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28/04/2023 | FRANCE | N°463882

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28 avril 2023, 463882


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 10 mai 2022 et les 9 et 20 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des journalistes et l'Union syndicale Solidaires demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'il porte extension aux journalistes professionnels de la convention collective nationale de la télédiffusion du 2 juillet 2021 et de son avenant n

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2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros à leur v...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 10 mai 2022 et les 9 et 20 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des journalistes et l'Union syndicale Solidaires demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 4 février 2022 en tant qu'il porte extension aux journalistes professionnels de la convention collective nationale de la télédiffusion du 2 juillet 2021 et de son avenant n°2.

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros à leur verser respectivement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, notamment son article 93 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du syndicat des médias de service public, le syndicat des télévisions privées, l'association des chaînes conventionnées éditrices de services et le syndicat national des télévisions locales et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la fédération Conseil, Communication, Culture CFDT ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que quatre organisations syndicales, la fédération Conseil, Communication, Culture CFDT, le syndicat national des personnels de la communication et de l'audiovisuel CFE-CGC, l'UNSA spectacle et le syndicat national FO-médias, et quatre organisations professionnelles d'employeurs, le syndicat des médias de service public, le syndicat des télévisions privées, l'association des chaînes conventionnées éditrices de services et le syndicat national des télévisions locales ont conclu le 2 juillet 2021 un accord portant sur la création d'une convention collective nationale de la télédiffusion. Le syndicat national des journalistes et l'Union syndicale Solidaires demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du

4 février 2022 portant extension de cette convention collective ainsi que de son avenant n°2 en tant que ceux-ci s'appliquent aux journalistes professionnels.

Sur le cadre juridique du litige :

En ce qui concerne l'arrêté d'extension :

2. Aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle / (...) ". Aux termes de l'article L. 2261-25 du même code : " Le ministre chargé du travail peut exclure de l'extension, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, les clauses qui seraient en contradiction avec des dispositions légales. Il peut également refuser, pour des motifs d'intérêt général, notamment pour atteinte excessive à la libre concurrence ou au regard des objectifs de la politique de l'emploi, l'extension d'un accord collectif. / Il peut également exclure les clauses pouvant être distraites de la convention ou de l'accord sans en modifier l'économie, mais ne répondant pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application considéré. / Il peut, dans les mêmes conditions, étendre, sous réserve de l'application des dispositions légales, les clauses incomplètes au regard de ces dispositions. / Il peut, dans les mêmes conditions, étendre les clauses appelant des stipulations complémentaires de la convention ou de l'accord, en subordonnant, sauf dispositions législatives contraires, leur entrée en vigueur à l'existence d'une convention d'entreprise prévoyant ces stipulations ".

3. Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé du travail, lorsqu'il procède à l'extension d'une convention ou d'un accord collectif, doit rechercher si le champ d'application professionnel pour lequel l'extension est envisagée n'est pas compris dans le champ professionnel d'autres conventions ou accords collectifs précédemment étendus. Lorsqu'il apparaît que les champs d'application professionnels définis par les textes en cause se recoupent, il lui appartient en principe, préalablement à l'extension projetée, soit d'exclure du champ de l'extension envisagée les activités déjà couvertes par la convention ou l'accord collectif précédemment étendu, soit d'abroger l'arrêté d'extension de cette convention ou de cet accord collectif en tant qu'il s'applique à ces activités.

En ce qui concerne les accords collectifs concernant les journalistes professionnels :

4. Aux termes de l'article L. 7111-10 du code du travail : " Lorsque la convention de branche ou l'accord ne concerne que les journalistes professionnels et assimilés, sa validité est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience prévue au 3° de l'article L. 2122-5, au moins 30 % des suffrages exprimés dans le collège de journalistes en faveur d'organisations reconnues représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés dans ce collège à ces élections, quel que soit le nombre de votants ".

5. Aux termes de l'article 93 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle : " Le recrutement des journalistes s'effectue soit selon les règles de la convention collective nationale de la presse et ses avenants, soit selon les règles particulières du code du travail applicables dans les territoires d'outre-mer ".

Sur la légalité de la décision attaquée :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'article 1er de la convention collective nationale de la télédiffusion du 2 juillet 2021, que celle-ci régit les relations entre, d'une part, les entreprises qui exercent l'activité d'édition de services de télévision en France, quels que soient leurs modes de diffusion, hertzien, analogique ou numérique, ainsi que les services distribués par des réseaux n'utilisant pas les fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel devenu Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, et l'Institut national de l'audiovisuel et, d'autre part, les salariés qui y travaillent en contrat à durée déterminée ou indéterminée. Il ressort de ce même article que le corps principal de la convention collective nationale de la télédiffusion ne peut s'appliquer aux catégories de personnels intervenant dans l'activité principale de l'entreprise, qui sont régies par des conventions collectives ou des accords spécifiques, soit notamment les journalistes professionnels et pigistes régis par la convention collective nationale des journalistes. Le même article stipule toutefois que des annexes spécifiques à cette convention seront négociées, à l'issue de sa signature et dans le but de la compléter, afin de traiter des journalistes professionnels et pigistes notamment pour négocier des barèmes minima d'embauche au sein du secteur de la télédiffusion.

7. D'une part, il résulte des termes mêmes de ses stipulations que la convention collective nationale de la télédiffusion exclut de son champ d'application les journalistes professionnels régis par la convention collective nationale des journalistes. D'autre part, si, ainsi que le soutiennent les syndicat requérants, l'article 1er de la convention collective nationale de la télédiffusion indique que des annexes spécifiques seront négociées pour fixer notamment les barèmes minima d'embauche des journalistes professionnels et des pigistes au sein du secteur de la télédiffusion, ces stipulations de l'article 1er se bornent à énoncer l'intention des parties signataires d'ouvrir une négociation dans ce périmètre particulier, de sorte que leur extension, par l'arrêté attaqué, est dépourvue d'effet juridique à l'égard des employeurs et des salariés. En conséquence, eu égard à leur contenu, l'ensemble des stipulations contestées n'a clairement ni pour objet, ni pour effet de rendre applicable la convention collective nationale de la télédiffusion aux journalistes professionnels et aux pigistes régis par la convention collective nationale des journalistes.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'était, en application de ce qui a été dit au point 3, tenue ni d'exclure du champ de l'extension les activités déjà couvertes par des conventions ou accords collectifs précédemment étendus, ni d'abroger les arrêtés d'extension de ces conventions ou accords antérieurs, en tant qu'ils s'appliqueraient à ces mêmes activités. En outre, aucun motif d'intérêt général ne justifiait que la ministre du travail exclue de l'extension les stipulations contestées de la convention collective nationale de la télédiffusion. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait à ce titre entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation doit être écarté ainsi qu'en tout état de cause, le moyen tiré de ce que la convention collective nationale de la télédiffusion méconnaîtrait pour les mêmes motifs le principe de sécurité juridique.

9. En deuxième lieu, leur requête étant dirigée contre l'arrêté du

2 février 2020 en tant qu'il porte extension de la convention collective nationale de la télédiffusion du 2 juillet 2021 et de son avenant n°2 aux journalistes, les syndicats requérants ne sauraient utilement se prévaloir, à l'appui de cette requête, de l'illégalité des projets d'annexes

n° 5 et n° 6 de la convention collective nationale de la télédiffusion. Le moyen doit, par suite, être écarté.

10. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 2121-1 du code du travail : " La représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : / 1° Le respect des valeurs républicaines ; / 2° L'indépendance ; / 3° La transparence financière ; / 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; / 5° L'audience établie selon les niveaux de négociation conformément aux articles L. 2122-1, L. 2122-5, L. 2122-6 et L. 2122-9 ; / 6° L'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; / 7° Les effectifs d'adhérents et les cotisations ". Aux termes de l'article L. 2121-2 du même code : " S'il y a lieu de déterminer la représentativité d'un syndicat ou d'une organisation professionnelle autre que ceux affiliés à l'une des organisations représentatives au niveau national, l'autorité administrative diligente une enquête. / L'organisation intéressée fournit les éléments d'appréciation dont elle dispose ". Aux termes aux termes de l'article L. 2261-19 du même code : " Pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus au sein de la commission paritaire mentionnée à l'article L. 2232-9. / Cette commission est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré (...) ". Si ces dispositions ne font pas obstacle à ce que soient conduites des consultations entre les participants aux négociations, elles soumettent en revanche la légalité de l'extension des accords à la condition que les étapes essentielles de la négociation de ceux-ci se soient déroulées après convocation de toutes les organisations syndicales représentatives dans leur champ d'application

11. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du courrier du directeur général du travail du 21 novembre 2019, qu'à la suite de la réalisation, dans le cadre de la création de la convention collective nationale de la télédiffusion, de l'enquête de représentativité prévue à l'article L. 2121-2 précité du code du travail, ni l'Union syndicale Solidaires, ni le syndicat national des journalistes ne figuraient sur la liste des organisations syndicales représentatives dans le champ correspondant au périmètre défini dans l'accord de méthode du

29 novembre 2018 portant sur la constitution de la branche télédiffusion et sur les conditions de négociation d'une convention collective nationale dans ce champ. Si les requérants font état de ce que, par arrêté du ministre du travail du 18 mars 2022 fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale de la télédiffusion, l'Union syndicale Solidaires est depuis cette date, représentative dans le champ de la convention collective nationale de la télédiffusion, cet arrêté est postérieur à la signature le 2 juillet 2021 de la convention collective nationale de la télédiffusion. Par suite, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a pu légalement étendre, par l'arrêté attaqué, la convention collective nationale de la télédiffusion ainsi que son avenant n°2, sans avoir, au préalable, mis à même l'Union syndicale Solidaires, de participer aux étapes essentielles de leur négociation. Au demeurant, les requérants ne contestant que l'arrêté attaqué en tant qu'il s'appliquerait aux journalistes et, ainsi qu'il a été dit au point 6, la convention étendue, de même que l'arrêté n'étant pas, au regard des stipulations qu'elle contient, applicable aux journalistes professionnels régis par la convention collective nationale des journalistes et aux pigistes, de sorte que, pour ce motif également, ce moyen ne saurait être accueilli.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de leur requête, le syndicat national des journalistes et l'Union syndicales Solidaires ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du

4 février 2022 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion portant extension de la convention collective nationale de la télédiffusion et de son avenant n°2, en tant que ceux-ci s'appliquent aux journalistes professionnels.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les défendeurs au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du syndicat national des journalistes et de l'Union syndicale Solidaires est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la fédération Conseil, Communication, Culture CFDT, du syndicat des médias du service public, du syndicat des télévisions privées, de l'association des chaînes conventionnées éditrices de services et du syndicat national des télévisions locales présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat national des journalistes, à l'Union syndicale Solidaires, à la fédération Conseil, Communication, Culture CFDT, au syndicat national des personnels de la communication et de l'audiovisuel CFE-CGC, à la CFE- CGC, à l'UNSA spectacle, au syndicat national FO-médias, au syndicat des médias du service public, au syndicat des télévisions privées, à l'association des chaînes conventionnées éditrices de services, au syndicat national des télévisions locales et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463882
Date de la décision : 28/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 avr. 2023, n° 463882
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Edouard Solier
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463882.20230428
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