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12/05/2023 | FRANCE | N°468470

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 12 mai 2023, 468470


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrées le 26 octobre 2022 et le 6 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... D... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2022-277 du 30 août 2022 par laquelle la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rendu, à la demande du maire de Colmar, un avis sur sa reconversion professionnelle ;



2°) d'enjoindre à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de p

rocéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;
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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrées le 26 octobre 2022 et le 6 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2022-277 du 30 août 2022 par laquelle la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rendu, à la demande du maire de Colmar, un avis sur sa reconversion professionnelle ;

2°) d'enjoindre à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Audrey Prince, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., directeur général des services de la commune de Colmar et de Colmar Agglomération, a exercé, entre le mois d'octobre 2016 et le mois de février 2021, les fonctions de directeur général des services de la commune d'Ensisheim et de la communauté de communes du Centre-Haut-Rhin. Le 1er juillet 2022, M. D... a sollicité du maire de Colmar sa mise en disponibilité à compter du 1er janvier 2023 afin d'exercer les fonctions de directeur général de la société Pierre et Finance. Le 8 juillet 2022, le maire de Colmar a saisi pour avis, sur le fondement de l'article L. 122-5 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Par la délibération attaquée du 30 août 2022, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a estimé que le projet de M. D... risquait de le placer en situation de commettre le délit de prise illégale d'intérêt réprimé par l'article 432-13 du code pénal et qu'il était dès lors incompatible avec les fonctions qu'il avait exercées, au cours des trois dernières années, au sein de la commune d'Ensisheim.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

2. La délibération de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique n'est pas soumise à une procédure contradictoire préalable. M. D... a été néanmoins invité, le 23 août 2022, à présenter des observations, au plus tard le 30 août 2022. Il ressort des pièces du dossier que les deux attestations envoyées par le requérant le 28 août 2022 ont été transmises au collège de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique le 29 août 2022. Par suite, le moyen tiré ce que la délibération attaquée serait irrégulière, faute pour la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de respecter la procédure qu'elle avait ainsi instituée, manque en fait.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

3. D'une part, aux termes de l'article 432-13 du code pénal : " Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que membre du Gouvernement, membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, titulaire d'une fonction exécutive locale, fonctionnaire, militaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions. / Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l'une des entreprises mentionnées au premier alinéa ".

4. D'autre part, en vertu de l'article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est chargée d'émettre un avis sur le projet d'activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application des articles L. 124-4 et L. 124-5. Lorsqu'elle exerce l'attribution prévue à l'article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine, aux termes de l'article L. 124-12 du même code, si l'activité envisagée par le fonctionnaire présente un risque pénal, c'est-à-dire risque " de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ". Pour apprécier ce risque, il appartient à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, non d'examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d'apprécier le risque qu'ils puissent l'être et de se prononcer de telle sorte qu'il soit évité à l'intéressé comme à l'administration d'être mis en cause.

5. Il résulte des pièces du dossier que pour adopter la délibération attaquée, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s'est notamment fondée sur la circonstance, d'une part, que M. D... avait visé le projet de délibération soumis à l'approbation du conseil municipal d'Ensisheim au cours de sa séance du 14 janvier 2021, autorisant le maire de cette commune à céder à la société MDB plusieurs parcelles appartenant à la commune en vue d'y construire un pôle santé et, d'autre part, que cette société était détenue par un unique actionnaire qui possédait également, par l'intermédiaire d'une société holding, la société Pierre et Finance que M. D... entendait rejoindre.

6. En premier lieu, si M. D... soutient qu'alors même que les sociétés MDB et Pierre et Finance sont détenues par un actionnaire unique, ces sociétés ne pourraient être regardées comme possédant un capital commun au sens du deuxième alinéa de l'article 432-13 du code pénal, si bien qu'en devenant directeur général de la société Pierre et Finance, il ne serait pas en situation de commettre le délit de prise illégale d'intérêt, il résulte des dispositions citées au point 3 que l'infraction prévue et réprimée par ces dernières est susceptible d'être constituée même si une personne physique s'interpose entre l'agent et l'entreprise concernée. Par suite, eu égard à l'appréciation qu'il revient à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de porter sur le risque pénal encouru, telle que précisée au point 4 ci-dessus, cette dernière n'a pas fait une inexacte application de l'article L. 124-12 du code général de la fonction publique en estimant que l'interposition d'une société holding entre l'actionnaire détenant la société Pierre et Finance et la société MDB ne faisait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article 432-13 du code pénal.

7. En deuxième lieu, si M. D... soutient qu'il n'aurait rendu qu'un avis, de nature technique sur le projet de création d'une maison médicale, et que la décision de céder des parcelles de la commune à la société MDB, prise sur le fondement, notamment, de considérations d'opportunité, relevait de la seule compétence du conseil municipal, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n'a pas fait une inexacte application de l'article L. 124-12 du code général de la fonction publique en estimant qu'un tel avis était de nature à entrer dans le champ des dispositions de l'article 432-13 du code pénal.

8. En troisième et dernier lieu, le requérant, fait valoir que la création d'une maison médicale a été envisagée avant sa prise de fonction et que l'opération a été instruite par le service des domaines et sous la responsabilité d'une personne chargée de l'urbanisme au sein de la commune. Toutefois, dès lors que l'intéressé a rendu un avis, en tant que directeur général des services, sur le projet de délibération autorisant le maire d'Ensisheim à conclure un contrat avec la société MDB, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en estimant que sa mise en disponibilité afin d'exercer les fonctions de directeur général de la société Pierre et Finance présentait un risque pénal.

9. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la délibération qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... D... et à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 468470
Date de la décision : 12/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 mai. 2023, n° 468470
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Audrey Prince
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:468470.20230512
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