqué est destiné à faciliter l'accès au logement locatif privé pour les personnes à revenu modeste ou intermédiaire. La circonstance, invoquée par la requérante, qu'il a pour effet de favoriser la mixité sociale ne permet pas, par elle-même, de le regarder comme une mesure destinée à favoriser la mixité sociale. Il n'avait, par suite, pas à être précédé d'une consultation du Conseil national de l'habitat.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne la contestation des dispositions de la loi du 23 novembre 2018 au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. En premier lieu, les dispositions de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 citées au point 1 visent à lutter contre les difficultés importantes, notamment d'ordre financier, d'accès au logement qui résultent, dans certaines zones urbanisées, du déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. Si ces dispositions permettent aux préfets de fixer des " loyers de référence " qui seront susceptibles de limiter l'exercice du droit de propriété, cette limitation, au demeurant introduite par la loi à titre expérimental, présente un rapport raisonnable de proportionnalité avec l'exigence d'intérêt général qu'elle poursuit. La requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'elles sont incompatibles avec la protection du droit de propriété résultant des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En second lieu, il résulte des dispositions des articles L. 302-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation que le législateur a confié aux établissements publics de coopération intercommunale une compétence en matière de politique locale de l'habitat, en vertu de laquelle il leur incombe notamment d'établir et d'adopter le programme local de l'habitat pour l'ensemble de leurs communes membres. En prévoyant que l'introduction d'un encadrement de loyers doit être précédée d'une demande émanant d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat ou d'une autre collectivité ayant cette compétence, l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 a entendu doter ces collectivités, au titre de la compétence en matière d'habitat qu'elles exercent librement, d'un outil supplémentaire pour exercer cette compétence. Si la mise en œuvre de ces dispositions législatives peut avoir pour conséquence qu'un encadrement des loyers soit mis en place dans un territoire présentant des caractéristiques identiques à celles d'un autre territoire dans lequel aucun encadrement ne sera appliqué, faute de demande de la collectivité concernée, cette différence résulte du choix fait par chaque collectivité de mettre en œuvre une politique d'encadrement des loyers ou de ne pas le faire, et non pas des dispositions de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 elles-mêmes. Le moyen tiré de ce que ces dispositions introduiraient une discrimination incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel ne peut donc qu'être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens :

8. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 1 qu'il appartient au Premier ministre, saisi d'une demande émanant d'une collectivité compétente en matière d'habitat et présentée sur le fondement des dispositions de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018, d'apprécier si le choix du périmètre retenu au sein du territoire de la collectivité en question répond aux conditions posées par ces dispositions pour la mise en place d'un dispositif d'encadrement des loyers. En revanche il n'appartenait pas au Premier ministre, saisi de la demande de mise en place d'un encadrement des loyers émanant de la métropole de Bordeaux Métropole, d'examiner d'office, en l'absence de demande des collectivités concernées, si des territoires voisins de ceux de cette métropole étaient susceptibles de se voir appliquer simultanément un même encadrement des loyers. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le décret serait illégal faute d'avoir été précédé d'un tel examen.

9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Premier ministre se serait cru tenu de prendre, sur la demande de la métropole de Bordeaux Métropole, les dispositions attaquées, sans procéder à l'examen des conditions posées par l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018.

10. En troisième lieu, si la requérante fait valoir que le niveau du loyer médian de Bordeaux n'est supérieur que de 3 à 6 % à celui de la commune de Libourne, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'étude produite par la requérante elle-même, que cet écart, qui atteint au demeurant 22 % pour les logements d'une pièce, n'est, en tout état de cause, pas relatif à la commune de Bordeaux, sur laquelle le dispositif litigieux d'encadrement des loyers a été mis en place, mais à une soixantaine de communes de l'agglomération bordelaise. Il ressort au contraire des pièces du dossier que le niveau du loyer médian de Bordeaux, de 12,5 euros par mètre carré, contre 11,5 euros par mètre carré sur l'ensemble de l'agglomération, est élevé. Par suite, la requérante, qui reconnaît par ailleurs que le taux des logements commencés rapporté aux logements existants, de 1,7 % par an en moyenne au cours des années 2015 à 2019, ne suffit pas " face à un afflux de population très important ", n'est pas fondée à soutenir qu'en mettant en place le dispositif d'encadrement des loyers sur le seul territoire de la commune de Bordeaux le décret attaqué aurait, pour ces motifs, fait une inexacte application des dispositions du 2° et du 3° du I de l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018.

11. Enfin, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait illégal en raison de ce que, d'une part, la délibération du 23 octobre 2020 par laquelle le conseil de la métropole de Bordeaux Métropole a demandé au président de la métropole de solliciter la mise en place d'un dispositif d'encadrement des loyers et, d'autre part, la demande du 20 novembre 2020 du président de la métropole sollicitant la mise en place de ce dispositif seraient, l'une et l'autre, illégales pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être écartés ci-dessus ne peuvent qu'être écartés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner au Premier ministre de produire les pièces visées par le décret litigieux du 2 septembre 2021, la requête de l'UNPI 33 doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'UNPI 33 une somme de 3 000 euros à verser à la métropole de Bordeaux métropole au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'UNPI 33 est rejetée.

Article 2 : L'UNPI 33 versera à la métropole de Bordeaux Métropole une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des propriétaires immobiliers 33, à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la métropole de Bordeaux Métropole.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2023 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 25 mai 2023.

Le président :

Signé : M. Olivier Yeznikian

La rapporteure :

Signé : Mme Sara-Lou Gerber

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 458153
Date de la décision : 25/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 mai. 2023, n° 458153
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sara-Lou Gerber
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP GOUZ-FITOUSSI ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:458153.20230525
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award