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05/05/2023 | FRANCE | N°469131

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 05 mai 2023, 469131


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 novembre 2022 et 20 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Animalia - Refuge et Sanctuaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, son avocat, au t

itre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 novembre 2022 et 20 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Animalia - Refuge et Sanctuaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 ;

- le décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de l'association Animalia-Refuge et Sanctuaire ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 214-6-6 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l'article 10 de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, établit les obligations incombant à tout refuge, au sens de l'article L. 214-6-1 du même code, ou à toute association sans refuge, au sens de l'article L. 214-6-5 du même code, ayant recours au placement d'animaux de compagnie auprès de familles d'accueil. Le décret du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale définit notamment les informations essentielles devant figurer dans le contrat d'accueil de l'animal de compagnie prévu par ces dispositions et précise les modalités de délivrance du certificat vétérinaire également prévu par ces dispositions. L'association Animalia - Refuge et Sanctuaire demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, la requête doit être regardée comme dirigée contre ce décret en tant seulement qu'il s'applique aux associations sans refuge mentionnées à l'article L. 214-6-5 du code rural et de la pêche maritime.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 214-6-1 du code rural et de la pêche maritime : " I.- La gestion d'une fourrière ou d'un refuge, ainsi que l'exercice à titre commercial des activités de transit ou de garde, d'éducation, de dressage et de présentation au public de chiens et de chats : / 1° Font l'objet d'une déclaration au préfet ; / 2° Sont subordonnés à la mise en place et à l'utilisation d'installations conformes aux règles sanitaires et de protection animale pour ces animaux ; / 3° Ne peuvent s'exercer que si au moins une personne, en contact direct avec les animaux, peut justifier soit : / - être en possession d'une certification professionnelle en lien avec au moins l'une des espèces concernées. La liste des certifications reconnues est établie par le ministre chargé de l'agriculture ; / - avoir suivi une formation dans un établissement habilité par le ministre chargé de l'agriculture afin d'acquérir les connaissances relatives aux besoins biologiques, physiologiques, comportementaux et à l'entretien des animaux de compagnie et disposer d'une attestation de connaissance établie par l'autorité administrative ; / - posséder un certificat de capacité délivré par l'autorité administrative en application des dispositions du IV de l'article L. 214-6 dans sa rédaction en vigueur antérieurement à la publication de l'ordonnance n° 2015-1243 du 7 octobre 2015 relative au commerce et à la protection des animaux de compagnie. (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 214-6-5 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 novembre 2021 précitée : " I. - Les associations sans refuge sont des associations de protection des animaux n'exerçant pas d'activité de gestion de refuge au sens de l'article L. 214-6-1 et ayant recours au placement d'animaux de compagnie auprès de familles d'accueil mentionnées à l'article L. 214-6. / Ces associations accueillent et prennent en charge des animaux soit en provenance d'une fourrière à l'issue des délais de garde fixés aux articles L. 211-25 et L. 211-26, soit donnés par leur propriétaire, soit à la demande de l'autorité administrative ou judiciaire. / II. - Ne peuvent détenir, même temporairement, des animaux de compagnie ou avoir recours au placement d'animaux en famille d'accueil en application de l'article L. 214-6-6 que les associations sans refuge : / 1° Ayant fait l'objet d'une déclaration au représentant de l'Etat dans le département ; / 2° Dont au moins l'un des membres du conseil d'administration ou du bureau remplit au moins l'une des conditions mentionnées au 3° du I de l'article L. 214-6-1 ; / 3° Ayant établi un règlement sanitaire. / III. - La liste des associations sans refuge déclarées en application du 1° du II est tenue et actualisée par l'autorité administrative compétente en matière sanitaire, et mise à la disposition du public ".

5. Aux termes de l'article L. 214-6-6 du même code, dans sa rédaction résultant de la même loi du 30 novembre 2021 : " Tout refuge au sens de l'article L. 214-6-1 ou toute association sans refuge au sens de l'article L. 214-6-5 ayant recours au placement d'animaux de compagnie auprès de familles d'accueil au sens du V de l'article L. 214-6 : / 1° Etablit et conserve un contrat d'accueil de l'animal de compagnie signé par la famille d'accueil et l'association, comprenant les informations essentielles prévues par décret ; / 2° Remet à la famille d'accueil le document d'information mentionné au 2° du I de l'article L. 214-8 ; / 3° Transmet à la famille d'accueil et conserve un certificat vétérinaire, établi dans un délai de sept jours à compter de la remise de l'animal ; / 4° Tient un registre des animaux confiés à des familles d'accueil, tenu à la disposition de l'autorité administrative à sa demande. Les informations relatives à la famille d'accueil sont enregistrées au fichier national mentionné à l'article L. 212-2 ; / 5° Poursuit les démarches relatives à l'adoption de l'animal, lorsque le placement en famille d'accueil ne revêt pas un caractère définitif aux termes du contrat d'accueil mentionné au 1° du présent article. / Un décret fixe les conditions d'application du présent article ".

6. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, l'association requérante soutient que les dispositions de l'article L. 214-6-5 méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et le principe de la liberté d'entreprendre.

En ce qui concerne l'applicabilité au litige des dispositions contestées :

7. Les dispositions du décret attaqué ont pour objet de fixer les conditions d'application des règles relatives au placement d'animaux de compagnie auprès des familles d'accueil prévues par l'article L. 214-6-6 du code rural et de la pêche maritime citées au point 5. Ces dispositions sont applicables tant aux associations gérant un refuge, au sens de l'article L. 214-6-1 de ce code, qu'aux associations sans refuge régies par l'article L. 214-6-5 du même code. Par suite, les dispositions de l'article L. 214-6-5, qui soulèvent une question non dénuée de rapport avec les termes du litige, doivent être regardées comme étant applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité :

8. En premier lieu, aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation " garantit à tous (...) la protection de la santé (...) ".

9. Il résulte des dispositions citées au point 4 qu'en même temps qu'elles permettent à des associations sans refuge de procéder au placement d'animaux de compagnie auprès de familles d'accueil, l'article L. 214-6-5 du code rural et de la pêche maritime conditionne la détention, même temporaire, d'animaux de compagnie par ces associations et le recours au placement de ces animaux auprès des familles d'accueil, d'une part, à ce que ces associations fassent l'objet d'une déclaration au représentant de l'Etat dans le département, d'autre part, à ce qu'au moins l'un des membres de leur conseil d'administration ou de leur bureau remplisse au moins l'une des conditions mentionnées au 3° du I de l'article L. 214-6-1 citées au point 3, et enfin à ce qu'elles établissent un règlement sanitaire, les modalités d'application de cette dernière obligation étant définies à l'article R. 214-30 du code rural et de la pêche maritime. En outre, conformément aux dispositions du 3° et du 4° de l'article L. 214-6-6, citées au point 5, applicables tant aux associations gérant un refuge qu'aux associations sans refuge, ces associations doivent d'une part transmettre à la famille d'accueil et conserver un certificat vétérinaire, établi dans un délai de sept jours à compter de la remise de l'animal, et d'autre part tenir un registre des animaux confiés à des familles d'accueil, tenu à la disposition de l'autorité administrative à sa demande, les informations relatives à la famille d'accueil étant enregistrées au fichier national mentionné à l'article L. 212-2 du code rural et de la pêche maritime. Par conséquent, contrairement à ce que soutient l'association requérante, les dispositions contestées ont entouré la faculté donnée aux associations sans refuge d'avoir recours au placement d'animaux domestiques en famille d'accueil de garanties de nature à assurer la protection de la santé humaine, dans des conditions qui sont adaptées au fait que ces associations n'ont vocation à accueillir et à prendre en charge de tels animaux qu'en petit nombre et de manière temporaire exclusivement en vue de leur placement en famille. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et de ce que le législateur aurait méconnu sa propre compétence en ne précisant pas davantage le contenu du règlement sanitaire prévu au 3° du I de l'article L. 214-6-5 ne présente pas un caractère sérieux.

10. En second lieu, ainsi qu'il est dit au point précédent, les dispositions de l'article L. 214-6-5 du code rural et de la pêche maritime se bornent à permettre à des associations sans refuge de procéder au placement d'animaux de compagnie auprès de familles d'accueil et à définir les conditions d'exercice de cette activité. Par suite, la requérante ne peut utilement soutenir que ces dispositions porteraient atteinte à la liberté d'entreprendre des associations gérant un refuge régies par les dispositions de l'article L. 214-6-1 du même code.

11. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 214-6-5 du code rural et de la pêche maritime porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 515-14 du code civil :

12. Aux termes de l'article 515-14 du code civil : " Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité (...) ".

13. Les dispositions attaquées du décret du 18 juillet 2022, qui précisent les conditions d'application des règles relatives au placement d'animaux de compagnie auprès des familles d'accueil prévues par l'article L. 214-6-6 du code rural et de la pêche maritime, prévoient d'une part que le certificat vétérinaire requis par ces dispositions " est délivré, pour les animaux de compagnie autres que les chiens et les chats, à l'issue d'un examen visuel de l'animal ". Elles prévoient d'autre part que les informations essentielles devant figurer dans le contrat d'accueil de l'animal de compagnie dont ces dispositions prévoient qu'il doit être signé par la famille d'accueil et l'association " sont : / 1° L'identification, la description et la provenance de l'animal au sens du deuxième alinéa du I de l'article L. 214-6-5 ; / 2° Les besoins physiologiques, comportementaux et médicaux de l'animal confié ; 3° La dénomination de l'association et son numéro d'inscription au titre du répertoire national des associations ; / 4° Les coordonnées de la famille d'accueil ; / 5° Une attestation d'assurance en responsabilité civile de la famille d'accueil ; / 6° La durée du placement de l'animal et les modalités de son renouvellement ; / 7° Le nombre, par espèce, d'animaux présents simultanément sur le lieu de détention, au regard des règles sanitaires et de protection animale ; / 8° Les modalités de prise en charge des frais vétérinaires et de leur remboursement lorsqu'ils sont engagés par le détenteur ; / 9° La fréquence des examens par un vétérinaire de l'animal placé qui ne peut être inférieure à un examen par période de vingt-quatre mois, ce délai est réduit à douze mois pour un chat ou un chien ; / 10° Les modalités de prise en charge des frais résultant de la détention de l'animal dans des conditions compatibles avec ses besoins ; / 11° Les conditions de présentation de l'animal à un potentiel adoptant par la famille d'accueil ; / 12° Les conditions de présentation de l'animal à l'association, notamment les visites domiciliaires qui sont annoncées au plus tard deux jours avant la date de visite ; / 13° Les conditions de restitution de l'animal à l'association, de son placement définitif dans la famille d'accueil ou de son adoption par celle-ci ". Elles prévoient enfin que " Lorsque le placement en famille d'accueil ne revêt pas un caractère définitif, les associations sans refuge au sens de l'article L. 214-6-5 sont tenues de présenter l'animal à l'adoption deux fois par an, le cas échéant au domicile de la famille d'accueil, ou de maintenir l'offre de cession en ligne de l'animal ". L'association requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que ces dispositions, qui visent à garantir la qualité de la prise en charge des animaux concernés, méconnaîtraient l'article L. 515-14 du code civil et l'exigence d'interdiction de tout traitement susceptible d'être à l'origine, pour les animaux, d'inutiles souffrances.

14. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Animalia - Refuge et Sanctuaire n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale en tant qu'il s'applique aux associations sans refuge. Ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Animalia - Refuge et Sanctuaire.

Article 2 : La requête de l'association Animalia - Refuge et Sanctuaire est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Animalia - Refuge et Sanctuaire et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 avril 2023 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat et M. Aurélien Caron, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 5 mai 2023.

Le président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

Le rapporteur :

Signé : M. Aurélien Caron

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 469131
Date de la décision : 05/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 2023, n° 469131
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Aurélien Caron
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:469131.20230505
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