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24/05/2023 | FRANCE | N°449983

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 24 mai 2023, 449983


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 21 mai 2021 et le 1er avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de l'Autorité des marchés financiers demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, en ce qu'elle a écarté les griefs tirés de la méconnaissance des intérêts des investisseurs, la décision n° 13 du 18 décembre 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers par laquelle un avertissement a été prononcé à l

'encontre de la société Skylar France et de son président M. A... B... ;

2°) de réfor...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 21 mai 2021 et le 1er avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de l'Autorité des marchés financiers demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, en ce qu'elle a écarté les griefs tirés de la méconnaissance des intérêts des investisseurs, la décision n° 13 du 18 décembre 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers par laquelle un avertissement a été prononcé à l'encontre de la société Skylar France et de son président M. A... B... ;

2°) de réformer la décision de la commission des sanctions afin que soient retenus ces griefs ;

3°) d'ordonner la publication de la décision ainsi réformée sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers pendant 3 ans, de manière non anonyme.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat du président de l'Autorité des marchés financiers et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre avocat de M. B... ;

Vu la note en délibéré enregistrée le 20 avril 2023, présentée par M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la société Skylar France, aujourd'hui en liquidation judiciaire, était une société de gestion de portefeuille pour la gestion collective, également habilitée à effectuer des activités de gestion sous mandat, dont M. A... B... était le président et l'unique actionnaire. Elle a fait l'objet d'un contrôle diligenté par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) le 14 février 2018 et le collège de l'Autorité des marchés financiers a, au terme de cette enquête, décidé d'engager une procédure de sanction à l'encontre de la société et de son dirigeant, par une notification de griefs en date du 15 octobre 2019. Par une décision du 18 décembre 2020, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a estimé que la société Skylar France avait manqué, entre le 14 février 2015 et le 14 février 2018, à ses obligations relatives au contrôle du processus de gestion individuelle, à celles relatives à la gestion des conflits d'intérêts ainsi qu'à celles relatives à l'entrée en relation avec ses clients. Elle a, en revanche, rejeté les griefs tirés de l'existence d'un conflit d'intérêts et d'une gestion qui n'aurait pas été assurée dans l'intérêt des investisseurs. La commission des sanctions a estimé que l'ensemble des manquements retenus à l'encontre de la société Skylar France étaient également imputables à son dirigeant, M. B.... En conséquence, elle a prononcé un avertissement à l'encontre de la société Skylar France et à l'encontre de M. B... et ordonné la publication sous forme anonymisée de la décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers. Le président de l'Autorité des marchés financiers demande l'annulation de cette décision en tant qu'elle a écarté les griefs tirés de l'existence d'un conflit d'intérêts et d'une gestion ne répondant pas à l'intérêt des investisseurs, et la réformation de cette décision.

En ce qui concerne le grief tiré de ce que la société Skylar France aurait privilégié son intérêt au détriment de celui des fonds qu'elle gérait et de ses clients en gestion sous mandat :

2. Aux termes de l'article L. 533-10 du code monétaire et financier dans sa version alors applicable : " Les prestataires de services d'investissement doivent : (...) /3. Prendre toutes les mesures raisonnables pour empêcher les conflits d'intérêts de porter atteinte aux intérêts de leurs clients. Ces conflits d'intérêts sont ceux qui se posent entre, d'une part, les prestataires eux-mêmes, les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte ou toute autre personne directement ou indirectement liée à eux par une relation de contrôle et, d'autre part, leurs clients, ou bien entre deux clients, lors de la fourniture de tout service d'investissement ou de tout service connexe ou d'une combinaison de ces services. Lorsque ces mesures ne suffisent pas à garantir, avec une certitude raisonnable, que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients sera évité, le prestataire informe clairement ceux-ci, avant d'agir en leur nom, de la nature générale ou de la source de ces conflits d'intérêts ". Aux termes de l'article 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers dans sa rédaction alors applicable : " Le prestataire de services d'investissement agit d'une manière honnête, loyale et professionnelle, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, afin de servir au mieux l'intérêt des clients et de favoriser l'intégrité du marché ". Aux termes de l'article 314-3-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers dans sa version alors en vigueur : " Pour l'activité de gestion d'un placement collectif mentionné à l'article 311-1 A, le prestataire d'investissement : (...) /6. Veille à ce que la sélection et le suivi continu des investissements soient effectués avec une grande diligence et dans l'intérêt des placements collectifs mentionnés à l'article 311-1 A et de l'intégrité du marché ". Ces dispositions imposent à la société gestionnaire de gérer les portefeuilles dont elle a la charge, que ce soit en gestion collective ou en mandat, dans l'intérêt des clients et en veillant à limiter les situations de conflit d'intérêts. A ce titre, l'investissement des encours des clients d'une société de gestion dans des fonds dont elle assure la gestion, entraînant le cas échéant des commissions de mouvement au bénéfice de la société de gestion ne caractérise pas à lui seul une méconnaissance de l'obligation de gestion dans l'intérêt des clients, y compris en cas de résultats négatifs. En revanche, l'existence d'un faisceau d'indices concordants établissant que cette décision n'était pas justifiée par un objectif économique est de nature à caractériser un manquement à l'obligation de gestion dans l'intérêt des porteurs.

3. Il résulte de l'instruction qu'au cours de l'année 2016, la société Skylar France a procédé à de nombreuses opérations d'achats et de vente sur deux fonds " maison ", les fonds Hypérion et Endymion. La commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a relevé que la justification économique de ces opérations d'achats et de ventes était " discutable ". Elle a également relevé que la moins-value globale des opérations d'achats et de ventes, pour le fonds Hypérion, a été de -2,75 millions d'euros, soit une performance des titres de -3 % hors commission de mouvement et, s'agissant du fonds Endymion, une moins-value globale de -372 000 euros, soit une performance des titres achetés/vendus de -1,9 % hors commission de mouvement. Elle a enfin relevé que les taux de rotation sont demeurés élevés en 2017 et qu'ils ont continué à représenter, au moins pour le fonds Hypérion, une part importante des produits d'exploitation de Skylar France.

4. Il résulte de surcroît de l'instruction que, pour l'année 2016, le taux de rotation pour le fonds Hypérion a représenté 10,53 fois l'actif net moyen et, pour le fonds Endymion, 8,66 fois l'actif net moyen. Cela a permis à la société Skylar France de percevoir des commissions de mouvement représentant respectivement 12,25 % et 2,83 % du total des produits d'exploitation de la société Skylar France pour l'année. Il résulte également de l'instruction que 20,86 % de l'encours total en gestion sous mandat était, en 2016, investi dans les fonds Hypérion et Endymion. Enfin, le taux de rotation élevé sur les deux fonds en cause s'est accompagné, tout particulièrement en 2016, d'une très mauvaise performance pour les porteurs puisque, sur l'année 2016, le fonds Hypérion a réalisé une performance de -16,8 % et le fonds Endymion une performance d'environ -17,8 %.

5. Il résulte de ces différents éléments que, contrairement à ce qu'a retenu la commission des sanctions, il était suffisamment établi que la société Sylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui des porteurs. Par suite, la commission des sanctions ne pouvait, sans méconnaître les articles L. 533-10 du code monétaire et financier et 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ni entacher sa décision d'erreur d'appréciation, écarter le grief tiré de ce que Skylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui de ses clients.

En ce qui concerne le grief tiré du défaut de mention de l'application d'un taux de rotation élevé des portefeuilles dans les prospectus des fonds :

6. L'article L. 533-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable jusqu'au 2 janvier 2018, impose que " toutes les informations (...) adressées à des clients (...) présentent un contenu exact, clair et non trompeur ". Aux termes de l'article 411-113 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers dans sa rédaction alors applicable : " Le prospectus de l'OPCVM contient les renseignements nécessaires pour que les investisseurs puissent juger en pleine connaissance de cause l'investissement qui leur est proposé, et notamment les risques inhérents à celui-ci. (...) / Il comporte une description claire et facile à comprendre du profil de risque de l'OPCVM, indépendamment des actifs dans lesquels il est investi. (...) / Le contenu du prospectus est défini dans une instruction de l'AMF ".

7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, éclairées par l'instruction AMF DOC-2011-19, et notamment son annexe XIII, qui enjoignait aux gestionnaires de fonds de " préciser si la stratégie mise en œuvre entraîne la rotation du portefeuille de manière régulière et dans ce cas avertir l'investisseur que des coûts supplémentaires lui seront prélevés en plus de ceux visés ci-après " que dès lors que des investissements dans des fonds gérés sont susceptibles d'engendrer des taux de rotation élevé, accroissant significativement les frais facturés aux investisseurs en sus des frais de gestion, le prospectus des fonds ne saurait omettre de le mentionner sans porter atteinte à l'obligation de présenter un contenu exact, clair et non trompeur. Or, il résulte de l'instruction qu'alors que la stratégie d'investissement des fonds impliquait un changement rapide et profond des allocations de portefeuille en cas de forte volatilité des marchés, les prospectus des fonds ne décrivaient pas les conséquences prévisibles de ces mouvements s'agissant des frais facturés aux investisseurs. Par suite, c'est à tort que la commission des sanctions a écarté le grief tiré du défaut de mention de l'application d'un taux de rotation élevé des portefeuilles dans les prospectus des fonds gérés par Skylar France.

En ce qui concerne le grief tiré du défaut de fourniture d'un commentaire personnalisé sur la gestion mise en œuvre et d'absence de détail des performances dans les rapports de gestion sous mandat :

8. Aux termes de l'article 313-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Le prestataire de services d'investissement établit et maintient opérationnelles des politiques, procédures et mesures adéquates visant à détecter tout risque de non-conformité aux obligations professionnelles mentionnées au II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ainsi que les risques en découlant et à minimiser ces risques. / Pour l'application de l'alinéa précédent, le prestataire de services d'investissement tient compte de la nature, de l'importance, de la complexité et de la diversité des services d'investissement qu'il fournit et des activités qu'il exerce ".

9. Il résulte de l'instruction que la société Skylar France avait établi une procédure intitulée " procédure de rapport de gestion (gestion privée) ", précisant le contenu des rapports de gestion et indiquant qu'ils devaient notamment comporter le " commentaire du gérant " ainsi que les détails de la performance du portefeuille. Les rapports de gestion adressés aux clients comportaient effectivement les mentions prévues, le fait que le commentaire du gérant était un commentaire général et non personnalisé étant sans incidence sur le respect, par la société Skylar France, de ses obligations. Il en résulte que c'est sans erreur d'appréciation que la commission des sanctions a écarté le grief tiré du défaut de fourniture d'un commentaire personnalisé sur la gestion mise en œuvre et d'absence de détail des performances dans les rapports de gestion sous mandat.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la décision de la commission des sanctions doit être réformée en ce qu'elle a écarté le grief tiré de ce que la société Skylar France aurait privilégié son intérêt au détriment de celui des fonds qu'elle gérait et de ses clients en gestion sous mandat, ainsi que le grief tiré du défaut de mention de l'application d'un taux de rotation élevé des portefeuilles dans les prospectus des fonds.

11. Il en résulte que la sanction prononcée à l'encontre de la société Skylar France et de M. B... doit être aggravée par une publication de manière non anonyme, pendant trois ans à compter de cette décision, de la décision de la commission des sanctions et de la présente décision, sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Autorité des marchés financiers, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers est réformée en ce qu'elle a écarté le grief tiré de ce que la société Skylar France aurait privilégié son intérêt au détriment de celui des fonds qu'elle gérait et de ses clients en gestion sous mandat ainsi que le grief tiré du défaut de mention de l'application d'un taux de rotation élevé des portefeuilles dans les prospectus des fonds.

Article 2 : La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ainsi que cette décision seront publiées, de manière non anonyme, pendant trois ans, sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers.

Article 3 : Les conclusions de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Autorité des marchés financiers, à la société Skylar France et à M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2023 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 24 mai 2023.

Le président :

Signé : M. Cyril Roger-Lacan

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme Laïla Kouas


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 449983
Date de la décision : 24/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 mai. 2023, n° 449983
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP OHL, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:449983.20230524
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